La lutte contre la drogue au Bangladesh coûte au moins une vie humaine par jour. © pixabay / Image d'icône (droits expirés de l'image originale de cet article)
La lutte contre la drogue au Bangladesh coûte au moins une vie humaine par jour. © pixabay / Image d'icône (droits expirés de l'image originale de cet article)

Bangladesh Des homicides extrajudiciaires présumés perpétrés sous couvert de «guerre contre la drogue»

Communiqué de presse publié le 4 novembre 2019, Berne/Genève. Contact du service de presse
Les autorités du Bangladesh auraient tué près de 400 personnes dans le cadre de leur campagne de lutte contre la drogue; il s’agirait d’une vague d’exécutions extrajudiciaires. Dans un rapport, Amnesty International dévoile des allégations de disparitions forcées et de preuves forgées de toutes pièces par les organes chargés de faire respecter la loi dans ces cas d’exécutions extrajudiciaires présumées.

Ce rapport, intitulé Killed in “Crossfire”: Allegations of Extrajudicial Executions in Bangladesh in the Guise of a War on Drugs, révèle que les autorités bangladaises n’enquêtent pas sur la mort des victimes présumées d’«échanges de tirs». En 2018, on a recensé 466 exécutions extrajudiciaires présumées, soit trois fois plus qu’en 2017, ce qui établit un nombre record en une seule année depuis des décennies.

«La "guerre contre la drogue" se traduit par la mort d’au moins une personne par jour. Certains suspects ont disparu de force de chez eux et leurs proches ne les ont revus qu’à la morgue, le corps criblé de balles.» Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Asie du Sud à Amnesty International.

«La "guerre contre la drogue" se traduit par la mort d’au moins une personne par jour. Dès que le Bataillon d’action rapide (RAB) entre en scène, il agit en dehors du cadre de la loi: les suspects ne sont pas arrêtés et encore moins jugés. Certains ont disparu de force de chez eux et leurs proches ne les ont revus qu’à la morgue, le corps criblé de balles, a déclaré Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Asie du Sud à Amnesty International.

«Les autorités bangladaises doivent mettre fin à ces homicides immédiatement. Les opérations antidrogue sèment la terreur dans des quartiers parmi les plus pauvres du pays, où les habitants ont peur du moindre soupçon qui pourrait peser sur eux concernant la consommation de stupéfiants, car cela pourrait signifier l’exécution extrajudiciaire de leurs proches.»

La tendance se poursuit cette année encore. Au cours des six premiers mois de 2019, au moins 204 personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires présumées entre les mains des responsables de l’application des lois – soit plus d’une par jour.

Au lieu de diligenter des enquêtes fiables sur ces homicides, les autorités auraient cherché à fabriquer des preuves pour étayer leurs versions faisant état de «fusillades» ou de «tirs croisés».

Lors d’interviews réalisées par Amnesty International, de soi-disant «témoins» ont révélé qu’ils n’avaient pas vu ce qui s’était passé, mais que la police leur avait demandé de fournir des déclarations inventées étayant sa version, selon laquelle les homicides s’étaient déroulés dans le cadre d'«affrontements armés» ou de «tirs croisés».

Dans tous les cas qu’Amnesty International a examinés, les victimes ont tout d’abord été soumises à des disparitions forcées, d’une durée variant entre une journée et un mois et demi, avant que leurs cadavres ne soient retrouvés. Dans l’un des cas, les proches de la victime ont affirmé avoir tenté de soudoyer les policiers en échange de sa libération, mais sans résultat.

Allégations de «tirs croisés» et preuves inventées

Les responsables bangladais font régulièrement valoir que les victimes d’exécutions extrajudiciaires manifestes ont en fait été tuées dans le cadre d’affrontements armés, au cours desquels ce sont les suspects qui ont ouvert le feu sur les membres des forces de l’ordre, les contraignant alors à recourir à la force meurtrière.

Amnesty International s’est entretenue avec des soi-disant «témoins», qui ont affirmé avoir été emmenés contre leur gré sur la scène du crime une fois que les homicides avaient eu lieu.

