RDC Le défi de la démobilisation et de la réinsertion des enfants soldats

Depuis quinze ans, Murhabazi Namegabe travaille à la réinsertion des enfants soldat·e·s dans la société congolaise. Grâce au Bureau du service volontaire pour les enfants et la santé (BVES), il redonne espoir à des centaines de jeunes. Rencontre.

Murhabazi Namegabe © Fabrice Praz

AMNESTY : Quelle est la situation des enfants soldat·e·s en République démocratique du Congo ?

Murhabazi Namegabe : Les guerres qui se sont succédé depuis 1998 ont eu un impact sérieux sur la situation de protection des enfants. Plusieurs milliers d’enfants ont été recrutés. En 2000, nous estimions leur nombre à 80'000. En 2003, lors de la mise en place du gouvernement de transition, les groupes armés ont officiellement reconnu l’utilisation de 34'000 enfants. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des groupes armés qui n’ont pas pris part à la transition et les groupes armés rwandais, burundais et ougandais qui sont encore actifs à l’Est du pays.

En 2008, le conflit dans le Kivu s’est à nouveau enflammé. Quel a été l’impact sur l’enrôlement des enfants ?

Nous avons assisté à une augmentation des recrutements suite à la création de nouveaux groupes armés.

Comment s’y prennent-ils pour recruter les enfants ?

Les méthodes de recrutements sont complexes et ont évolué à travers les conflits. Lors de la rébellion de 1996, pour chaque enfant enrôlé, leur famille recevait 100 $, une somme énorme pour l’époque. On a vu des écoles et des villages entiers se vider de leurs enfants, âgés parfois de 8 ans. En 1998, lors  de la 2ème guerre contre le régime de Kinshasa, les groupes armés ont essayé d’utiliser la même stratégie, mais avec peu de succès cette fois-ci. Ils ont alors changé de méthode et commencé à mener des recrutements forcés. Ils bouclaient des écoles, allaient sur des marchés publics où ils enrôlaient de force tous les enfants présents pour les amener dans la brousse et les former aux armes. A partir de 1999, il y a eu une 3ème forme de recrutement massif d’enfants par les mouvements de résistances populaires, comme les Maï-Maï. Ces mouvements ont réclamé aux membres des villages de prendre les armes pour résister à l’invasion des pays étrangers qui voulaient occuper la RDC. Durant cette période, nous retrouvions même des enfants de quatre ans ! En 2007 et 2008, on a surtout enrôlé les enfants des groupes qui voulaient protéger leur propre ethnie contre les groupes armés des autres ethnies. Actuellement, nous retrouvons même des enfants dans l’armée officielle, car quand les groupes armés rejoignent l’armée officielle, ils viennent avec les enfants qui faisaient partie de leurs troupes !

Une fois démobilisés, dans quel état arrivent-ils dans votre centre ?

Enfants soldats Maï-Maï. © AI


Ils arrivent dans un état de pure animosité. Il faut s’en occuper jour et nuit. Ils viennent de mouroirs, car ces groupes armés sont de véritables mouroirs : seulement quatre enfants sur dix auront la chance de survivre et de passer par nos centres. Il leur faut d’abord une assistance humanitaire. Chaque enfant requiert un accompagnement psychosocial particulier. Ensuite, il faut localiser sa famille. Les groupes armés séparent les enfants de leur famille ou de leur communauté. Des enfants d’une province peuvent être amenés dans une autre province. Le Congo est un pays continent, reconstituer les liens familiaux est très difficile. De plus, au Congo, depuis les années 90, les enfants ne sont pas enregistrés à l’état civil, ils n’ont pas d’identité.

Comment préparer leur retour en société ?

Pendant que l’enfant se trouve au centre, il essaie d’élaborer avec les assistants sociaux un projet de vie. Il analyse ses possibilités, ses capacités, est-ce qu’il peut retourner à l’école ou apprendre un métier. Une fois que les enfants sont replacés dans leur famille ou qu’une stratégie de formation est adoptée, nous faisons le suivi. Nous les visitons une fois par mois et nous avons créé aussi une stratégie de la participation de la communauté, ce que nous appelons le noyau communautaire pour la protection des enfants, qui nous aide à les suivre pour que ces enfants ne soient plus repris par les groupes.

Qu’en est-il de ceux qui se retrouvent seuls, sans famille ?

Malheureusement, il arrive parfois que nous ne pouvons pas retrouver de famille à un enfant et pour ces enfants-là, nous devons trouver une solution en ville. Nous avons mis en place une stratégie de création de foyer. Ce sont des logements de fortune dans lesquels nous regroupons quatre enfants qui ont presque le même âge avec le suivi du centre du BVES. Ces foyers deviennent comme des familles, nous pouvons ainsi les inscrire à l’école ou pour un apprentissage jusqu’à qu’ils deviennent autonome.

Les jeunes filles sont aussi recrutées par les groupes armés. Comment s’en sortent-elles ?


Les filles sont plus marquées par leur utilisation dans les groupes armés. Les filles sont d’abord recrutées trop jeunes, on a des filles de 8 à 12 ans, et elles sont soumises à un esclavagisme sexuel, à des violences sexuelles. Elles ont connu des problèmes de santé, des infections sexuelles, elles ont dû avorter dans la brousse ou elles ont des grossesses difficiles. La prise en charge est très difficile, leur réinsertion aussi. Les filles qui ont eu des bébés ou qui ont avorté ne veulent plus retourner à l’école. Elles ont besoin d’une activité qui leur rapporte directement de l’argent pour s’occuper d’elle et de leur enfant.

