Là aussi les réfugiés n'iront pas plus loin; blocage à la frontière entre la Grèce et la Macédoine.  © Amnesty International (Photo: Richard Burton)
Là aussi les réfugiés n'iront pas plus loin; blocage à la frontière entre la Grèce et la Macédoine. © Amnesty International (Photo: Richard Burton)

Grèce/Turquie Demandeurs d'asile et migrants tués et maltraités aux frontières

Communiqué de presse publié le 3 avril 2020, Berne/Genève. Contact du service de presse
Ces dernières semaines, les forces frontalières grecques ont commis de graves violences à l'encontre des réfugiés à la frontière gréco-turque en violation du droit international. Les recherches d'Amnesty International confirment pour la première fois deux décès à la frontière. Par ailleurs, des centaines de réfugiés qui ont traversé la mer pour se rendre dans les îles grecques se sont vu refuser le droit de demander l'asile. Des milliers d'autres sont gravement menacés par le COVID-19 dans des camps surpeuplés.

À partir du 27 février, des milliers de personnes se sont dirigées vers la frontière grecque après que les autorités turques les ont encouragées à s’y rendre pour faire pression sur les pays européens en lien avec l’accueil des réfugiés du conflit syrien. Certains demandeurs d'asile et leurs familles vivant en Turquie ont même renoncé à leur logement et ont dépensé tout leur argent pour faire le voyage. Cependant, les autorités grecques ont réprimé le mouvement des personnes qui tentaient de traverser la frontière en renforçant les contrôles, et en envoyant des forces de police et l'armée. Ces dernières ont utilisé des gaz lacrymogènes, des canons à eau, des balles en caoutchouc et des munitions réelles.

«Personne ne devrait subir de violence et chacun devrait avoir accès à une protection dans le pays où il cherche à se mettre en sécurité» Massimo Moratti, directeur adjoint pour l'Europe à Amnesty International

«Les gens ont voyagé de la Turquie vers la Grèce pour chercher la sécurité, mais ils ont été confrontés à une violence si grave qu'au moins deux d'entre eux ont été tragiquement tués. Les allégations de violence doivent faire l'objet d'une enquête rapide et impartiale. Personne ne devrait subir de violence et chacun devrait avoir accès à une protection dans le pays où il cherche à se mettre en sécurité», a déclaré Massimo Moratti, directeur adjoint pour l'Europe à Amnesty International.

Au moins deux personnes tuées à la frontière terrestre avec la Turquie 

Amnesty International a confirmé la mort de deux hommes à la frontière gréco-turque les 2 et 4 mars. Une troisième personne, Fatma (nom d’emprunt), originaire de Syrie, a été portée disparue et est présumée morte après qu'elle et son mari ont été séparés de leurs six enfants en tentant de traverser la rivière Evros/Meriç, au sud d'Edirne, pour entrer en Grèce. Ahmed (nom d’emprunt) a déclaré à Amnesty International que sa femme était portée disparue, présumée morte après que des soldats grecs ont tiré sur elle alors qu'elle tentait de rejoindre leurs enfants sur la rive grecque du fleuve.

Ahmed a déclaré à Amnesty International que les autorités grecques l'ont ensuite détenu avec leurs enfants pendant quatre ou cinq heures, au cours desquelles ils ont été dépouillés, et leurs biens ont été saisis. Ils ont ensuite été ramenés à la rivière et placés dans un bateau en bois qui les a ramenés, ainsi que d'autres personnes, sur la rive turque. Bien qu'il ait fait appel à des avocats dans les deux pays pour savoir ce qu'il était advenu de sa femme, Ahmed n'a pas été en mesure de déterminer où elle se trouvait, ni quel était son sort.

Muhammad Gulzari, un Pakistanais de 43 ans, a reçu une balle dans la poitrine alors qu'il tentait de passer en Grèce au point de passage frontalier de Pazarkule/Kastanies lors d'un incident au cours duquel cinq autres personnes ont été blessées par balle. Il a été déclaré mort dans un hôpital turc le 4 mars. Un Syrien de 22 ans, Muhammad al-Arab, est également décédé dans la région. Sa mort a été documentée par l’organisation Forensic Architecture.

Autres violences contre les demandeurs d'asile et les migrants aux frontières

Des demandeurs d'asile et des migrants ont raconté à Amnesty International comment les forces frontalières grecques ont mis en œuvre une politique gouvernementale visant à les refouler au lieu d’enregistrer leurs demandes d'asile après leur entrée sur le territoire grec, en violation du droit international.

