Mary Daouda a été enlevée par Boko Haram et libérée en 2016. Elle a pu ensuite retourner à l'école. © Amnesty International Nigeria
Mary Daouda a été enlevée par Boko Haram et libérée en 2016. Elle a pu ensuite retourner à l'école. © Amnesty International Nigeria

Nigeria Dix ans après: les femmes de Chibok s’expriment

14 avril 2024
Il y a tout juste dix ans, 276 écolières étaient enlevées dans une école secondaire à Chibok, une ville de l’état de Borno au Nigeria. Quelques-unes d’entre elles ont pu s’échapper, tandis que d’autres ont retrouvé la liberté grâce aux efforts d‘organisations, dont Amnesty International. À l’heure actuelle, elles sont encore 82 aux mains de leurs ravisseurs, ainsi que 1 400 enfants, kidnappés dans des attaques ultérieures.

Amnesty International a pu rencontrer certaines de ces jeunes femmes qui ont été libérées ainsi que les mères de celles qui sont toujours portées disparues.

Celles qui reconstruisent leurs vies

Glory Mainta. © Amnesty International Nigeria

Glory Mainta a été kidnappée il y a 10 ans. Elle a depuis été libérée, a fini l’école secondaire et reconstruit sa vie.

« Je suis une des filles enlevées à Chibok. C’était douloureux d’être séparée de mes parents. Mes kidnappeurs m’ont fait beaucoup de mal, à moi et aux autres filles. Nous étions battues, on nous criait dessus. Il n’y a rien qu’ils ne nous aient pas fait. Même s’ils ne nous ont pas forcées à les épouser, ce qu’ils nous ont fait est pire. Nous essayions de survivre, jusqu’à ce que Dieu nous sauve. Je devais aller chercher de l’eau, balayer les sols et d’autres tâches que les femmes ne sont pas censées faire. Cela me faisait me sentir mal. »

« Je ne peux même pas décrire ma joie quand j’ai appris que j’allais être libérée. J’ai cru être au paradis. Depuis ma libération, j’ai pu retourner à l’école. J’avais peur d’y retourner au début, alors j’ai changé d’école pour rester proche de mes parents. Je ne veux pas passer une seule minute de plus sans eux. J’ai maintenant fini l’école secondaire et reçu mon diplôme. »

« Tout me manquait quand j’étais entre les mains de Boko Haram. Je suis si triste pour les filles qui sont encore retenues là-bas. J’ai espoir qu’elles retrouveront la liberté, comme nous. Nous savons ce qu’il se passe là-bas, c’est pourquoi je veux qu’elles soient libérées, pour qu’elles puissent retrouver leurs parents. »

Mary Dauda a été enlevée par Boko Haram. Elle raconte la réalité de sa vie en tant que captive.  

« Je me rappelle le jour où j’ai été enlevée. C’était très dur, je pleurais. C’est encore douloureux aujourd’hui. L’endroit où j’étais retenue en captivité était horrible. Ce n’était pas quelque chose auquel on s’attendait. Nous avons souffert là-bas. Nous avions faim. Nous n’arrêtions pas de penser à nos parents et de nous demander si nous pourrions un jour les retrouver. Nous nous demandions comment nous pourrions vivre avec nos kidnappeurs, car nous ne les connaissions pas. »

« Nous avions entendu beaucoup d’histoires à propos de Boko Haram. Et maintenant que nous étions entre leurs mains, nous ne savions pas comment cela finirait. Je n’arrêtais pas d’y penser. Quand nous étions en captivité, nos kidnappeurs nous ont dit que nous devions les épouser ou bien ils ne nous donneraient pas à manger. Nous devions construire leurs maisons et les nettoyer pour qu’ils puissent se marier et vivre dedans. Ils disaient que si nous les épousions, nos vies ressembleraient à cela ; sinon, nous serions leurs esclaves. Celles qui ont refusé de les épouser sont toujours retenues contre leur gré. »

« J’étais tellement heureuse lorsque j’ai été libérée en 2016. Je me sentais renaître. Après avoir été libérée, je suis retournée à l’école pendant trois ans, puis je me suis mariée. Je vis maintenant avec mon mari et nos deux enfants. J’aimerai retourner aux études un jour. Je veux que mes enfants puissent aller à l’école et deviennent indépendants. J’ai l’espoir que les filles de Chibok encore retenues puissent être libérées. »

Une mère qui a retrouvé sa fille

Rose Musa. © Amnesty International Nigeria

Quand la fille de Rose Musa est rentrée, elle ne mangeait plus et ne parlait plus. Mais maintenant qu’elle est retournée à l’école et a retrouvé sa voix, elle s’épanouit.