RDC : le défi de la démobilisation et de la réinsertion des enfants soldats

Depuis quinze ans, Murhabazi Namegabe travaille à la réinsertion des enfants soldat·e·s dans la société congolaise. Grâce au Bureau du service volontaire pour les enfants et la santé (BVES), il redonne espoir à des centaines de jeunes. Rencontre.

Murhabazi Namegabe : Quelle est la situation des enfants soldat·e·s en République démocratique du Congo ?

Les guerres qui se sont succédé depuis 1998 ont eu un impact sérieux sur la situation de protection des enfants. Plusieurs milliers d’enfants ont été recrutés. En 2000, nous estimions leur nombre à 80'000. En 2003, lors de la mise en place du gouvernement de transition, les groupes armés ont officiellement reconnu l’utilisation de 34'000 enfants. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des groupes armés qui n’ont pas pris part à la transition et les groupes armés rwandais, burundais et ougandais qui sont encore actifs à l’Est du pays.

En 2008, le conflit dans le Kivu s’est à nouveau enflammé. Quel a été l’impact sur l’enrôlement des enfants ?

Nous avons assisté à une augmentation des recrutements suite à la création de nouveaux groupes armés.

Comment s’y prennent-ils pour recruter les enfants ?

Les méthodes de recrutements sont complexes et ont évolué à travers les conflits. Lors de la rébellion de 1996, pour chaque enfant enrôlé, leur famille recevait 100 $, une somme énorme pour l’époque. On a vu des écoles et des villages entiers se vider de leurs enfants, âgés parfois de 8 ans. En 1998, lors de la 2ème guerre contre le régime de Kinshasa, les groupes armés ont essayé d’utiliser la même stratégie, mais avec peu de succès cette fois-ci. Ils ont alors changé de méthode et commencé à mener des recrutements forcés. Ils bouclaient des écoles, allaient sur des marchés publics où ils enrôlaient de force tous les enfants présents pour les amener dans la brousse et les former aux armes. A partir de 1999, il y a eu une 3ème forme de recrutement massif d’enfants par les mouvements de résistances populaires, comme les maï maï. Ces mouvements ont réclamé aux membres des villages de prendre les armes pour résister à l’invasion des pays étrangers qui voulaient occuper la RDC. Durant cette période, nous retrouvions même des enfants de quatre ans ! En 2007 et 2008, on a surtout enrôlé les enfants des groupes qui voulaient protéger leur propre ethnie contre les groupes armés des autres ethnies. Actuellement, nous retrouvons même des enfants dans l’armée officielle, car quand les groupes armés rejoignent l’armée officielle, ils viennent avec les enfants qui faisaient partie de leurs troupes !

Une fois démobilisés, dans quel état arrivent-ils dans votre centre ?

Ils arrivent dans un état de pure animosité. Il faut s’en occuper jour et nuit. Ils viennent de mouroirs, car ces groupes armés sont de véritables mouroirs : seulement quatre enfants sur dix auront la chance de survivre et de passer par nos centres. Il leur faut d’abord une assistance humanitaire. Chaque enfant requiert un accompagnement psychosocial particulier. Ensuite, il faut localiser sa famille. Les groupes armés séparent les enfants de leur famille ou de leur communauté. Des enfants d’une province peuvent être amenés dans une autre province. Le Congo est un pays continent, reconstituer les liens familiaux est très difficile. De plus, au Congo, depuis les années 90, les enfants ne sont pas enregistrés à l’état civil, ils n’ont pas d’identité.

Comment préparer leur retour en société ?

Pendant que l’enfant se trouve au centre, il essaie d’élaborer avec les assistants sociaux un projet de vie. Il analyse ses possibilités, ses capacités, est-ce qu’il peut retourner à l’école ou apprendre un métier. Une fois que les enfants sont replacés dans leur famille ou qu’une stratégie de formation est adoptée, nous faisons le suivi. Nous les visitons une fois par mois et nous avons créé aussi une stratégie de la participation de la communauté, ce que nous appelons le noyau communautaire pour la protection des enfants, qui nous aide à les suivre pour que ces enfants ne soient plus repris par les groupes.

Qu’en est-il de ceux qui se retrouvent seuls, sans famille ?

Malheureusement, il arrive parfois que nous ne pouvons pas retrouver de famille à un enfant et pour ces enfants-là, nous devons trouver une solution en ville. Nous avons mis en place une stratégie de création de foyer. Ce sont des logements de fortune dans lesquels nous regroupons quatre enfants qui ont presque le même âge avec le suivi du centre du BVES. Ces foyers deviennent comme des familles, nous pouvons ainsi les inscrire à l’école ou pour un apprentissage jusqu’à qu’ils deviennent autonome.

Les jeunes filles sont aussi recrutées par les groupes armés. Comment s’en sortent-elles ?

Les filles sont plus marquées par leur utilisation dans les groupes armés. Les filles sont d’abord recrutées trop jeunes, on a des filles de 8 à 12 ans, et elles sont soumises à un esclavagisme sexuel, à des violences sexuelles. Elles ont connu des problèmes de santé, des infections sexuelles, elles ont dû avorter dans la brousse ou elles ont des grossesses difficiles. La prise en charge est très difficile, leur réinsertion aussi. Les filles qui ont eu des bébés ou qui ont avorté ne veulent plus retourner à l’école. Elles ont besoin d’une activité qui leur rapporte directement de l’argent pour s’occuper d’elle et de leur enfant.