Inde En prison pour avoir dénoncé des crimes policiers

11 octobre 2011
Soni Sodi et Lingaram Kodopi, militants issus de la communauté indigène adivasi, ont été emprisonnés pour avoir osé dénoncer les actes violents perpétrés par la police.

Amnesty International exhorte les autorités de l’État du Chhattisgarh, dans le centre de l’Inde, à abandonner les charges fallacieuses retenues contre eux et à les libérer sans condition.

Lingaram Kodopi, âgé de 25 ans, a été appréhendé le 9 septembre 2011 à Sameli, son village natal, dans le district de Dantewada (État du Chhattisgarh). Sa tante, Soni Sodi, une institutrice de 35 ans, a été arrêtée le 4 octobre 2011 à Delhi.

Le cas de Lingaram Kodopi

En octobre 2009, Lingaram Kodopi a résisté à une tentative de la police de l’État de le recruter de force comme agent de la police spéciale, une unité chargée de combattre les maoïstes. Il a été arbitrairement maintenu en détention pendant 40 jours dans un poste de police, et seulement relâché après qu’une requête en habeas corpus ait été déposée en son nom – l’habeas corpus est une procédure permettant la comparution immédiate d’un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté.

En avril 2010, lors d’une audience publique à Delhi, il a décrit les violations perpétrées par les forces de sécurité contre les adivasis dans le Chhattisgarh; la police de l’État a annoncé par la suite qu’il était le principal suspect dans le cadre d’un attentat maoïste ayant visé la résidence d’un dirigeant local du parti du Congrès.

Lingaram Kodopi a par ailleurs parlé du meurtre de trois adivasis, commis par les Forces centrales de réserve de la police et la police de l’État lors d’un affrontement dans trois villages - Tadmetla, Timapuram et Morpalli. Au cours de cette attaque, deux personnes ont «disparu» et au moins cinq femmes ont été victimes d'agressions sexuelles. Lingaram Kodopi a finalement été arrêté en septembre 2011 sur la base d’accusations mensongères de complicité avec les maoïstes.

Le cas de Soni Sodi

Soni Sodi, qui a été formée par Vanvasi Chetna Ashram, une organisation pacifiste observant les préceptes de Gandhi, a dénoncé les violations commises par les forces de sécurité.

Parallèlement, Soni Sodi et Lingaram Kodopi ont également ouvertement critiqué les maoïstes pour leur recours à la violence armée. Si l’époux de Soni Sodi est en prison car il a été accusé d’avoir aidé les maoïstes, ces derniers ont blessé le père de la jeune femme à la jambe en lui tirant dessus en juin 2011.

S’étant élevée contre l’arrestation de Lingaram Kodopi, Soni Sodi ne se sentait plus en sécurité dans le Chhattisgarh. Elle a confié ses trois jeunes enfants à des membres de sa famille et traversé les forêts avoisinantes jusqu'à la ville la plus proche; au bout d’une semaine, elle a atteint Delhi où elle comptait obtenir une assistance juridique. Elle a cependant été appréhendée par la police du Chhattisgarh et la section criminelle de la police de Delhi alors qu’elle se trouvait à un arrêt de bus.

Vendredi 7 octobre 2011, un tribunal de Delhi a rejeté le recours formé par Soni Sodi contre la décision de la police de l'État de la renvoyer dans le Chhattisgarh. Le trajet a duré deux jours, pendant lesquels elle a été maintenue en détention, accompagnée par des policières, et soumise à un interrogatoire intensif. Lundi 10 octobre, elle a été conduite par la police de l’État dans un hôpital de Dantewada pour des blessures physiques après s’être, semble-t-il, évanouie au poste de police où elle subissait un interrogatoire. Soni Sodi a affirmé avoir été victime de torture psychologique aux mains de policiers et fait savoir qu’elle donnerait plus tard des détails sur ses blessures. Un juge a ensuite prononcé son maintien en détention aux fins de l’enquête jusqu’à lundi 17 octobre. Elle a depuis lors été envoyée dans un hôpital de Jagdalpur, non loin, et sera de nouveau placée en détention après avoir reçu les soins requis.

