Lors des manifestations anti-gouvernementales de février 2014, quarante-trois personnes sont mortes et huit cent septante-huit autres ont été blessées.© Carlos Becerra
Lors des manifestations anti-gouvernementales de février 2014, quarante-trois personnes sont mortes et huit cent septante-huit autres ont été blessées. © Carlos Becerra

Venezuela Le cercle vicieux de la violence et de l'impunité

Le manquement du Venezuela à son devoir consistant à enquêter sur les responsables présumés de la mort de quarante-trois personnes et des blessures et de la torture de centaines d’autres lors de manifestations en 2014, et à traduire ces individus en justice le cas échéant, donne dans les faits le feu vert à d'autres violations et flambées de violence, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public mardi 24 mars 2015.

Ce document, intitulé The faces of impunity: A year after the protests, victims still await justice, se penche sur des cas dans lesquels des personnes ont perdu la vie ou ont été soumises à une arrestation arbitraire ou à la torture en détention, pendant et après les manifestations ayant ébranlé le pays entre février et juillet 2014. Des manifestants, des passants et des membres des forces de sécurité figurent parmi les morts et les blessés. Certains se trouvent toujours derrière les barreaux dans l'attente de leur procès.

Injustices

«Les Vénézuéliens devraient pouvoir manifester pacifiquement sans avoir à craindre de perdre la vie ou d’être illégalement placés en détention», a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.

«Chaque jour qui passe sans que l’on ne combatte l’ensemble des violations des droits humains qui ont été perpétrées durant les manifestations est un jour de plus où les victimes et leur famille ont le cœur brisé par l’injustice. Il faut que cela cesse.»

Arrestations arbitraires

Pendant ces manifestations, trois mille trois cent cinquante et une personnes ont été arrêtées, dont des dizaines arbitrairement. La plupart ont également été libérées sans avoir été inculpées. Cependant, mille quatre cent quatre personnes sont actuellement poursuivies en justice et vingt-cinq sont maintenues en détention dans l’attente de leur procès.

Amnesty International a pu consulter le dossier de cinq personnes inculpées qui sont actuellement incarcérées et a conclu qu’elles faisaient l’objet d’une détention arbitraire. Deux d’entre elles ont été libérées depuis lors, dans l’attente de leur procès.

Impunité

Certaines informations attestent que des policiers ont laissé des groupes pro-gouvernementaux armés brutaliser manifestants et passants, et même entrer illégalement au domicile de certaines personnes, notamment avec des armes à feu.

Guillermo Sánchez est mort après qu’un groupe armé pro-gouvernemental l’a frappé et lui a tiré dessus à La Isabelica (dans l’État de Valencia) en mars 2014. Son épouse, Ghina Rodríguez, et leurs deux enfants ont fui le pays après avoir reçu des menaces de mort pour avoir demandé justice. Ils continuent à attendre que les responsables présumés de l’homicide de Guillermo soient amenés à rendre des comptes.

Harcèlements et intimidations

Les proches d’autres victimes et leurs avocats ont également indiqué avoir été harcelés et visés par des actes d’intimidation en raison de leurs actions ayant pour but d’obtenir justice et réparations. Des défenseurs des droits humains ayant signalé des violations graves ont également été agressés.

Plutôt que d’aborder la question, le ministère de la Défense a diffusé à la fin janvier 2015 une résolution autorisant le déploiement de toutes les sections des forces armées dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, notamment lors des manifestations publiques. Le ministère a également autorisé l’utilisation d’armes à feu lors de ces opérations.

Recours injustifié à la force

«Le recours à une force injustifiée ou disproportionnée est précisément ce qui a précipité les événements tragiques de l’an dernier. Au lieu de mettre de l’huile sur le feu en adoptant des dispositions qui habilitent l’armée à agir lors des manifestations de rue, les autorités vénézuéliennes doivent clairement faire passer le message que l’utilisation d’une force excessive ne sera pas tolérée», a déclaré Erika Guevara.

Le rapport d’Amnesty International revient sur les événements de février 2014, lors desquels des milliers de manifestants anti-gouvernementaux sont descendus dans la rue ; quarante-trois personnes sont mortes, dont huit responsables de l’application des lois, et huit cent septante-huit autres ont été blessées, notamment près de trois cent membres des forces de sécurité.

Torture et mauvais traitements en détention

Amnesty International a recensé des dizaines de cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements en détention. Des détenus ont ainsi été frappés, brûlés, agressés sexuellement, asphyxiés, électrocutés et menacés de mort.

Parmi les personnes se trouvant encore derrière les barreaux figurent Leopoldo López, un responsable de l’opposition, Daniel Ceballos, le maire de San Cristóbal (État de Táchira), et Rosmit Mantilla, un militant en faveur des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées. Tous trois appartiennent au parti d’opposition Volonté populaire. Ils doivent tous être libérés.

Enquêtes

Dans la majorité des cas, les responsables présumés n'ont pas eu à rendre de comptes devant la justice.

Le ministère public a enquêté sur deux cent trente-huit signalements de violations des droits humains, mais seuls treize ont débouché sur des poursuites.

Par ailleurs, selon le parquet général, trente policiers ont été inculpés en relation avec la mort de manifestants, le recours à une force excessive, et des cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Jusqu’à présent, trois responsables de l’application des lois ont été déclarés coupables de mauvais traitements et quatorze officiers ont été placés en détention. Un mandat d’arrêt a été émis contre un autre policier mais il n’a pas encore été exécuté. Les douze officiers restants se sont vu accorder une libération conditionnelle.


24 mars 2015