Quelle est la situation actuelle dans la région de Cauca et quels droits humains sont bafoués?
José Goyes Santacruz: Dans cette région vivent de nombreux indigènes, mais aussi des Afro-colombiens et autres communautés. Ils sont en conflit avec les intérêts des investisseurs privés et des multinationales présents dans ces lieux et soutenus par les groupes paramilitaires de la nouvelle génération. Ces firmes y sont nombreuses, car la région de Cauca est très importante au niveau économique - on y extrait de l’or, du pétrole et on y produit de l’électricité. Les communautés vivant là-bas luttent contre les entreprises qui ne prennent pas leurs responsabilités, qui bafouent les droits humains en ne respectant ni l’environnement ni les travailleuses et travailleurs. Il existe des lois dans tout le pays qui devraient astreindre les multinationales à, par exemple, obtenir le consentement des communautés indigènes pour toute exploitation sur leurs terres, ou à ne pas polluer l’environnement, mais ces dernières ne s’y tiennent pas.
Quels moyens ont les militant·e·s sur place pour défendre leur cause?
Nous nous unissons les uns avec les autres pour écrire ensemble une proposition où nous décrivons comment il serait possible de vivre en paix dans notre pays. Cette proposition ne concerne pas uniquement nos liens avec les multinationales, mais elle est plus générale. Pour ce travail, il est très important que des bénévoles venant de l’étranger, des militant·e·s étrangers d’organisations internationales continuent de nous accompagner.
On pourrait appeler cette proposition une sorte de plan pour la vie, demandant le respect de la vie, des droits humains, des droits culturels ainsi que de la nature. Nous voulons la remettre directement à notre gouvernement, ensemble avec les militant·e·s et les organisations internationales. Ensuite, nous essayerons de faire entendre nos revendications, avec l’aide de la pression internationale, en organisant une grande manifestation pacifique et publique qui réunirait des milliers de personnes.
Comment vit-on quand on est menacé de mort?
Cela nécessite beaucoup d’autodiscipline. Quand je vis dans ma région, je dois savoir où me rendre sans danger. Parfois, des bénévoles accompagnent les personnes menacées tous les jours. Nous avons aussi une sorte de police, de groupe de protection constitué de membres de notre propre communauté. Cette force de défense est constituée d’hommes bénévoles de la communauté, bien préparés à cette fonction. Ils sont très disciplinés. Ils protègent le chef et les gens importants de la communauté en danger, mais sans aucune arme. Ils ont un signe distinctif, une sorte de canne.
Malgré cette protection, il est néanmoins toujours difficile de vivre sur place, parce qu’on doit vivre tous les jours avec la peur de ne pas savoir si on sera en vie le lendemain. Mais on est obligé de vivre avec cette menace, car malgré le fait que nous soyons protégés, des milliers de gens meurent tous les jours, assassinés. La protection n’est pas une garantie de survie.
Que fait le gouvernement colombien par rapport à ces menaces ?
Il existe aussi une protection offerte par le gouvernement, mais les chefs indigènes n’ont encore jamais accepté cette possibilité. Les autorités proposent surtout des voitures blindées et la présence de la police nuit et jour, mais être vu dans ces voitures et avec la police constitue un danger en soi, car les guérillas agressent immédiatement tout ce qui a un rapport avec l’Etat. De plus, la protection de l’Etat ne prend pas en considération les particularités des indigènes et de leurs territoires et, surtout, l’organisme chargé de cette protection, le département administratif de la sécurité (DAS) est aussi en lien avec les paramilitaires et le narcotrafic…La protection de l’Etat ne sert donc à rien et il est même plus dangereux de l’accepter que d’être sans protection.
Comment continuez-vous votre engagement depuis l’Espagne?
J’utilise cette année en Espagne pour prendre contact et parler directement avec autant d’associations et d’organisations internationales que possible en Europe. Je leur demande du soutien, afin de tenter de protéger la vie de ceux qui sont en Colombie. Dans mon pays, nous sommes en lien étroit avec quelques organisations, mais en Europe, il y en a, bien entendu, bien plus tant dans le domaine de l’environnement que des droits humains. Elles ne travaillent pas en Colombie et ne connaissent pas notre situation mais qui peut-être qu’elles soutiendraient notre mouvement. Je peux donc rencontrer des organisations différentes de celles avec lesquelles je travaille en Colombie, qui font des choses différentes, qui nous soutiennent d’une manière différente.
Comment ces organisations, en Colombie ou depuis l’Europe, vous aident-elles ?
Les organisations peuvent nous aider de différentes manières, certaines envoient des bénévoles qui nous accompagnent, d’autres nous aident à mettre sur pied notre proposition de paix, d’autres encore nous donnent un soutien logistique ou de l’argent, afin que nous puissions organiser et effectuer notre grande manifestation. Amnesty International Espagne a des programmes de protection, qui proposent aux personnes menacées dans une région d’être déplacées pour un certain temps dans un autre endroit. Nous essayons de travailler aussi avec des organisations environnementales, syndicalistes et estudiantines. Notre but est de faire en sorte que toutes les organisations travaillant pour la Colombie travaillent dans le même sens, pour la même chose : la défense de la vie, la dignité des gens, les droits humains et environnementaux.
Quel rôle joue Amnesty International par rapport à votre situation personnelle?
Je suis pour l’instant à Madrid, pour une année, dans un programme de protection offert par la section espagnole d’Amnesty International. C’est un peu comme la pause entre les deux mi-temps dans un match de foot, j’ai joué la première partie, puis j’ai une pause mais je sais que je dois reprendre le match après. Mais si je suis protégé cette année par Amnesty, je ne sais pas ce qu’il en sera lorsque que je devrai rentrer en Colombie.
Pensez-vous qu’Amnesty International devrait en faire plus ?
Je ne veux pas sembler injuste envers Amnesty International. Elle n’est pas une organisation qui a la responsabilité de protéger les gens. Dans mon cas, elle le fait simplement par solidarité et je lui suis très reconnaissant.
Que pourrait faire, selon vous, Amnesty International pour contribuer à améliorer la situation ?
Amnesty International devrait peut-être se poser la question des alternatives possibles pour des personnes comme moi après une année de protection, ce qu’elle pourrait offrir après. Je fais actuellement une formation en Espagne et me pose ces questions, je n’ai moi-même pas de réponse concrète. Ce qu’Amnesty pourrait faire, ce serait de renforcer son programme de protection en Colombie même, mais aussi exiger directement des autorités colombiennes, d’une part, une réelle protection pour ces défenseurs des droits humains et, d’autre part, un rapport sur la situation des droits humains dans leur pays. Cependant, pour les cas individuels comme moi, je ne trouve pas vraiment de solution.
Quels sont vos craintes et vos espoirs?
Des craintes, j’en ai beaucoup. J’ai peur d’être assassiné. Après deux mois à Madrid, j’avais déjà reçu les premières menaces, bien que je sois en Espagne. Mon espoir est que je puisse contribuer à un processus de paix, afin qu’un jour, c’est mon rêve, la Colombie soit un pays où l’on pourra vivre en paix.