Le cas de Kavita Srivatsava

Dans le cadre des recherches intensives visant à retrouver Soni Sodi au cours de la semaine du 3 octobre, la police du Chhattisgarh a par ailleurs fait une descente au domicile de Kavita Srivatsava, secrétaire nationale de l’Union populaire des libertés publiques (PUCL) - l’une des principales organisations indiennes de défense des droits humains - à Jaipur et harcelé des membres de sa famille, leur demandant de révéler où se trouvait Soni Sodi.

Kavita Srivatsava, qui s’est rendue dans le Chhattisgarh en mars cette année pour obtenir la libération de cinq membres des forces de sécurité pris en otage par les maoïstes, a indiqué à Amnesty International que la police de l’État essayait de la harceler et de la menacer en raison de son discours critique à propos des atteintes aux droits humains attribuées à des policiers.

Accusations infondées de la police

La police du Chhattisgarh accuse Soni Sodi et Lingaram Kodopi d’avoir aidé des groupes armés maoïstes, et notamment d'avoir transporté et transféré des fonds d’un montant d'1,5 million de roupies indiennes (un peu plus de 22 000 euros) entre une société minière, Essar, et les maoïstes.

Amnesty International estime que Soni Sodi et Lingaram Kodopi sont des prisonniers d’opinion, arrêtés uniquement pour avoir dénoncé les violations des droits humains commises par la police et les forces de sécurité dans le Chhattisgarh. Les charges retenues contre eux sont fallacieuses et motivées par des considérations politiques.
Amnesty International appelle les autorités du Chhattisgarh à:

- abandonner toutes les charges motivées par des considérations politiques retenues contre Soni Sodi et Lingaram Kodopi, et à les libérer immédiatement et sans condition;


- veiller à ce qu’une enquête digne de ce nom, impartiale et indépendante, soit ouverte dans les meilleurs délais sur les allégations de torture formulées par Soni Sodi. Les policiers soupçonnés d’avoir joué un rôle dans ces sévices, y compris ceux exerçant des fonctions de commandement, doivent être poursuivis dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité en la matière. Soni Sodi doit par ailleurs obtenir pleinement réparation;


- faire immédiatement cesser les manœuvres de harcèlement visant Kavita Srivatsava ainsi que la répression menée contre ceux qui défendent les droits humains au Chhattisgarh, et à prendre toutes les mesures requises pour que ces défenseurs puissent mener à bien leurs activités légitimes et pacifiques en faveur des droits sans avoir à craindre d’être harcelés ni menacés.

Complément d’information

Plus de 3 000 personnes - dont des adivasis, des insurgés maoïstes, des membres des forces de sécurité et des membres d'une milice civile soutenue par l’État, connue sous le nom de Salwa Judum - ont été tuées au cours des six dernières années de l'insurrection au Chhattisgarh. Au moins 35 000 adivasis restent déplacés du fait du soulèvement maoïste et des opérations visant à combattre celui-ci. Toutes les forces armées en activité dans cette zone, qu’il s’agisse des forces de sécurité, des milices civiles ou des maoïstes, ont porté atteinte aux lois en relation avec les droits humains.

Un certain nombre de militants politiques et de défenseurs des droits sociaux et des droits humains du Chhattisgarh ont été incarcérés pour avoir attiré l'attention sur la situation des droits humains. Parmi eux figurent Binayak Sen de la PUCL, et Kartam Joga, un responsable adivasi du Parti communiste indien, tous deux considérés comme des prisonniers d’opinion par Amnesty International. Binayak Sen a passé plus de deux ans en prison et a été libéré sous caution par la Cour suprême indienne en avril 2011, après avoir été déclaré coupable de sédition et condamné à la réclusion à perpétuité par une juridiction inférieure. Kartam Joga se trouve toujours derrière les barreaux.

En juillet 2011, la Cour suprême indienne, se prononçant sur deux recours formés par Kartam Joga et d’autres personnes, a ordonné aux autorités de l’État de démanteler toutes les milices civiles antimaoïstes. Les autorités ont alors promulgué une ordonnance afin que tous les miliciens soient intégrés à la police de l'État en tant qu’agents de la police spéciale.