«Nous n’avons rien vu, a ainsi déclaré l’un d’entre eux. Ils ont appelé et m’ont emmené avec eux sur le site vers 5h30 et m’ont demandé d’être témoin de ce qu’ils prélevaient sur place. Je n’ai vu qu’une moto, rien d’autre.»

Au moins cinq témoins interrogés ont déclaré qu’ils avaient été emmenés contre leur gré sur les lieux des événements. Ils n’ont pas osé dire non lorsque la police leur a demandé d’endosser le rôle de témoins, par peur des représailles. Les forces de sécurité ont relevé leurs signatures, leurs noms, leurs numéros de téléphone et leurs coordonnées.

Demandes de pots-de-vin

«Suleman » (son nom a été modifié), 35 ans, vivait dans une hutte au toit de chaume avec sa fille de huit ans. Ayant du mal à joindre les deux bouts, selon sa famille, Suleman dépendait de ses frères et sœurs pour la nourriture et d’autres dépenses.

Selon ses proches, avant qu’il ne soit tué lors d’une «fusillade», Suleman avait téléphoné à un proche pour lui dire que la police réclamait 20 000 takas (213 euros) pour sa libération et lui a demandé de réunir cette somme. L’un des membres de sa famille a confirmé qu’il avait versé l’argent à la police, qui a alors demandé 50 000 takas (532 euros) supplémentaires – «ou alors ils me tueront», a assuré Suleman à ce proche.

Anxieux de savoir où se trouvait Suleman, ses proches se sont rendus au poste de police où on leur a dit qu’il avait été transféré en prison. Trois ou quatre jours après l’appel téléphonique, ils ont appris que Suleman était mort dans un «échange de tirs».

Disparitions forcées

Toutes les victimes d’« échanges de tirs » ont été soumises à des disparitions forcées aux mains de la police et du Bataillon d'action rapide (RAB) avant leur mort. Lorsque leurs proches se lancent à leur recherche, les autorités nient les détenir ou refusent de dire où elles se trouvent.

«Rahim» (son nom a été modifié) a été victime d’une disparition forcée au domicile de sa belle-famille. Huit jours plus tard, on retrouvait son cadavre. Le Bataillon d'action rapide a assuré qu’il était mort au cours d’un «échange de tirs».

«Bablu Mia» (son nom a été modifié) a été victime d’une disparition forcée sur un grand axe routier, après avoir été arrêté par deux agents du RAB habillés en civil, selon son frère, qui a déposé plainte auprès de la police en relatant en détail les faits. Un mois et demi plus tard, le RAB a répondu que Bablu Mia était mort lors d’un «échange de tirs».

Investigations

Amnesty International demande aux autorités bangladaises de mener dans les meilleurs délais des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur la vague d’exécutions extrajudiciaires et de violations des droits humains commises par la police et le Bataillon d'action rapide dans le cadre de leurs opérations de lutte antidrogue.

«Ces homicides ont lieu dans le contexte plus vaste d’une interdiction totale en matière de stupéfiants sur laquelle le gouvernement bangladais s’appuie pour sanctionner délibérément et agresser violemment des citoyens, notamment les plus marginalisés. Le gouvernement doit mener des investigations rapides et efficaces et amener les responsables à rendre des comptes. Il doit de toute urgence réorienter sa stratégie en matière de contrôle des stupéfiants afin de veiller à ce qu’elle protège les citoyens au lieu de leur nuire», a déclaré Dinushika Dissanayake.

Complément d’information

Amnesty International a recensé au total sept cas d’exécutions extrajudiciaires présumées en se rendant sur les lieux et en interviewant 40 personnes, dont des familles de victimes, des «témoins» dont les déclarations ont été obtenues de force par des responsables de l’application des lois, des habitants des quartiers où se sont déroulés les faits et des militants des droits humains au Bangladesh. Les interviews, réalisées en novembre 2018, ont été complétées par des recherches documentaires, puis par la triangulation des informations.