« J’ai vécu une double tragédie quand ma fille a été enlevée : le même mois, ma ville a été attaquée et mon mari a été tué. J’étais enceinte d’environ trois mois à l’époque et j’étais seule à la maison. Dieu m’a donné la force de continuer et c’est à cause de lui que je suis encore en vie. »

« Quand j’ai appris que ma fille Junmai Miutah avait été libérée, j’étais si heureuse et si fière. Cela n’a pas été facile d’apprendre ce qu’elle a vécu. Ce qui s’est passé dans la brousse n’est pas acceptable et elle a été gravement affectée par son expérience. Quand elle est rentrée, elle ne mangeait pas. Elle ne parlait pas aux autres enfants. Heureusement, elle est maintenant de retour à l’école et va mieux. Elle vit une belle vie, en aidant mes autres enfants et en contribuant à résoudre tous les problèmes qui surviennent. Elle veut continuer ses études. »

« Je n’oublierai pas celles qui sont encore en captivité. Nous prions pour qu’elles nous reviennent saines et sauves. J’aimerais que le gouvernement travaille avec d’autres entités pour assurer le retour des autres filles. Je veux que leurs parents puissent eux aussi ressentir la même fierté que j’éprouve quand je regarde ma fille. »

Les mères dont les filles sont encore en captivité

Mary Abdullahi. © Amnesty International Nigeria
La fille de Mary Abdullahi, Bilkis, est toujours portée disparue.

« Depuis que ma fille a été enlevée, je n’ai eu aucune nouvelle. Je ne sais pas comment elle va. Je ne l’ai pas vue. Je me sens mal dès que son nom est mentionné. Je veux que le gouvernement fasse quelque chose. Nos filles n’ont pas été kidnappées chez elles, mais à l’école. C’est au gouvernement d’intervenir. Certaines filles ont été relâchées, donc j’espère que si je continue à implorer le gouvernement, ma fille pourra rentrer elle aussi. »  

« Je serais si heureuse de pouvoir voir ma fille ou lui parler à nouveau – cela fait dix ans maintenant qu’elle a disparu. J’espère vraiment que les organisations vont continuer à faire campagne pour la libération des filles encore en captivité. Je veux juste voir ma fille. C’est mon seul espoir. »

Comfort Ishaya. © Amnesty International Nigeria

La fille de Comfort Ishaya, Hauwa, a été enlevée il y a dix ans. Elle est encore portée disparue.

« Ma fille, Hauwa, a été enlevée à Chibok il y a dix ans. Quand c’est arrivé, je me suis sentie très mal. Je n’ai rien pu faire. C’était comme si mon sang avait arrêté de circuler. En tant que mère, ce n’est pas simple de donner naissance à un enfant. Je l’ai allaitée pendant neuf mois. Et, quelques jours après ses examens finaux à l’école, elle a été enlevée. C’était comme si nous n’avions plus de relation. »

« Quand j’ai appris que des filles avaient été libérées, j’ai espéré que ma fille soit l’une d’entre elles… mais non. À chaque fois qu’une nouvelle personne est libérée, c’est douloureux de voir que ce n’est pas sa fille. »

« Je me demande si ma fille est encore en vie. J’espère vraiment qu’elle soit vivante. C’est ce que je souhaite. Quand je mange, je pense à elle et je me demande si elle a de la nourriture. Je suis toujours en train de penser à elle. J’espère que je pourrai la revoir un jour, qu’importe l’âge qu’elle aura. »

« On ne doit pas oublier les filles qui sont encore portées disparues. Je pense toujours à elles. Je continue à chercher ma fille. Je veux que le gouvernement, à tous les niveaux, continue à me soutenir dans cette démarche. J’espère et je prie que nous puissions un jour les voir à nouveau. »