Mária Sánchez dans la chambre de sa fille, Teodora, qui a été condamnée à 30 années de détention après une fausse couche. © Amnesty International
Mária Sánchez dans la chambre de sa fille, Teodora, qui a été condamnée à 30 années de détention après une fausse couche. © Amnesty International

EL SALVADOR L'interdiction totale de l'avortement est synonyme de traumatisme et de pauvreté pour les proches

7 décembre 2015
Au Salvador, la loi interdisant l'avortement en toutes circonstances a des effets dévastateurs sur la vie de nombreux enfants dont les mères, après une fausse couche ou une urgence obstétrique, sont accusées d'avoir avorté illégalement et emprisonnées, écrit Amnesty International dans un rapport paru lundi 30 novembre 2015.

Le rapport d'Amnesty intitulé Separated relatives, broken ties révèle que les enfants de femmes incarcérées au titre de cette loi absurde se retrouvent souvent dans des situations financières difficiles et ont bien du mal à rester en contact avec leur mère.

«À chaque fois que les autorités du Salvador enferment injustement une femme qui a fait une fausse couche ou a souffert de complications liées à la grossesse, elles condamnent également ses enfants à la pauvreté et aux traumatismes», a déclaré Astrid Valencia, chercheuse sur l'Amérique centrale à Amnesty International. 

À chaque fois que les autorités du Salvador enferment injustement une femme qui a fait une fausse couche ou a souffert de complications liées à la grossesse, elles condamnent également ses enfants à la pauvreté et aux traumatismes
Astrid Valencia, chercheuse sur l'Amérique centrale à Amnesty International

«Le Salvador adopte l'approche "coupable jusqu'à preuve du contraire" lorsqu'il s'agit des femmes qui souffrent de complications liées à la grossesse : cela coûte la vie à nombre d'entre elles, en conduit certaines à passer jusqu'à 40 ans en prison et crée un climat de peur parmi les médecins et les patientes. Il est grand temps que le Salvador abolisse cette interdiction d'un autre âge», ajoute la chercheuse.

En raison de la criminalisation de l'interruption de grossesse en toutes circonstances, au moins 19 femmes se trouvent actuellement en prison, déclarées coupables de graves infractions telles que l'homicide et condamnées à de lourdes peines sur la base de preuves minces et peu concluantes. La plupart d'entre elles étaient le principal soutien de leur famille. Depuis leur incarcération, leur famille élargie assume la responsabilité de subvenir aux besoins de leurs enfants et de s'en occuper, souvent dans des conditions très difficiles. 

Le manque de ressources financières et les longues distances pour se rendre dans les prisons empêchent bien souvent les familles de leur rendre visite. Dans certains cas, les femmes n'ont pas pu voir leurs enfants pendant des mois. 

C’est le cas de Teodora del Carmen Vásquez. La jeune mère de famille, 32 ans, purge actuellement une peine de 30 ans de prison pour «homicide avec circonstances aggravantes», après avoir fait une fausse couche sur son lieu de travail. Son fils n’avait que 3 ans lorsque Teodora a été emprisonnée. C’était en 2008. Âgé maintenant de 11 ans, il vit à la charge de ses grands-parents. En raison de moyens financiers extrêmement limités, la famille de Teodora peut rarement lui rendre visite : «Cela nous coûte cher [d’aller en prison] car mon mari ne touche plus de salaire…Parfois, nous n’avons même pas assez d’argent pour manger», explique Maria, la maman de Teodora. La jeune détenue n’a ainsi plus revu son fils depuis plus d’une année.

Maria raconte aussi que lorsqu'elle a accompagné le garçon rendre sa première visite à Teodora, elle lui a demandé d'être courageux, de ne pas pleurer et de se montrer fort. Elle relate à quel point cela a été dur pour le fils de Teodora, qui n'avait même pas quatre ans à l'époque. Lorsqu'il a fallu quitter la prison, il s'est cramponné à sa mère et lui a dit: «Maman, je te prends avec moi. Pourquoi ne te transformes-tu pas en colombe pour sortir d’ici et venir avec nous? Je ne veux pas te laisser ici.»

La condamnation de Teodora a non seulement engendré des conséquences dramatiques sur le bien-être psychique de la famille, mais elle a également aggravé une précarité financière déjà bien présente : «Elle [Teodora] payait pour l’école de son fils. Elle me donnait de l’argent pour la maison aussi. Son salaire couvrait nos principaux besoins. Lorsqu’elle a été envoyée là-bas [en prison], je savais que je n’allais pas être capable de gérer la situation», explique la maman de Teodora.

Ecrire une lettre pour Teodora

Dans le cadre du Marathon des lettres 2015, Amnesty International exhorte le ministre de la Justice du Salvador à libérer sans délai Teodora del Carmen Vásquez et à réexaminer immédiatement et de façon impartiale les peines de toutes les femmes qui sont toujours derrière les barreaux pour des faits relatifs à une grossesse.

Ecrire une lettre pour Teodora

En savoir plus sur le Marathon des lettres.

Informations complémentaires sur la législation au Salvador

Depuis une modification du Code pénal en 1998, l'interruption de grossesse est illégale en toutes circonstances au Salvador – même dans les cas de viol, d’inceste ou lorsque la vie de la femme est en danger. Cette modification a débouché sur des poursuites injustifiées et un détournement de la loi pénale, qui fait que les femmes sont immédiatement présumées coupables. Celles qui disposent de faibles ressources économiques sont particulièrement touchées par cette interdiction. 

Dans le cadre d’une campagne mondiale intitulée «My Body, My Rights», Amnesty International appelle le gouvernement du Salvador à décriminaliser l'interruption de grossesse et à garantir l'accès à des services d'avortement sûrs et légaux au moins pour les femmes et les jeunes filles dont la grossesse met en danger la vie ou la santé, lorsque la grossesse est le résultat d’un viol ou lorsque le fœtus présente de graves malformations.