Des centaines de milliers de Rohingyas ont fui du Myanmar au Bangladesh suite aux attaques perpétrées contre leurs villages dans l'état d'Arakan, comme ici en septembre 2017. Leur retour est désormais compromis par la construction de bases militaires, d'héliports et de routes à l'emplacement où se trouvaient les villages incendiés. © Andrew Stanbridge / Amnesty International
Des centaines de milliers de Rohingyas ont fui du Myanmar au Bangladesh suite aux attaques perpétrées contre leurs villages dans l'état d'Arakan, comme ici en septembre 2017. Leur retour est désormais compromis par la construction de bases militaires, d'héliports et de routes à l'emplacement où se trouvaient les villages incendiés. © Andrew Stanbridge / Amnesty International

Myanmar Des bases militaires à l'emplacement de villages rohingyas incendiés

12 mars 2018
Au Myanmar, la campagne visant à chasser les Rohingyas de leurs terres – et à faire en sorte qu'ils ne puissent pas revenir – se poursuit sous de nouvelles formes. L'armée saisit illégalement des terres et les autorités militarisent l'État d'Arakan à un rythme effarant. Des villages rohingyas réduits en cendres il y a seulement quelques mois sont rasés au bulldozer et laissent place à des bases pour les forces de sécurité.

S'appuyant sur des témoignages directs et les analyses d'experts d'images satellite, une synthèse d'Amnesty International publiée le 12 mars 2018 et intitulée «Remaking Rakhine State» révèle que la destruction de villages et les nouvelles constructions s'intensifient depuis janvier dans les zones que des centaines de milliers de Rohingyas ont fui à cause de l'opération de nettoyage ethnique menée par l'armée en 2017. De nouvelles routes et bâtiments sont construits sur les terres et les villages incendiés des Rohingyas, ce qui compromet la perspective de rentrer chez eux pour les réfugiés.

«Nous assistons dans l'État d'Arakan à un accaparement massif de terres par l'armée. De nouvelles bases sont construites pour héberger ces mêmes forces de sécurité qui ont commis des crimes contre l'humanité envers les Rohingyas, a déclaré Tirana Hassan, directrice du programme Réaction aux crises à Amnesty International.

«Le retour volontaire des réfugiés rohingyas, dans la sécurité et la dignité, s’en trouve d’autant plus compromis.»
- Tirana Hassan, directrice du programme Réaction aux crises à Amnesty International

«Le retour volontaire des réfugiés rohingyas, dans la sécurité et la dignité, s’en trouve d’autant plus compromis. Leurs habitations sont détruites et les nouvelles constructions cimentent encore la discrimination déshumanisante que subissent les Rohingyas au Myanmar.»

Bulldozers et destructions

Les autorités du Myanmar ont entrepris une opération de nettoyage ethnique il y a un peu plus de six mois, le 25 août 2017, en réaction aux attaques de l'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (ARSA), un groupe armé rohingya.

L'armée a tué des hommes, des femmes et des enfants, commis des viols et d'autres formes de violence sexuelle contre les femmes et les jeunes filles, et incendié de manière systématique des centaines de villages, se livrant clairement à des crimes contre l'humanité. Plus de 670'000 personnes ont fui au Bangladesh voisin.

Si les violences ont diminué dans l'État d'Arakan, la campagne visant à chasser les Rohingyas de leurs terres – et à faire en sorte qu'ils ne puissent pas revenir – se poursuit sous de nouvelles formes.

Les dernières recherches d'Amnesty International révèlent que des villages incendiés ont été entièrement rasés au bulldozer depuis janvier. Même les arbres et la végétation alentour ont été abattus, et le paysage est souvent méconnaissable. Il est à craindre que les autorités ne détruisent les preuves des crimes commis contre les Rohingyas, ce qui pourrait entraver de futures investigations.

«Les autorités effacent les preuves de crimes contre l'humanité.»
- Tirana Hassan

«La démolition de villages entiers au bulldozer est très inquiétante. Les autorités effacent les preuves de crimes contre l'humanité, ce qui fait qu'il sera très difficile d'amener les responsables présumés à rendre des comptes», a déclaré Tirana Hassan.

Par ailleurs, Amnesty International a récemment recensé des actes de pillage, des incendies volontaires et des démolitions de maisons abandonnées et de mosquées appartenant aux Rohingyas dans le nord de l'État d'Arakan.