Des personnes ont déclaré avoir été frappées par des gardes-frontières avec des matraques, détenues dans la zone frontalière pendant des périodes variant entre quelques heures et plusieurs jours et avoir été renvoyées en groupe en Turquie dans des bateaux traversant la rivière Evros/Meriç. Des demandeurs d'asile et des migrants ont déclaré à Amnesty International que les gardes-frontières leur avaient également pris leur argent – dans certains cas des milliers de dollars, soit toutes leurs économies – avec lequel ils espéraient commencer une nouvelle vie en Europe.

Ces violences ne se sont pas limitées aux zones frontalières. Le 4 mars, un homme de Deir ez-Zor, en Syrie, a raconté à Amnesty International son expérience en Grèce: «J'ai traversé le fleuve et marché à l'intérieur de la Grèce pendant quatre jours et quatre nuits avant d'être pris. Ils m'ont conduit à un endroit où ils m'ont battu et ont pris mon téléphone et mon argent, 2000 livres turques [environ 275 euros], c'est tout ce que j'avais. Ils m'ont ramené en Turquie de l'autre côté de la rivière et m'ont laissé là-bas sans manteau ni chaussures».

Détention arbitraire et suspension des demandes d’asile

En réponse aux pressions de la Turquie, la Grèce a également renforcé sa capacité de patrouiller en mer pour empêcher les gens d'arriver dans les îles. Elle a mobilisé 52 navires de plus et des ressources supplémentaires de Frontex, l'agence de l'UE chargée de la surveillance des frontières et des côtes. Parallèlement, la législation d’exception a suspendu pendant un mois toutes les nouvelles demandes d'asile dans le pays, en violation flagrante du droit international et européen. Bien que la loi ait cessé de produire ses effets le 2 avril, les personnes en quête de protection continuent d'être empêchées d'accéder à la procédure d'asile, les opérations du Service d'asile grec ayant été suspendues depuis le 13 mars en raison de la loi COVID-19.

Dans toutes les îles de la mer Égée, toute personne arrivée après le 1er mars 2020, a été arbitrairement retenue dans des installations portuaires et autres, empêchée de déposer une demande d’asile et a couru le risque d’être refoulée en Turquie ou dans des pays «d'origine ou de transit». Rien qu'à Lesbos, environ 500 personnes – dont plus de 200 enfants – arrivées par la mer ont été retenues pendant plus de 10 jours sur un navire de la marine grecque normalement utilisé pour transporter des chars et autres véhicules militaires. Des centaines d'autres demandeurs d'asile et migrants ont été détenus dans d'autres installations portuaires de la mer Égée.

«Les autorités doivent déplacer les personnes des centres de détention et des camps insalubres vers des logements sûrs et adéquats. La propagation rapide du COVID-19 n'a fait qu'accentuer cette urgence» Massimo Moratti

Toutes les personnes détenues sur les îles ont finalement été transférées le 20 mars dans des centres de détention plus grands en Grèce continentale, où elles sont actuellement détenues dans l'attente de décisions de renvoi.

«La Grèce doit maintenant changer rapidement de cap et permettre à tous les nouveaux arrivants d'accéder aux procédures d'asile et aux services de base. Les autorités doivent déplacer les personnes des centres de détention et des camps insalubres vers des logements sûrs et adéquats. La propagation rapide du COVID-19 n'a fait qu'accentuer cette urgence», a déclaré Massimo Moratti.

La Suisse et l’Europe doivent agir de toute urgence:

La crise provoquée par la pandémie du coronavirus a lourdement aggravé la tragédie humanitaire des camps de réfugiés des îles grecques. Des milliers de réfugiés y sont bloqués dans des conditions extrêmement précaires et sont empêchés de se rendre en Europe. La Suisse et l’UE doivent agir de toute urgence en accueillant des réfugiés et en mettant en œuvre une solution solidaire au niveau européen.

Nous appelons les autorités suisses à:
  • Accueillir aussi rapidement que possible un important contingent de réfugiés des îles grecques.
  • Suspendre les renvois de réfugiés ayant obtenu l’asile en Grèce vers ce pays.
Et nous demandons aux autorités grecques de:
  • Transférer les demandeurs d’asile et les migrants des îles vers des lieux d’hébergement appropriés sur le continent.
  • Veiller à ce que les camps disposent du personnel et de services médicaux suffisants, et à fournir des produits d'hygiène adéquats, assurer la désinfection régulière des camps, l'approvisionnement continu en eau courante, ainsi qu'un ramassage des déchets.
  • Accorder aux demandeurs d'asile et aux migrants un accès gratuit aux soins délivrés par le système public de santé, y compris le dépistage et le traitement du COVID-19.