Intitulé Abortion in America: The U.S. Human Rights Crisis in the Aftermath of Dobbs, ce rapport présente plusieurs cas de personnes ayant subi les conséquences des lois et des pratiques restrictives dans les États où elles vivent.
En plus des interdictions et de restrictions concernant l’avortement dans 21 États, les obstacles aux soins d’urgence et les initiatives visant à rendre les avortements pénalement répréhensibles ont entraîné une crise des droits humains dans le pays. La diffusion de fausses informations et la stigmatisation de l’avortement ainsi que les soins non conventionnels dispensés par les « centres d’information en cas de grossesse non désirée » – souvent tenus par des militant·e·s anti-avortement – contribuent également à cette crise, selon le rapport.
« En raison de ces obstacles et interdictions, l’accès d’une personne aux soins liés à l’avortement dépend du lieu où elle vit et des ressources dont elle dispose, déclare Jasmeet Sidhu, chercheuse expérimentée travaillant pour Amnesty International États-Unis.
« C’était extrêmement douloureux d’avoir à expliquer au médecin que ma fille adolescente avait été violée, puis de l’entendre me répondre qu’il ne pouvait rien faire pour aider. »Une mère résidant dans l’État du Mississippi
« L’accès aux soins de santé reproductive, y compris aux avortements, ne doit pas dépendre de l’État où quelqu’un habite ni de sa capacité à se rendre dans un autre État. Le contexte actuel empêche certaines personnes d’accéder aux soins liés à l’avortement, et ce n’est pas ainsi que sont censés s’appliquer les droits fondamentaux. »
Amna Dermish est une gynécologue-obstétricienne établie au Texas qui est spécialisée dans la planification familiale. Elle déclare à Amnesty International : « Pendant très longtemps, chaque jour où je pouvais venir dans ce centre de soins et voir des patient·e·s, j’avais le sentiment de gagner. Puis la décision Dobbs a en quelque sorte emporté tout ça. Je ne m’en suis toujours pas remise. C’était horrible. J’avais des crises d’angoisse tous les jours. Aucun prestataire de soins ne devrait se retrouver dans cette situation. Et surtout, aucun·e patient·e ne devrait se retrouver dans une situation où son prestataire de soins est en mesure de lui fournir des soins et en est empêché par le gouvernement. »
Une discrimination intolérable
Grâce à des extraits d’entretiens approfondis avec des personnes enceintes, des familles, des militant·e·s, des spécialistes de la santé publique et des professionnel·le·s de santé dans des États où l’avortement est interdit, le rapport met en lumière les préjudices et la discrimination que subissent de nombreuses personnes à travers le pays. Ces histoires déchirantes montrent que toutes les grossesses sont différentes et que chaque personne enceinte doit avoir le droit de décider si elle veut avorter, sans que les autorités s’en mêlent.
Le rapport est ponctué d’exemples de personnes qui ont parcouru des centaines de kilomètres pour pouvoir avorter, et d’autres qui n’ont pas pu payer le déplacement et ont été contraintes de mener leur grossesse à terme contre leur volonté. Dans d’autres cas, des personnes ont été forcées à mener leur grossesse à terme malgré des situations de viol sur mineur·e, de graves anomalies fœtales ou de risques pour leur santé.
« C’était extrêmement douloureux d’avoir à expliquer au médecin que [ma fille adolescente] avait été violée, puis de l’entendre me répondre qu’il ne pouvait rien faire pour aider », raconte une mère résidant dans l’État du Mississippi qui a dû faire plus de sept heures de route pour rejoindre un centre pratiquant des avortements dans l’Illinois et payer 1 595 dollars pour l’avortement de sa fille et près de 500 dollars pour un hôtel.
Certaines personnes enceintes ont évité de voir un médecin lors d’une fausse couche par crainte d’être poursuivies à tort en justice. D’autres n’ont pas trouvé de médecin ou de traitement en raison de l’absence de soins d’urgence et de la crainte des prestataires de santé de faire également l’objet de poursuites pour avoir fourni les soins nécessaires à un·e patient·e.
Notre chercheuse Jasmeet Sidhu déclare : « Certaines de ces lois ne sont absolument pas claires et presque impossibles à comprendre. Le contexte actuel porte atteinte aux droits des personnes enceintes, suscite de la peur et de la stigmatisation, met les professionnel·le·s de santé dans des situations horribles et contribue en fin de compte à empêcher des personnes enceintes de recevoir les soins dont elles ont besoin. Nous vivons une crise sans précédent. »
Un impact disproportionné sur les groupes de population marginalisés
Les interdictions d’avorter et autres mesures restrictives appliquées dans certains États ont un impact disproportionné sur les groupes de population les plus marginalisés, qui sont déjà confrontés à des formes de discrimination multiples et convergentes. Le rapport contient de nombreuses histoires de personnes enceintes qui sont noires, autochtones, sans papiers, LGBTQI+, en situation de handicap, installées en zone rurale et/ou qui ont des revenus faibles.
Une femme latino-américaine vivant au Texas et enceinte de jumeaux, qui a appris à 12 semaines de grossesse que l’un d’eux souffrait d’un problème mortel in utero qui pouvait menacer la vie de l’autre jumeau, explique avoir été contrainte de sortir de l’État pour sauver le fœtus viable.
« C’était l’expérience la plus traumatisante de ma vie et elle a été rendue encore bien pire, inutilement, à cause de ces lois illogiques et dangereuses.
« Ces interdictions vont rendre tellement plus complexe, tabou et difficile l’accès à des soins médicaux adaptés », a-t-elle déploré.
Le rapport comporte une longue liste de recommandations adressées aux autorités des États et au gouvernement fédéral – notamment celle de protéger à l’échelle fédérale le droit à l’avortement, ainsi que des mesures pour garantir l’égalité d’accès à l’avortement médicamenteux et aux services de soins d’urgence – et appelle les États-Unis à ratifier les traités internationaux relatifs aux droits humains qui garantiraient l’accès des personnes enceintes aux soins dont elles ont besoin.