Les Roms sont exposés à de multiples formes de discrimination au quotidien, qui ont une incidence sur la scolarité des enfants et l’emploi des adultes. © Amnesty International / David Gaspar
Les Roms sont exposés à de multiples formes de discrimination au quotidien, qui ont une incidence sur la scolarité des enfants et l’emploi des adultes. © Amnesty International / David Gaspar

Hongrie La Cour européenne des droits de l'homme exhorte la Hongrie à mieux protéger les Roms

25 janvier 2016 par Barbora Černušáková, chercheuse d’Amnesty International sur l’Europe centrale
La Cour européenne exhorte la Hongrie à mieux protéger la minorité rom. Quatre ans après que 700 militants d’extrême droite aient violemment agressé plusieurs familles roms, dans le village de Devecser, la Cour européenne a rendu un arrêt qui dénonce la passivité de la police et de la justice au moment des faits.

«C’était l’enfer. Nous étions assaillis par une pluie de bouteilles et de pierres, se remémore Alfréd Király. Les enfants étaient terrifiés. Nous avons demandé à la police de nous protéger, mais elle ne l’a pas fait.» Plus de quatre années se sont écoulées depuis que plusieurs centaines de manifestants violents ont encerclé sa maison, en scandant des slogans hostiles aux Roms et en jetant des pierres par ses fenêtres, mais l’évocation de ce souvenir bouleverse toujours autant Alfréd Király. Cette semaine, pourtant, Alfréd et d’autres familles roms ont remporté une victoire importante dans le long combat qu’ils ont engagé pour obtenir justice, combat qui les a amenés à saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

Attaques de groupes d’extrême droite

Le 5 août 2012, plus de 700 personnes ayant des liens avec des groupes d’extrême droite ont marché sur Devecser, un village situé dans l’ouest de la Hongrie. Après avoir manifesté dans le centre du village, elles se sont rendues dans une rue où elles pensaient que vivaient des familles roms. Rassemblées devant les maisons, elles ont crié : «Criminels gitans […] Nous allons incendier vos maisons […] Vous y brûlerez vifs !» Elles ont ensuite jeté des pierres et des pavés, contraignant les Roms à se barricader chez eux. Les policiers sont restés passifs, observant simplement la scène.

 

«C’était l’enfer. Nous étions assaillis par une pluie de bouteilles et de pierres.  Nous avons demandé à la police de nous protéger, mais elle ne l’a pas fait » - Alfréd Király

La semaine dernière, la Cour européenne a jugé que la police n’avait pas protégé les Roms ce jour-là et que les autorités hongroises n’avaient pas fait le nécessaire durant l’enquête sur les propos «haineux et insultants» tenus lors de la manifestation. Elle a également estimé que les auteurs de ces crimes «n’avaient toujours quasiment pas été sanctionnés» ce qui, a-t-elle déclaré, pouvait avoir été perçu par la population comme une légitimation par l’État de ces violences ou une tolérance de celui-ci à leur égard.

Signal fort

La décision de la Cour européenne envoie un signal fort au gouvernement hongrois alors que le racisme et la xénophobie asphyxient toujours davantage le pays. Le parti d’extrême droite, Jobbik, est la troisième force politique au Parlement, tandis que le comportement du Fidesz, le parti au pouvoir, est de plus en plus négatif à l’égard des Roms et d’autres groupes minoritaires.

Les violences racistes contre les Roms de Hongrie ont atteint leur paroxysme en 2008 et 2009, une série d’attaques coûtant la vie à six personnes (des hommes, des femmes et des enfants), mais la peur des violences n’a pas pour autant disparu. Les Roms de Hongrie continuent d’être victimes de différents crimes de haine ; ils sont notamment agressés et leurs biens sont attaqués.

Discriminations multiples

En outre, les Roms sont exposés à de multiples formes de discrimination au quotidien, qui ont une incidence sur la scolarité des enfants et l’emploi des adultes et se traduisent par des injures racistes dans les médias favorables au gouvernement, voire de la part de responsables politiques. Quand, en 2013, l’un des fondateurs du parti au pouvoir, Fidesz, Zsolt Bayer, a qualifié les Roms d’«animaux […] indignes de vivre parmi les êtres humains», le Premier ministre Viktor Orbán ne s’est pas manifesté. Le Premier ministre lui-même a parlé de «fait s’inscrivant dans l’histoire de la Hongrie» pour décrire la présence des Roms, ajoutant : «Il nous appartient de vivre avec» et, en 2016, le président János Áder a fait chevalier de l’Ordre du mérite un journaliste qui avait comparé les Roms à des animaux.

Les mesures prises par l’État en réponse aux violences visant les Roms ont été très limitées. Bien souvent, la police traite les crimes de haine comme des infractions ordinaires, sans tenir compte de leur motivation raciste. Par exemple, quand des individus sont entrés par effraction dans la maison d’une famille rom à Eger, en 2015, agressant celle-ci et criant : «Sales Gitans, vous allez mourir», la police a simplement qualifié les faits d’«introduction irrégulière».

Face à l’absence dans le système judiciaire hongrois de procédure permettant de déterminer si un crime a été motivé par le racisme, l’Institute of Race Relations, organisme installé au Royaume-Uni, a parlé en 2016 de collusion entre des «éléments au sein du système pénal et les paramilitaires […] qui terrorisent les Roms dans des villages du centre et de l’est de la Hongrie».

Traumatismes

Les répercussions de ces menaces et de ces violences sur les personnes peuvent être graves et durables. Durant l’été 2015, j’ai rencontré des familles roms dans la ville de Gyöngyöspata. Elles avaient été menacées et harcelées par des groupes d’autodéfense autoproclamés en 2011. Quatre années plus tard, beaucoup étaient toujours traumatisées. Elles suivaient un traitement, et ne pouvaient pas aller au travail ou à l’école.

Ces derniers mois, le traitement discriminatoire réservé par la Hongrie aux Roms et à d’autres groupes minoritaires a été largement occulté par celui révoltant infligé aux réfugiés et aux migrants, groupe qualifié de « poison » par le Premier ministre Viktor Orbán. Des demandeurs d’asile, parmi lesquels des mineurs non accompagnés, sont victimes de violences, de renvois forcés illégaux (push-back) et de détentions illégales aux mains de la Hongrie. Ces atteintes flagrantes au droit international commises par la Hongrie sont condamnées par la communauté internationale mais, au lieu d’être embarrassé, Viktor Orbán les présente avec fierté comme un exemple à suivre par d’autres pays.

La décision rendue par la Cour européenne fait clairement savoir aux autorités hongroises que les crimes de haine ne doivent pas être tolérés. Celles-ci doivent agir de toute urgence pour mener des enquêtes exhaustives sur ces crimes et d’autres crimes racistes, et pour traduire en justice les responsables de ces crimes. «Nous sommes heureux d’obtenir enfin justice, a déclaré Alfréd, mais nous n’avons remporté qu’une petite bataille. La lutte contre les crimes de haine et les discriminations dont nous sommes la cible est bien loin d’être terminée.»