La 51ème session du Conseil des droits de l'homme (CDH) des Nations unies, qui a débuté lundi dernier, est la première depuis la publication du rapport de la Haut-Commissaire des Nations unies sur les atrocités commises par le gouvernement de Pékin dans la région autonome du Xinjiang. Cette évaluation, qui aurait dû être faite depuis longtemps, corrobore les nombreuses preuves de graves violations des droits humains commises à l'encontre des Ouïghours et d'autres communautés ethniques minoritaires – majoritairement musulmanes – documentées par Amnesty International et d'autres organisations. Pour l’organisation, il est désormais urgent que le CDH mette fin à des années d'inaction.
« Le Conseil des droits de l'homme n'a jamais protégé les droits fondamentaux des millions de musulmans du Xinjiang qui ont subi d'innombrables atrocités au cours des cinq dernières années. De nombreux États-membres du Conseil ont utilisé le silence de longue date de l'ancienne Haut-Commissaire pour justifier le leur », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International.
« Le temps des demi-mesures est révolu, maintenant que le bureau du Haut-Commissaire a confirmé que les atrocités documentées peuvent constituer des crimes contre l'humanité. Le Conseil doit s’en emparer immédiatement et émettre une réponse à la hauteur de l'ampleur et de la gravité de ces violations. »
Pression diplomatique nécessaire
Toutes les voix sont précieuses pour faire sortir le Conseil de sa torpeur. En Suisse, Amnesty a saisi le chef du Département fédéral des affaires étrangères pour demander que le rapport soit mis à l’ordre du jour de la session du CDH. « Nous attendons de la Suisse, en tant que fervente défenseuse des droits humains, du droit international humanitaire et du multilatéralisme, qu'elle ne se contente pas d'observer, mais qu'elle mette son habileté diplomatique au service de la création d'une enquête internationale indépendante par le Conseil des droits de l'homme », explique Michael Ineichen, responsable du plaidoyer auprès d’Amnesty Suisse.
«Le temps des demi-mesures est révolu, maintenant que le bureau du Haut-Commissaire a confirmé que les atrocités documentées peuvent constituer des crimes contre l'humanité.»
Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International
« Une réaction claire au rapport accablant de l'ONU est nécessaire. Il est grand temps de montrer sans équivoque où se situe la Suisse en ce qui concerne l'obligation de rendre des comptes pour les graves violations des droits humains commises au Xinjiang », a-t-il encore ajouté.
Dissimulation et intimidation
Les autorités chinoises ont tenté de bloquer les enquêtes menées par la Haut-Commissaire aux droits de l'homme. Pékin a également fait pression sur les États membres des Nations unies pour qu'ils minimisent ou ignorent les preuves disponibles. Le personnel de l’ONU n'a pas été autorisé à se rendre au Xinjiang, limitant par conséquent la portée de l'enquête de la Haut-Commissaire.
Les personnes qui vivent ou ont de la famille dans le Xinjiang prennent le risque d'être détenues, arrêtées, emprisonnées, torturées ou de subir des disparitions forcées si elles s’adressent à des enquêteurs·trices de l’ONU ou d’autres organisations. Amnesty International a pu le constater lors des entretiens qu’elle a mené entre janvier et juin 2022 en Asie centrale et en Turquie : dans leur grande majorité, les personnes étaient encore trop terrifiées pour parler ouvertement de leur expérience, craignant des représailles contre les membres de leur famille restés au Xinjiang.
Cependant, six personnes qui ont fui le Xinjiang entre fin 2020 et fin 2021 ont accepté de parler, sous couvert d'anonymat. Elles ont décrit une vie d'oppression incessante au Xinjiang, résultat des politiques chinoises visant à restreindre fortement les libertés des groupes ethniques majoritairement musulmans. Une vie marquée par de graves violations des droits à la liberté et à la sécurité, à la vie privée, à l'égalité et à la non-discrimination, mais aussi aux libertés de mouvement, d'opinion et d'expression, de pensée, de conscience, de religion et de croyance, de participation à la vie culturelle, ou encore l’interdiction du travail forcé.
« Sur le plan interne, la Chine continue de recourir à des violences graves, à des restrictions illégales et à des actes d'intimidation, tout en usant d'une diplomatie musclée sur la scène internationale pour dissimuler les atrocités commises au Xinjiang », a encore déclaré Agnès Callamard. « Les membres du Conseil doivent voir les tentatives de la Chine de délégitimer les conclusions du rapport pour ce qu'elles sont : rien de moins qu'une tentative de cacher des crimes contre l'humanité et de dissuader toute critique. »
Amnesty International appelle les membres du Conseil à prendre des mesures concrètes pour mettre un terme aux abus des autorités chinoises, et pour faire en sorte que les responsables répondent de leurs actes. Le Conseil doit présenter une résolution au cours de cette session et charger un mécanisme international indépendant d'enquêter sur les crimes au regard du droit international et les autres violations graves des droits humains au Xinjiang, afin que les responsables répondent de leurs actes, notamment en identifiant les auteurs présumés.