Dans un nouveau rapport, intitulé: «Saving lives is not a crime»: Politically motivated legal harassment of migrant human rights defenders by the USA, Amnesty International révèle comment le Département de la sécurité du territoire et le ministère de la Justice utilisent de plus en plus souvent le système pénal pour dissuader les militants, les avocats, les journalistes et les bénévoles humanitaires de contester ou même de signaler les violations systématiques des droits humains commises par les autorités américaines contre les migrants et les demandeurs d’asile.
«En prenant pour cible des défenseurs des droits humains par l’utilisation discriminatoire de la justice pénale, l’administration Trump s’engage sur la voie dangereuse de l’autoritarisme. Le gouvernement américain se couvre de honte en menaçant voire en poursuivant ses propres citoyens en raison de leur travail essentiel pour sauver la vie de personnes se trouvant dans une situation désespérée à la frontière», a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.
Le gouvernement des États-Unis a enquêté abusivement sur des défenseurs des droits humains en les accusant de crimes tels que le trafic d’êtres humains, en raison simplement de leurs activités humanitaires ou de leur expression d’opinions politiques. Si l’enquête la plus vaste a concerné les défenseurs des droits humains soutenant une caravane de migrants et de demandeurs d’asile en novembre 2018, les autorités ont continué de s’en prendre à ces militants et d’autres depuis lors, y compris ceux qui ne font qu’aider les demandeurs d’asile à connaître leurs droits et à solliciter une protection aux points d’entrée officiels des États-Unis.
Surveillance et restriction injustifiées
Les autorités américaines ont soumis des défenseurs des droits humains à une surveillance injustifiée, des interrogatoires, des fouilles invasives, des restrictions de la liberté de mouvement et, dans quelques cas isolés, une fausse arrestation et une détention illégale. Ils ont de ce fait violé la Constitution des États-Unis, le droit américain et international et les directives du Département de la sécurité du territoire – qui interdisent tous les restrictions discriminatoires de la liberté de parole et d’expression. Dans certains cas, les autorités du Mexique et des États-Unis auraient collaboré dans les restrictions illégales appliquées contre des défenseurs des droits humains à leur frontière commune.
Amnesty International a interrogé 23 défenseurs des droits humains, qui ont expliqué en détail les restrictions qu’ils subissent en raison de leurs activités professionnelles. Dix d’entre eux – cinq militants, trois avocats, un journaliste et un membre du clergé – ont été inscrits sur une liste de surveillance du Département de la sécurité du territoire, dans le cadre d’une enquête douteuse sur le trafic d’êtres humains. Ils ont raconté, de façon similaire, comment les autorités américaines utilisent la région frontalière pour procéder à des coups de filet, en abusant de leur pouvoir pour effectuer des fouilles sans mandat, interroger des voyageurs sur leurs finances et leurs réseaux professionnels et fouiller leurs appareils électroniques – vraisemblablement dans le but de trouver des éléments pour les poursuivre au pénal.
Expulsions choquantes
«Récemment, le président Trump a menacé d’arrêter et d’expulser des millions de personnes résidant de manière irrégulière aux États-Unis, y compris celles ayant des citoyens américains dans leur famille. Qui seront les prochaines personnes prises pour cible par les autorités au moyen d’accusations fallacieuses de trafic d’êtres humains, pour avoir simplement tenté d’aider les populations attaquées ?, a déclaré Erika Guevara-Rosas.
«L’administration Trump doit immédiatement cesser d’utiliser la justice pénale à des fins politiques et d’abuser de ses pouvoirs pour soumettre des défenseurs des droits humains à des fouilles, des arrestations et des interrogatoires à la frontière. Au lieu de s’en prendre à des avocats, des journalistes et des militants qui ne font qu’essayer d’empêcher des violations des droits humains, le gouvernement devrait les écouter.»
Depuis le début de l’année, les autorités américaines ont déjà poursuivi au pénal neuf bénévoles humanitaires de l’organisation No More Deaths/No Más Muertes pour avoir fourni une aide humanitaire à des migrants et des demandeurs d’asile à la frontière de l’Arizona avec le Mexique, où des milliers de personnes ont péri au cours des deux dernières décennies. Parmi les chefs d’accusation les plus graves, Scott Warren a été poursuivi pour avoir « abrité » deux migrants et avoir planifié de les transporter, uniquement parce qu’il leur a fourni de la nourriture, de l’eau et une assistance médicale dans sa ville, Ajo, située dans une région désertique de l’Arizona. Son procès a été déclaré nul le 11 juin, mais le parquet fédéral n’a pas encore abandonné les poursuites contre lui.
«Des bénévoles humanitaires sauvent la vie de migrants et de demandeurs d’asile depuis des années, sur un terrain désertique hostile que les autorités utilisent comme arme contre les migrants avec des conséquences fatales.» - Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.
«Des bénévoles humanitaires sauvent la vie de migrants et de demandeurs d’asile depuis des années, sur un terrain désertique hostile que les autorités utilisent comme arme contre les migrants avec des conséquences fatales. Le gouvernement américain doit immédiatement abandonner toutes les poursuites visant Scott Warren, ainsi qu’adopter et appliquer des exonérations de poursuites pénales dans toutes les situations où de l’aide humanitaire est fournie», a déclaré Erika Guevara-Rosas.
Bénévoles inquiétés en Europe
En Europe, les individus portant assistance à des personnes sans statut légal sont également dans le viseur des autorités. En France, notamment dans la région de Calais, celles et ceux qui offrent une assistance humanitaire aux personnes déracinées, dénoncent des violences verbales et physiques de la part de la police. En Italie, des membres d’équipage d’opérations de sauvetage en Méditerranée font également l’objet de poursuites judiciaires. Carola Rackete, la capitaine du bateau humanitaire Sea Watch-3 qui a secouru une quarantaine de migrants, risque jusqu’à dix ans de prison. Son délit : avoir forcé le blocus des eaux territoriales italiennes pour accoster à Lampedusa.
Augmentation des condamnations en Suisse
En Suisse aussi, des personnes solidaires qui viennent en aide à des individus en détresse sans statut légal sont poursuivies pour infraction à l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEtr). On leur reproche de «faciliter l’entrée, le séjour ou la sortie illégaux» sur le territoire. L’Office fédéral de la statistique vient de publier les derniers chiffres relatifs à cette «infraction». En 2018, 885 condamnations ont été prononcées, soit 10% de plus par rapport à 2017. En revanche, le nombre de cas aggravés - lorsque l’auteur agit pour s’enrichir ou en bande organisée - est passé de 42 à 32. Soit une diminution de 25%. Les «cas de peu de gravité», faisant l’objet d’une simple amende, sont restés les mêmes : 17 cas en 2017 et 2018.
Ces chiffres n’expliquent pas les motifs pour lesquels les personnes condamnées ont agi. Il est, en l’état, impossible de déterminer combien de condamnations concernent des passeurs et combien sont des cas de «délit de solidarité». Malgré une interpellation déposée en décembre 2018 par la Conseillère aux États Anne Seydoux-Christe, le Conseil fédéral n’a pas jugé nécessaire de clarifier ces statistiques.