Réfugié à Bihać (Bosnie-Herzégovine), le 9 septembre 2018: des milliers de réfugiés et de migrants vivent dans des conditions précaires à la frontière entre la Bosnie et la Croatie. © Ajdin Kamber / shutterstock.com
Réfugié à Bihać (Bosnie-Herzégovine), le 9 septembre 2018: des milliers de réfugiés et de migrants vivent dans des conditions précaires à la frontière entre la Bosnie et la Croatie. © Ajdin Kamber / shutterstock.com

Croatie L'Union européenne complice de violents renvois forcés de demandeurs d'asile

Communiqué de presse publié le 13 mars 2019, Londres-Genève. Contact du service de presse
Les gouvernements européens sont complices des renvois forcés systématiques, illégaux et souvent violents depuis la Croatie, ainsi que d'expulsions collectives de milliers de demandeurs d’asile vers des camps de réfugiés sordides et peu sûrs en Bosnie-Herzégovine.

Intitulé Pushed to the edge: Violence and abuse against refugees and migrants along Balkan Route, le nouveau rapport d’Amnesty International révèle qu’en accordant la priorité au contrôle des frontières plutôt qu’au respect du droit international, les gouvernements européens ne se contentent pas de fermer les yeux sur les violences commises par la police croate, mais financent également ses activités. Ils alimentent ainsi une crise humanitaire croissante aux frontières de l’Union européenne.

«Afin de comprendre quelles sont les priorités des gouvernements européens, il suffit de suivre l’argent à la trace. Leur contribution financière à l’assistance humanitaire paraît bien modeste par rapport aux fonds qu’ils allouent à la sécurité des frontières, y compris en équipant les gardes-frontières croates et même en payant leurs salaires», a déclaré Cyrielle Huguenot, chargée de campagne sur les migrations à Amnesty International Suisse. «Dans le même temps, des personnes fuyant la guerres et les persécutions sont frappées et dévalisées par la police croate, et contraintes de replonger dans une situation de vide juridique en Bosnie-Herzégovine, à la merci du système d’asile défaillant.»

Plus de 5000 réfugiés dans l'attente

Actuellement, environ 5 500 hommes, femmes et enfants sont pris au piège dans deux petites villes bosniaques non loin de la frontière croate, Bihac et Velika Kladusa, installés dans des usines désaffectées dépourvues des équipements de base. La Bosnie-Herzégovine ne peut pas garantir leur protection ni leur fournir des conditions de vie décentes, et ils vivent dans ces camps improvisés sans hygiène, sans eau chaude, sans soins médicaux ni nourriture suffisante.

En raison des obstacles bureaucratiques, d’une piètre assistance juridique et de capacités administratives limitées, il est fort probable que les demandeurs d’asile potentiels ne voient pas leur demande traitée en Bosnie-Herzégovine. La plupart tentent de gagner d’autres États européens. Ils sont bien souvent entrés dans l’UE via la Grèce et la Bulgarie et n’ont pas été dûment pris en charge par le système d’asile dans ces pays ; ils sortent donc de l’UE et poursuivent le long de la route des Balkans. Pour atteindre la Slovénie ou l’Italie, là où commence l’espace Schengen et son régime de libre circulation, ils doivent traverser les forêts denses, les fleuves tumultueux et, parfois, les champs de mines encore actives de la Croatie.

«Afin de comprendre quelles sont les priorités des gouvernements européens, il suffit de suivre l’argent à la trace. Leur contribution financière à l’assistance humanitaire paraît bien modeste par rapport aux fonds qu’ils allouent à la sécurité des frontières»Cyrielle Huguenot, chargée de campagne sur les migrations à Amnesty International Suisse

Morts dans les Balkans occidentaux

Au cours des 10 premiers mois de l’année 2018, au moins 12 personnes se sont noyées dans les Balkans occidentaux, alors qu’elles tentaient de traverser la frontière entre la Croatie et la Slovénie. Des dizaines ont péri dans d’autres circonstances.

Ceux qui tentent le périple sont fréquemment soumis à des renvois forcés délibérés et à des expulsions collectives, qui s’accompagnent bien souvent d’actes de violence et d’intimidation, à la frontière entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, sans même que leur demande d’asile ne soit examinée.

Quasiment toutes les personnes installées dans les camps à Bihac et Velika Kladusa avaient été renvoyées en Bosnie-Herzégovine depuis la Croatie ou la Slovénie et près d’un tiers des personnes interrogées avaient subi des violences aux mains des policiers croates. Beaucoup ont raconté qu’elles ont été frappées, que leurs papiers ont été détruits et leurs biens dérobés, dans le cadre d’une politique semble-t-il systématique et délibérée mise en œuvre par les autorités croates afin de dissuader toute volonté d’entrer dans le pays.

Les personnes arrêtées en Italie et en Slovénie sont souvent soumises à des renvois collectifs, remises rapidement à la police croate et renvoyées de force vers les camps en Bosnie-Herzégovine, sans que leur demande d’asile ne soit examinée.

Harcèlement des ONG de défense des droits des réfugiés et des migrants

Tandis que les allégations de renvois violents à la frontière se multiplient, les autorités croates s’efforcent de décourager tout examen public de leurs pratiques en matière de migration. Les demandes d’institutions publiques croates visant à superviser les pratiques migratoires à la frontière sont bloquées, et les organisations qui travaillent sur les droits des réfugiés et des migrants se retrouvent dans le collimateur des autorités.

Les bénévoles des ONG sont harcelés, placés en garde à vue pendant des heures sans inculpation et menacés de poursuites pénales. Le ministère de l’Intérieur est allé jusqu’à accuser certaines ONG d’aider des réfugiés à entrer illégalement en Croatie. Cette stratégie a un effet dissuasif pour ceux qui leur viennent en aide.

Les bénévoles des ONG sont harcelés, placés en garde à vue pendant des heures sans inculpation et menacés de poursuites pénales.

Malgré ces pratiques déplorables, l’Union européenne continue d’allouer des fonds importants pour aider la Croatie à s’équiper pour sécuriser sa frontière. En outre, l’UE ignore délibérément les défaillances du système d’asile européen qui génèrent immanquablement ces déplacements. «Les températures montent et la neige fond: le nombre de personnes tentant de franchir la frontière vers la Croatie va augmenter. La Bosnie-Herzégovine n’étant pas en capacité de gérer l’arrivée d’un nombre croissant de personnes en quête de protection, il faut prendre des mesures en vue d’éviter une crise humanitaire aux portes de l’UE», a déclaré Cyrielle Huguenot.

Les leaders européens ne peuvent plus se laver les mains de leurs responsabilités concernant les expulsions collectives et les renvois violents le long de la route des Balkans, conséquences de leur détermination à faire de l’UE une forteresse, quel que soit le prix humain à payer.

Un itinéraire toujours plus emprunté

L’itinéraire qui traverse la Bosnie et la Croatie est de plus en plus emprunté, depuis que la Hongrie a érigé des clôtures le long de ses frontières et a procédé à de violents renvois, rendant la Serbie et la Hongrie de plus en plus impénétrables.