En n’exerçant pas une surveillance effective pour empêcher que du bétail mis à paître illégalement ne se retrouve dans sa chaîne d’approvisionnement, JBS ne respecte pas l’obligation de diligence raisonnable prévue par les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Aux termes des Principes directeurs des Nations unies, JBS contribue à des atteintes aux droits humains des peuples indigènes et des habitants des réserves en participant aux incitations économiques pour le bétail mis à paître dans des zones protégées, souligne l’organisation dans son rapport From Forest to Farmland.
«JBS a connaissance depuis 2009 du fait que du bétail mis à paître illégalement dans des zones protégées risque de se retrouver dans sa chaîne d’approvisionnement», a déclaré Richard Pearshouse, directeur du programme Situations de crise et environnement à Amnesty International. «JBS n’a pas mis en place de système de surveillance effective de sa chaîne d’approvisionnement, y compris en ce qui concerne ses fournisseurs indirects.»
Le premier exportateur mondial de viande bovine
Le Brésil compte quelque 214 millions de têtes de bétail, soit plus que tout autre pays au monde. Son industrie bovine, qui pèse 124 milliards de dollars des États-Unis, représente 8% de son PIB. Les trois quarts environ de la production bovine brésilienne sont consommés dans le pays, et le dernier quart, qui se retrouve dans la chaîne d’approvisionnement mondiale, est tellement important que le Brésil est le premier exportateur mondial de viande bovine. Ses principaux débouchés sont notamment la Chine, Hong Kong, l’Égypte, le Chili, l’Union européenne, les Émirats arabes unis et la Russie.
Selon les chiffres du gouvernement, les territoires indigènes en Amazonie ont été amputés de 497 km² de forêt vierge entre août 2018 et juillet 2019, ce qui représente une augmentation de 91 % par rapport à la même période de l’année précédente.
La région de l’Amazonie a enregistré au niveau national la plus forte augmentation du secteur de l’élevage bovin. Depuis 1988, le nombre de têtes de bétail dans cette région a presque quadruplé, passant à 86 millions en 2018, soit 40 % du total national. Cette expansion détruit parfois de vastes portions de forêt vierge dans des territoires indigènes et dans des réserves. Au total, 63% des zones déforestées entre 1988 et 2014 ont été transformées en pâturages pour le bétail, et elles représentent cinq fois la superficie du Portugal.
Selon les chiffres du gouvernement, les territoires indigènes en Amazonie ont été amputés de 497 km² de forêt vierge entre août 2018 et juillet 2019, ce qui représente une augmentation de 91 % par rapport à la même période de l’année précédente.
Atteintes aux droits humains dans trois zones protégées
Amnesty International s’est rendue sur trois sites au cours de son enquête: le territoire indigène des Uru-Eu-Wau-Wau, et les réserves de Rio Jacy-Paraná et de Rio Ouro Preto, tous situés dans l’État de Rondônia. L’organisation n’a trouvé aucun élément prouvant que JBS serait directement impliquée dans les atteintes aux droits humains commises sur les trois sites examinés.
Toutefois, sur ces trois sites, de récentes saisies de terres illégales ont causé la perte de territoires traditionnels, pourtant protégés par la législation brésilienne. Les droits fonciers des populations indigènes sont protégés par le droit international relatif aux droits humains. L’élevage commercial de bétail est interdit par la loi sur ces trois sites. Ces saisies illégales de terres s’accompagnent souvent de menaces, d’actes d’intimidation et de violences, dans un contexte général de violences rurales. Selon une estimation, en 2019, dans la région de l’Amazonie brésilienne, les populations indigènes ont subi sept meurtres, sept tentatives de meurtre et 27 menaces de mort.
Ces saisies illégales de terres s’accompagnent souvent de menaces, d’actes d’intimidation et de violences, dans un contexte général de violences rurales.
En décembre 2019, alors qu’ils patrouillaient sur leur territoire, des membres du peuple Uru-Eu-Wau-Wau ont découvert qu’environ 200 hectares avaient récemment été défrichés et brûlés. Araruna, un Uru-Eu-Wau-Wau âgé d’une vingtaine d’années, a déclaré à Amnesty International: «Ces récentes invasions nous inquiètent [...] parce qu’elles se multiplient et se rapprochent de plus en plus des villages. Nous avons découvert une zone immense récemment déforestée. Nous avons vu un hélicoptère semer de l’herbe pour qu’ils puissent amener du bétail par la suite.»
Dans d’autres secteurs, des communautés entières ont été chassées de leur territoire, et ces personnes craignent d’être assassinées si elles y retournent. Au cours des deux dernières décennies, la plupart des habitants de la réserve de Rio Jacy-Paraná ont été expulsés dans le but d’installer à leur place des élevages de bétail. Selon un ancien habitant, trois personnes seulement sont toujours sur place, sur les quelque 60 familles qui vivaient dans cette réserve.
L’analyse qu’a effectuée Amnesty International des images satellites confirme les témoignages des anciens habitants: des zones qui étaient autrefois de denses forêts ont été défrichées et du bétail ainsi que des plans d’eau pour abreuver le bétail sont à présent visibles.
Le diable se cache dans les chiffres
La législation brésilienne oblige les services de l’État à collecter de nombreuses informations sur l’élevage de bétail. Cela comprend des informations sur l’emplacement des élevages, y compris ceux qui se trouvent dans des zones protégées; le nombre, la tranche d’âge et le sexe des animaux; et les transferts d’animaux entre les différentes exploitations. Alors que ces informations sont d’intérêt public, elles ne sont actuellement pas accessibles au public.
