«Nous avons retracé l’origine de nouvelles cargaisons de carburant d’aviation qui ont probablement fini entre les mains de l’armée du Myanmar, qui continue d’effectuer des frappes aériennes illégales, faisant fréquemment des victimes civiles, y compris des enfants ; or, les avions ne peuvent décoller que s’ils ont du carburant», a déclaré Montse Ferrer, chercheuse et conseillère sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International.
«Depuis le coup d’État en 2021, l’armée a violemment réprimé ses détracteurs et mené des attaques terrestres et aériennes contre la population civile. Livrer du carburant d’aviation aux militaires facilite ces crimes de guerre. Ces livraisons doivent cesser immédiatement.»
Hanna Hindstrom, conseillère à Global Witness, qui a aidé à mener les recherches, a déclaré : «Nous demandons instamment à tous ceux qui sont impliqués dans ce commerce de faire passer l’humain avant les profits et de cesser de fournir le carburant qui favorise de telles atrocités. Il faut que d’autres États instaurent ou renforcent les contrôles pour empêcher ces approvisionnements.»
Montse Ferrer a déclaré : «Nous constatons avec inquiétude que Puma Energy, société pétrolière multinationale enregistrée en Suisse qui s’est engagée à se retirer du Myanmar en octobre 2022, a décidé de vendre ses actifs de carburant d’aviation à un groupe d’entreprises du Myanmar qui importe du carburant pour l’armée.»
Cargaison mortelle: des entreprises approvisionnent l’armée du Myanmar
Le 3 novembre 2022, Amnesty International a publié Deadly Cargo, un rapport sur la chaîne d’approvisionnement en carburant d’aviation qui relie des entreprises nationales, régionales et internationales à l’armée birmane. Amnesty International, Global Witness et Burma Campaign UK ont désormais identifié d’autres entreprises impliquées dans des transactions de carburant d’aviation susceptible d’avoir été livré à l’armée ces derniers mois.
Par exemple, le cargo pétrolier Prime V est parti de Sikka en Inde, le 28 novembre 2022. Le 10 décembre ou aux alentours, le Prime V a déchargé du kérosène de type Jet A-1 à l’ancien terminal de Puma Energy Aviation Sun Co. Ltd. (PEAS), dans le port de Thilawa, au Myanmar.
L’une des entreprises impliquées dans cette transaction est Reliance Industries Ltd, en Inde, qui détient le terminal d’où Prime V est parti. Sea Trade Marine, entreprise grecque, est le propriétaire bénéficiaire du Prime V, tandis que le Japan P&I Club a fourni l’assurance protection et indemnisation (P&I). Amnesty International a contacté ces entreprises, mais seul le Japan P&I Club a répondu, indiquant qu’il s’était conformé aux sanctions applicables à l’époque et que sa couverture d’assurance pouvait être résiliée si un navire était impliqué dans une activité illégale. Rien n’indique que le Prime V ait enfreint les lois en vigueur lors de cette livraison.
D’après les détails obtenus récemment relatifs à une livraison en octobre, le pétrolier Big Sea 104 a quitté la raffinerie de Bangchak, dans le port de Bangkok, en Thaïlande, le 8 octobre 2022 ou aux alentours. Arrivé à Thilawa une semaine plus tard environ, il a déchargé 12 592 tonnes de Jet A-1 à l’ancien terminal de Puma Energy Aviation Sun, selon les données de Kpler, une société de données sur les matières premières.
La raffinerie d’où est parti ce navire appartient à la société thaïlandaise cotée en bourse Bangchak Corporation Plc. Prima Marine Plc, une autre société thaïlandaise, est propriétaire bénéficiaire du Big Sea 104, tandis que le Shipowners’ P&I Club, basé au Luxembourg, a fourni l’assurance. Aucune de ces sociétés n’a répondu aux courriers d’Amnesty International.
«Chacune de ces entreprises a joué un rôle dans le fait que l’armée du Myanmar a eu accès au carburant d’aviation pour mener des frappes aériennes illégales. Il faut que cela cesse. Toutes ces entreprises doivent se retirer de la chaîne d’approvisionnement en carburant d’aviation du Myanmar», a déclaré Montse Ferrer.
