«La profonde crise des droits humains que traverse la Bolivie, depuis les élections du 20 octobre, a été aggravée par l’intervention et les agissements des forces de sécurité. Tout message octroyant carte blanche pour l’impunité est d’une terrible gravité. Compte tenu des tristes précédents qui ont marqué l’histoire de la région concernant le rôle des forces armées, il est essentiel que les autorités garantissent le plus grand respect des droits humains», a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
«Tout message octroyant carte blanche pour l’impunité est d’une terrible gravité.» Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International
Le décret 4078, qui n’est pas encore paru au Journal officiel, prévoit la participation des forces armées à «la défense de la société et au maintien de l’ordre public, en soutien aux forces de la Police nationale» et exonère de leur responsabilité pénale les membres des forces armées qui participent aux opérations visant à rétablir l’ordre intérieur et la stabilité publique «quand, dans l’exercice de leurs fonctions constitutionnelles, leurs agissements sont dictés par l’état de légitime défense ou de nécessité, dans le respect des principes de légalité, d’absolue nécessité et de proportionnalité».
Amnesty International est préoccupée par ce décret qui permet à de possibles violations des droits humains ou crimes de droit international commis par des membres des forces armées de rester impunis. Le texte indique que la situation «tend à s’aggraver, et pourrait même conduire à une guerre civile», laissant entendre que tout acte de violence pourrait justifier l’impunité.
L’organisation rappelle que le personnel des forces de sécurité doit rendre compte de ses actions ou omissions à titre individuel, et que sont également responsables, y compris pénalement, les supérieurs hiérarchiques qui donnent des ordres illicites, qui les supervisent ou les commandent, et qui les contrôlent de toute autre façon, ou qui peuvent être responsables de la planification et de la préparation des opérations en question.
Aggravation de la crise
«Les intenses tensions sociales ne peuvent pas être utilisées comme prétexte par les forces de sécurité pour négliger les normes internationales relatives aux droits humains, et pour promouvoir la vague de haine et de discrimination raciale».
La crise sociale, politique et des droits humains que traverse actuellement la Bolivie risque de s'aggraver si les autorités continuent de réagir de façon violente face aux critiques, aux protestations, à la couverture médiatique des événements et même face aux actes de violence commis par des tiers.
«Les intenses tensions sociales ne peuvent pas être utilisées comme prétexte par les forces de sécurité pour négliger les normes internationales relatives aux droits humains, et pour promouvoir la vague de haine et de discrimination raciale qui a surgi avec force ces derniers jours. Jeanine Añez, qui s'est proclamée présidente par intérim de la Bolivie, est tenue de mettre immédiatement fin aux violations des droits humains, faute de quoi elle devra rendre des comptes devant les mécanismes nationaux et internationaux», a déclaré Erika Guevara Rosas.
Compte tenu de la situation actuelle, les autorités doivent impérativement garantir l’accès à des informations publiques, exactes et actualisées sur les personnes tuées, blessées et privées de liberté dans le contexte de la crise qui a débuté le 20 octobre de cette année. Selon la Commission interaméricaine des droits de l’homme, depuis cette date, au moins 23 personnes auraient été tuées et 715 blessées.
L’organisation demande aux autorités d’enquêter dans les meilleurs délais et de façon exhaustive et impartiale sur ces morts, ainsi que sur les allégations concernant des violations des droits humains commises par les forces de sécurité et des actes de violence commis par des particuliers.
Journalistes et défenseurs des droits humains visés
De plus, il est indispensable qu’elles veillent à ce que les journalistes et les défenseur·e·s des droits humains puissent faire leur travail, qui est important et légitime, sans être en butte à la censure, à la stigmatisation ou à des attaques.
Les attaques et le harcèlement dénoncés par des journalistes et des défenseurs des droits humains sont très préoccupants, de même que les accusations de « sédition » lancées par la ministre de la Communication contre des journalistes. Nous rappelons que les autorités autres que les autorités judiciaires n’ont pas à se prononcer sur les questions de responsabilité pénale.
Pour finir, Amnesty International rappelle que les moyens de subsistance de la population sont directement impactés par la situation actuelle. L’organisation a reçu des informations dignes de foi indiquant que les pénuries de carburant et de nourriture commencent à toucher la capitale bolivienne en raison du blocage des routes, ce qui aggrave davantage encore la crise.