Cette situation entraîne un risque accru de compromettre la mission principale de cette instance, qui est de rendre justice aux victimes des Khmers rouges et à la population cambodgienne dans son ensemble, afin de laisser un héritage de respect de l’état de droit.
Amnesty International appelle les CETC à adopter des règles, des politiques et des pratiques qui garantissent la transparence, l’accessibilité – en particulier celle des victimes –, une poursuite énergique des enquêtes et des procès, et un rejet ferme de toute ingérence abusive ou injustifiée dans le cours de la justice.
Le 29 avril 2011, les co-juges d’instruction ont annoncé la conclusion de leur enquête sur l’affaire 003, vraisemblablement sans avoir utilisé aucun des moyens d’investigation considérables mis à leur disposition.
Ils n’ont pas démontré que leur décision faisait suite à une enquête exhaustive et rigoureuse, comme l’exigent les règles internes du tribunal et les normes internationales.
Ils n’ont pas procédé, comme ils l’auraient dû, aux mesures suivantes:
* convoquer et interroger les suspects, les personnes inculpées, les victimes et les témoins;
* saisir des pièces à convictions;
* effectuer des visites sur les lieux des faits;
* consulter des experts;
* demander des informations et de l’aide à d’autres États, aux Nations unies et à des ONG.
Cette approche déraisonnable est, de façon inquiétante, proche du souhait exprimé par certains dirigeants politiques cambodgiens de ne pas voir d’autres procédures et de mettre fin aux procès devant les CETC une fois que les affaires 001 et 002 seraient conclues.
De plus, elle ne satisfait même pas aux exigences minimales du droit international et des normes internationales en matière d’enquêtes sur les graves atteintes aux droits humains, selon lesquelles des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales doivent être menées dans les meilleurs délais.
Déclaration publique du co-procureur rétractée
Dans sa déclaration du 9 mai 2011, le co-procureur international a rendu publics pour la première fois les lieux et le déroulement des crimes concernés par le dossier de l’affaire 003, et il a fait part de son intention de demander des investigations supplémentaires car il estimait que ces crimes présumés n’avaient pas fait l’objet d’une enquête exhaustive. Il a également signalé qu’il comptait requérir auprès des co-juges d’instruction une prolongation du délai imparti aux victimes pour se porter partie civile.
L’ordre que ces derniers lui ont alors donné de rétracter sa déclaration publique illustre une insistance à exiger un degré excessif de confidentialité qui passe avant le droit qu’ont les victimes et le public d’être informés de la suite des événements au sein des CETC.
En outre, cet ordre remet en question l’obligation qui incombe aux CETC de garantir l’indépendance de leurs procureurs. La déclaration du co-procureur international contenait des informations utiles pour les victimes et le public dans son ensemble, et elle ne portait pas préjudice aux droits des personnes concernées.
Règles de confidentialité excessivement strictes
Amnesty International est depuis longtemps inquiète de l’imposition de règles et politiques de confidentialité excessivement strictes au sein des CETC. La justice doit non seulement être rendue, mais son déroulement doit également être vu. Dans la mesure où les règles et politiques de confidentialité sont appliquées pour d’autres raisons que pour protéger les victimes, les témoins et le personnel, elles privent la population cambodgienne de son droit d’assister au déroulement de la justice et, plus spécifiquement, les victimes de leur droit de participer au cours de la justice. En particulier, une confidentialité excessive empêche les victimes et la population de suivre réellement le travail des CETC et d’émettre des recommandations utiles pour l’améliorer.
Les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet adoptés par les Nations unies demandent aux États, entre autres choses, de «veille[r] à ce que les magistrats du parquet puissent s’acquitter de leurs fonctions professionnelles en toute liberté, sans faire l’objet d’intimidations, sans être harcelés, sans subir d’ingérence non fondée et sans devoir assumer de façon injustifiée une responsabilité civile, pénale ou autre». Amnesty International engage les CETC à appliquer ce principe et les autres dans toutes leurs relations avec les procureurs.
Cette instance doit examiner longuement et fermement son bilan et ses pratiques actuelles. Ses procédures doivent être transparentes, non exclusives et conformes aux normes internationales d’équité. Elle doit mener des enquêtes énergiques, y compris sur les affaires 003 et 004, qui répondent aux exigences les plus strictes pour ce type d’investigations, afin de rendre justice à autant de victimes que possible. Les règles, politiques et pratiques existantes doivent être réexaminées et, si nécessaire, modifiées pour éviter le secret excessif, l’exclusion et la vulnérabilité à une ingérence extérieure abusive, qui met à mal l’indépendance des CETC.
Complément d’information
L’accord conclu entre les Nations unies et le gouvernement du Cambodge définit en ces termes la mission des CETC: «traduire en justice les dirigeants du Kampuchea démocratique et les principaux responsables des crimes et graves violations du droit pénal cambodgien, des règles et coutumes du droit international humanitaire ainsi que des conventions internationales auxquelles adhère le Cambodge, commis pendant la période comprise entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979».
L’affaire 001, qui concerne Kaing Guek Eav, alias Duch, ancien commandant de la prison de sécurité S-21, est actuellement en appel après que cet homme a été déclaré coupable en juillet 2010 de crimes contre l’humanité et infractions graves aux Conventions de Genève pour son rôle dans les exécutions en masse, les actes de torture et les autres crimes perpétrés sous le régime des Khmers rouges. La première audience dans l’affaire 002, qui concerne Ieng Sary, Ieng Thirith, Khieu Samphan and Nuon Chea, aura lieu le 27 juin 2011. Ces personnes sont d’anciens dirigeants présumés du gouvernement du Kampuchea démocratique accusés du génocide des Chams et des Vietnamiens, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et d’autres crimes.
Les suspects concernés par les affaires 003 et 004 n’ont pas été nommés par les CETC.