La vente des actifs de Puma Energy au Myanmar soulève des préoccupations
Au moment où ces deux cargaisons sont arrivées, le terminal portuaire était contrôlé par la filiale birmane de Puma Energy, basée en Suisse et à Singapour. En octobre 2022, Puma Energy a annoncé qu’elle se retirait du Myanmar après avoir vendu ses actifs à une «entreprise privée locale» ; selon ses dires, elle a obtenu des engagements de cette entreprise censée respecter la « législation sur les droits humains » et ne pas utiliser les actifs pour bafouer ces droits.
Amnesty International a établi que cet acheteur est Shoon Energy, anciennement Asia Sun Aviation, et que la vente a été conclue en décembre 2022. Shoon Energy fait partie d’un conglomérat commercial du Myanmar, appelé Asia Sun, qui importait du carburant d’aviation pour le compte de l’armée et le distribuait aux bases aériennes. Après le départ de Puma Energy, ce conglomérat gère le principal terminal de carburant d’aviation du port de Thilawa, à Yangon, et, conjointement avec Myanmar Petroleum Products Enterprise, contrôlée par l’armée, l’importation et la distribution de carburant d’aviation dans tout le pays.
Le mois dernier, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont imposé des sanctions aux personnes et aux entreprises du groupe Asia Sun en raison de leurs liens avec la livraison de carburant d’aviation à l’armée de l’air du Myanmar. Auparavant, cependant, le conglomérat Asia Sun a changé le nom de plusieurs de ses sociétés en Shoon Energy.
Montse Ferrer a déclaré : «D’après Puma Energy, l’acheteur de ses actifs au Myanmar s’est engagé à respecter la législation sur les droits humains. Cependant, étant donné les liens étroits entre Shoon Energy et l’armée du Myanmar, nous craignons que cette assurance ne soit fondamentalement dénuée de sens.»
La communauté internationale doit agir
Puisque des entreprises continuent d’exporter du carburant d’aviation vers le Myanmar, tout en connaissant le rôle qu’il joue dans les crimes de guerre perpétrés par les militaires, la communauté internationale doit agir.
Amnesty International et Global Witness ont déjà défini la marche à suivre : les pays doivent suspendre l’exportation et le transport de carburant d’aviation vers le Myanmar. Tout aussi important, ils doivent cesser de fournir des services tiers, tels que l’assurance, le transport maritime ou les services financiers, aux navires impliqués dans la livraison de carburant d’aviation au Myanmar.
Hanna Hindstrom a déclaré : «La communauté internationale dispose des outils nécessaires pour mettre en œuvre ces restrictions. Nous devons faire ce qui est en notre pouvoir pour réduire la capacité de l’armée du Myanmar à terroriser la population civile.»
Complément d’information
Selon le Myanmar Institute for Peace and Security, l’armée a effectué 104 frappes aériennes en 2021 et 243 en 2022.
Le 1er février 2023, à l’occasion du deuxième anniversaire du coup d’État militaire au Myanmar, le Canada et le Royaume-Uni ont annoncé des mesures visant à faire barrage à l’approvisionnement de l’armée en carburant d’aviation, dont des sanctions ciblées contre des entreprises et des particuliers au Myanmar. Le 20 février, l’Union européenne a sanctionné le groupe Asia Sun et les entités associées Asia Sun Trading et Asia Sun Energy.
En réponse aux investigations menées par Amnesty International pour son rapport Deadly Cargo, la compagnie maritime internationale Wilhelmsen a annoncé qu’elle cesserait de fournir des services de transport maritime à tout navire transportant du carburant d’aviation vers le Myanmar.
Korean Pan Ocean a ajouté qu’elle ne permettrait plus à ses navires de transporter du carburant d’aviation vers le Myanmar, tandis que Thai Oil a indiqué suspendre toutes les livraisons de ce type de carburant vers le Myanmar.