Amnesty International a adressé sept demandes au titre de la liberté d’information à l’IDARON, l’agence de surveillance de la santé animale de l’État de Rondônia. Les informations fournies par l’IDARON montrent une forte augmentation de l’élevage commercial de bétail dans les zones protégées, où cette activité est illégale. Entre novembre 2018 et avril 2020, le nombre de têtes de bétail a augmenté de 22%, passant de 125 560 à 153 566.
Cela signifie que les bœufs qui proviennent d’élevages légaux ont peut-être auparavant été élevés de façon illégale dans des zones protégées.
Les chiffres de l’IDARON indiquent également que 89 406 animaux ont été transférés ailleurs depuis des élevages situés dans des zones protégées où l’élevage commercial de bétail est illégal, en 2019. La grande majorité de ces animaux ont été transférés dans d’autres élevages avant d’être envoyés à l’abattoir. Cela signifie que les bœufs qui proviennent d’élevages légaux ont peut-être auparavant été élevés de façon illégale dans des zones protégées.
Amnesty International constate que des agences publiques du contrôle de la santé animale telles que l’IDARON permettent effectivement des activités d’élevage commercial illégal de bétail. Elles le font en enregistrant des élevages commerciaux de bétail et en délivrant des documents pour les déplacements de bétail alors même que l’exploitation se situe dans une réserve ou sur un territoire indigène.
La chaîne d’approvisionnement viciée de JBS
Au Brésil, le bétail est souvent déplacé d’une exploitation dans une autre. Les exploitations qui vendent des animaux à des entreprises de transformation de viande sont appelées les fournisseurs directs et les autres exploitations où les animaux ont préalablement été élevés sont appelées les fournisseurs indirects. Les chercheurs estiment que jusqu’à 91 à 95 % des exploitations achètent du bétail provenant de fournisseurs indirects.
Amnesty International, en collaboration avec l’ONG Repórter Brasil, a examiné des documents officiels concernant le contrôle de la santé animale qui montrent que JBS a directement acheté des animaux à une exploitation située dans la réserve de Rio Ouro Preto à deux reprises en 2019. De plus, en 2019, JBS a plusieurs fois acheté des animaux à deux exploitants qui gèrent à la fois des exploitations illégales dans des zones protégées et des exploitations légales en dehors de ces zones. L’un de ces exploitants fait illégalement paître le bétail dans la réserve de Rio Jacy-Paraná, et l’autre sur le territoire indigène des Uru-Eu-Wau-Wau.
Dans l’un et l’autre de ces cas, les exploitants ont enregistré les déplacements d’animaux depuis une exploitation située dans l’une des zones protégées vers une destination située à l’extérieur de la zone protégée, puis ils ont enregistré un déplacement distinct de bétail depuis une exploitation légale à destination de JBS. Dans deux cas, le deuxième transfert a été enregistré après quelques minutes seulement. Les deux déplacements concernent un nombre identique d’animaux, avec une tranche d’âge et un sexe identiques. Dans ces cas, les animaux avaient plus de 36 mois, un âge où ils sont habituellement envoyés à l’abattoir. Selon des experts interrogés par Amnesty International, cela pourrait suggérer la pratique du blanchiment de bétail.
Le blanchiment de bétail – qui consiste à déplacer du bétail en le faisant transiter par des exploitations intermédiaires pour faire croire à des pratiques légales – est utilisé pour se soustraire aux systèmes de contrôle existants.
Amnesty International demande à JBS de mettre en place dans les plus brefs délais un système effectif de contrôle, notamment de ses fournisseurs indirects, afin de s’assurer que le bétail mis à paître illégalement dans des zones protégées à un moment ou à un autre ne se retrouve pas dans la chaîne d’approvisionnement de JBS. Ce système devrait au plus tard être en place fin 2020.
Note sur JBS
JBS est une entreprise multinationale basée au Brésil, qui a été créée dans l’État du Goiás, dans le centre du pays, en 1953. Elle se décrit comme «l’un des leaders mondiaux de l’industrie alimentaire». JBS, qui est l’un des plus gros producteurs de viande bovine au monde, est donc très bien placé pour exercer l’ascendant, l’influence et le contrôle nécessaires pour empêcher ou atténuer les effets sur les droits humains de cette activité dans sa chaîne d’approvisionnement.
Le deuxième actionnaire en importance de JBS est la banque nationale de développement Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social (BNDES), une banque publique, qui détient 21 % des actions.
En 2019, JBS a déclaré détenir 37 usines de transformation de viande au Brésil, avec une capacité d’abattage totale de 33 550 têtes de bétail par jour. La même année, JBS a enregistré un chiffre d'affaires net de 32 milliards de réaux brésiliens (6 milliards de dollars des États-Unis) provenant de la vente de viande de bœuf et de produits connexes. Ses produits bovins sont vendus (au Brésil et sur des marchés étrangers) sous différentes marques, dont Friboi, Maturatta Friboi, Do Chef Friboi, Swift Black et 1953 Friboi.
Amnesty International a écrit à JBS en juin 2020 pour lui faire part du résultat de ses recherches et lui soumettre une liste de questions précises. Des éléments clés de la réponse de JBS ont été intégrés dans le rapport.
Sur la déforestation de l’Amazonie brésilienne
Vous trouverez ici des informations supplémentaires.