Haïti La justice haïtienne est-elle à la hauteur?

25 février 2013
Déférer à la justice des chefs d’État, qu’ils soient encore en exercice ou non, est toujours très complexe sur le plan juridique et politique, mais c’est faisable. En Haïti, cependant, traduire en justice Jean-Claude Duvalier semble relever de l’impossible. Par Javier Zuñiga, conseiller spécial d’Amnesty International.

L’ancien dirigeant a fait preuve de mépris à l’égard de la justice et des victimes en refusant de comparaître lors de deux précédentes audiences afin de répondre de son rôle présumé dans ces crimes.

Encore plus inquiétant, le comportement des autorités haïtiennes dans le cadre de cette procédure indique qu’elles ne sont pas réellement déterminées à amener Jean-Claude Duvalier à répondre de crimes contre l’humanité devant la justice. Dans plusieurs déclarations publiques, le président Martelly a laissé entendre que Jean-Claude Duvalier pourrait être gracié. Parallèlement, l’ancien dirigeant haïtien a continué à prendre part à des manifestations publiques bien qu’il ait été placé en résidence surveillée le temps que les accusations portées contre lui fassent l’objet d’une enquête. Il s’est récemment vu délivrer un passeport diplomatique. Ce sont là des signes clairs que les autres pouvoirs de l’État sont favorables à ce que l’ancien dictateur bénéficie d’une immunité de poursuites.

Des violations des droits humains avérées
Je suis pour ma part convaincu qu’il existe suffisamment d’éléments permettant d’engager des poursuites contre Jean-Claude Duvalier pour le grand nombre de détentions arbitraires, d’actes de torture, de morts en détention, d’homicides et de disparitions ayant eu lieu alors qu’il était au pouvoir.

Je n’oublierai jamais la visite que j’ai effectuée en Haïti en 1983. Un ancien prisonnier m’a décrit les sévices qu’on lui avait fait endurer: «Je fus définitivement séparé des autres ouvriers et transféré dans une cellule souterraine cachée sous le Palais national, qui ne recevait pas la lumière du jour. Grâce à la lampe électrique des gardiens, j’ai pu cependant apercevoir des squelettes, probablement ceux d’anciens prisonniers, étendus sur le sol. Il me semblait vivre un cauchemar à l’intérieur d’une immense tombe sous le Palais national».

Durant les années au pouvoir de Jean-Claude Duvalier, les violations perpétrées contre les prisonniers politiques en Haïti commençaient généralement par l’arrestation arbitraire de la victime, se poursuivaient par un placement prolongé au secret sans inculpation ni procès, et s’achevaient parfois par une exécution extrajudiciaire ou une disparition. Certains ont été torturés en prison, dans des casernes militaires et des postes de police. Des responsables locaux de la police dirigeaient même des centres de détention de taille réduite, parfois à leur propre domicile.

Croire malgré tout en la justice haïtienne

Il est possible que le cas de Jean-Claude Duvalier soit un casse-tête pour la justice haïtienne, mais il révèlera par ailleurs dans quelle mesure celle-ci est crédible et indépendante. Traduire en justice les responsables présumés de violations passées des droits humains garantira que personne ne bénéficie de l'impunité pour des crimes de ce type, même à l’heure actuelle.

Malgré les retards accumulés, je veux encore croire dans la capacité de la justice haïtienne à accomplir ce que presque tout le monde estime impossible. Renoncer à agir du fait des pressions ou des ingérences condamnera les générations passées, présentes et futures de Haïtiens à un monde d’injustice.