À travers les épopées de Janis Joplin, Jimi Hendrix ou Jim Morrison, très jeune je comprends que Woodstock et Mai 68 ont représenté un tournant. Libération sexuelle, mouvements pacifistes et pour les droits civiques, et courants artistiques concomitants. Et, de manière beaucoup plus tangible : contraception et droit à l’avortement. J’ai toujours eu une conscience limpide de ce que signifiaient ces acquis : la possibilité d’exercer mon autonomie corporelle (un droit fondamental) et de constituer une solide autonomie financière avant de choisir de devenir mère. Que ces acquis soient à présent lourdement entravés pour des millions de femmes et de jeunes filles aux États-Unis me glace le sang. Sans compter les conséquences dramatiques pour toutes celles qui continueront à se faire avorter, envers et contre tout.
Car la décision de la Cour suprême de révoquer l’arrêt Roe vs. Wade – conséquence de son remaniement conservateur par Donald Trump – ne fera pas diminuer le nombre d’avortements. Ce n’est pas parce que l’on empêche des femmes et des jeunes filles d’avorter qu’elles n’ont plus besoin de cette intervention. D’ailleurs, les interdictions ou restrictions des avortements ne font pas baisser leur nombre. Elles ne font que contraindre des personnes à se faire avorter dans des conditions dangereuses. Ainsi, l’État de Géorgie, ouvertement hostile à l’avortement, possède l’un des taux d’interruptions volontaires de grossesse les plus élevés des États-Unis.
En aucun cas les partisan·ne·s de l’interdiction de l’avortement n’atteindront l’objectif de sauver des vies, déclamé dans leur litanie rétrograde. Contrairement à un avortement légal réalisé par un·e professionnel·le de la santé qualifié·e, les avortements clandestins ont des conséquences mortelles : ils sont la (!) troisième cause de mortalité maternelle à travers le monde d’après l’OMS. En outre, les taux d’avortement sont plus faibles lorsque les personnes, en particulier les adolescent·e·s, ont accès à des méthodes de contraception modernes, jouissent d’une éducation sexuelle et ont accès à des services d’avortement sûrs et légaux.
En revanche, ce que les antiavortements ont obtenu, c’est une victoire dans le cadre d’une campagne visant à contrôler le corps des femmes. Elle ouvre malheureusement la voie à d'autres projets de loi aux même relents puritains et susceptibles de dépouiller les gens de leurs droits fondamentaux en ce qui concerne le contrôle des naissances, l'égalité des genres ou l’orientation sexuelle.
Comme pour la peine de mort, la décision prise par la Cour suprême laisse désormais chaque État libre d’autoriser l’avortement ou non. Vingt-six États sont susceptibles d’abroger ce droit. Le Missouri l’a fait en l’espace de quelques heures, suivi de l’Arkansas et de l’Oklahoma. Dix autres États disposent déjà de législations prêtes à être dégainées. Concrètement, près de la moitié des femmes vivant aux États-Unis sont concernées. Elles seront forcées à poursuivre leur grossesse et à accoucher ou de se débrouiller clandestinement pour interrompre leur grossesse – risquant leur réputation, des poursuites pénales, leur santé et leur vie. À moins de voyager dans d’autres États où les avortements resteront légaux. Les femmes et les jeunes filles avec de faibles revenus et celles issues de minorités seront affectées de manière disproportionnée, car elles n’auront pas les moyens de recourir à des services sûrs et légaux dans un autre État.
La décision de la Cour suprême est une régression qui va à contrecourant de la tendance internationale. Ces 60 dernières années, plus de 30 pays ont modifié leur législation pour faciliter l’accès à l’avortement. Cette décision nous rappelle que les acquis liés aux droits des femmes demeurent fragiles, et à quel point il importe d’y veiller et de continuer à les promouvoir. En Suisse, nos parlementaires auront l’occasion de le faire : en adoptant un droit pénal en matière sexuelle qui inscrit explicitement le consentement dans la définition du viol !