Nouvelles infrastructures pour les forces de sécurité

Plus inquiétant encore que les démolitions, les infrastructures qui les remplacent. En effet, les autorités ont lancé une opération visant à développer rapidement des installations pour les forces de sécurité dans l'État d'Arakan, notamment des bases pour l'armée et la police des frontières, ainsi que des héliports.

Le rythme de la construction est très inquiétant. Les images satellite révèlent qu'en quelques mois seulement, de nouvelles bases ont été édifiées sur des terres rohingyas incendiées, des villages entiers et les forêts environnantes étant détruits pour faire de la place.

L'analyse des images satellite confirme qu'au moins trois nouvelles bases des forces de sécurité sont en construction dans le nord de l'État d'Arakan – deux dans la municipalité de Maungdaw et la troisième dans celle de Buthidaung. Les travaux de construction semblent avoir débuté en janvier.

La plus grande de ces bases se trouve dans le village d'Ah Lel Chaung, dans la municipalité de Buthidaung, où, selon des témoins, l'armée a expulsé de force les Rohingyas de certains quartiers pour permettre les travaux. La plupart des villageois n'ont eu d'autre choix que de se réfugier au Bangladesh.

«Les habitants sont en proie à la panique. Personne ne veut rester, car ils ont peur de subir de nouvelles violences», a déclaré un homme de 31 ans qui a fui au Bangladesh en janvier, lorsque l'armée a érigé une nouvelle barrière et mis en place un poste de contrôle aux abords de son village.

Dans le village d'Inn Din, où vivaient différentes ethnies et où, selon les informations recueillies par Amnesty International, les forces de sécurité et des groupes agissant pour leur compte ont tué des villageois rohingyas et incendié leurs habitations fin août et début septembre 2017, les images satellite montrent ce qui ressemble aux travaux de construction d'une nouvelle base militaire, là où se trouvait le quartier rohingya.

Les centres d'hébergement et d'accueil des réfugiés

Les images satellite montrent que les nouveaux centres pour réfugiés, destinés à «accueillir» les Rohingyas qui reviennent du Bangladesh, sont cernés par des barrières de sécurité et situés près de zones où les soldats et les policiers des frontières sont stationnés en nombre. Un grand centre de transit destiné à l’accueil provisoire des Rohingyas qui rentrent au pays est bâti sur l’emplacement d'un village rohingya incendié, dans la municipalité de Maungdaw, et l’on distingue des équipements de sécurité renforcée.

Des dizaines de milliers de Rohingyas, chassés de chez eux durant les vagues de violence de 2012, sont enfermés depuis des années dans des prisons à ciel ouvert.

Il est à craindre que les autorités ne prévoient d'héberger les Rohingyas dans ces centres pendant de longues périodes et de restreindre leur droit de circuler librement. Des dizaines de milliers de Rohingyas, chassés de chez eux durant les vagues de violence de 2012, sont enfermés depuis des années dans des prisons à ciel ouvert, dans des camps sordides pour personnes déplacées. La plupart dépendent de l'aide humanitaire pour satisfaire leurs besoins essentiels.

Selon des témoins, depuis quelques mois, des non-Rohingyas vivent dans de nouveaux villages construits sur les terres agricoles et les habitations incendiées des Rohingyas. Cela est d'autant plus inquiétant que, par le passé, des membres d'autres groupes ethniques ont été réinstallés dans l'État d'Arakan, dans le cadre d'un programme de développement de la région.

«L'État d'Arakan compte parmi les régions les plus pauvres du Myanmar et il faut donner la priorité aux investissements de développement. Mais ces initiatives doivent bénéficier à tous les habitants de l'État, quelle que soit leur origine ethnique, et non pérenniser le système d'apartheid dont sont victimes les Rohingyas, a déclaré Tirana Hassan.

«Le remodelage de l'État d'Arakan se fait dans le plus grand secret. On ne peut laisser les autorités poursuivre leur campagne de nettoyage ethnique au nom du "développement".

«La communauté internationale, et en particulier chaque État donateur, a le devoir de veiller à ce que les investissements et les aides ne favorisent pas des violations des droits humains. Contribuer à pérenniser un système qui établit une discrimination systématique à l'encontre des Rohingyas et compromet le retour des réfugiés pourrait revenir à contribuer à des crimes contre l'humanité.»