« Si la situation semble s’être apaisée au Kazakhstan, la crise est loin d’être terminée. Il est aujourd’hui primordial de permettre le libre accès à des informations indépendantes, de mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes pour ce qui s’est produit et de s’engager à respecter les droits humains à l’avenir », a déclaré Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International.
Le nombre de morts demeure inconnu
Le nombre exact de victimes des récentes violences au Kazakhstan demeure inconnu. Les autorités ont confirmé la mort d’au moins 18 représentants des forces de l’ordre, mais n’ont toujours pas divulgué le nombre de victimes civiles. Le 9 janvier, une chaîne Telegram associée au gouvernement a publié des informations faisant état de 164 morts, mais le ministère de la Santé a par la suite démenti ce chiffre et évoqué un bug technique.
« Le silence des autorités quant au nombre de victimes durant les troubles et quant aux circonstances de leur mort est scandaleux. Elles doivent immédiatement rendre public le bilan des victimes civiles », a ajouté Marie Struthers.
Presse et internet au point mort
Les autorités kazakhes ont désactivé Internet et restreint les communications mobiles pendant cinq jours après le début des manifestations. Elles ont accusé les défenseur·e·s des droits humains et les militant·e·s d’avoir poussé à manifester et procédé à l’arrestation de journalistes indépendants.
«Le silence des autorités quant au nombre de victimes durant les troubles et quant aux circonstances de leur mort est scandaleux.»Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International
Le 7 janvier, Loukpan Akhmediarov, rédacteur en chef du journal Ouralskaïa Nedelia, a été arrêté à Oural et condamné à 10 jours de détention pour avoir violé la loi du Kazakhstan excessivement restrictive sur les rassemblements. Le 5 janvier, deux journalistes d’Azzattyk, le service radio local de Radio Free Europe/Radio Liberty, ont été arrêtés et interrogés au sujet de leur travail lors des manifestations. Le 10 janvier, les autorités ont ordonné au média indépendant Fergana.ru de supprimer un article sur la crise, sous peine de s’exposer à des poursuites pénales. Selon certaines informations, des journalistes étrangers se sont vus refuser l’entrée dans le pays. Parallèlement, si l’accès à Internet a été rétabli le 10 janvier, il est encore régulièrement bloqué par les autorités et les messageries mobiles demeurent inaccessibles localement.
« Les autorités doivent rétablir l’accès libre à Internet, débloquer toutes les autres formes de communication et cesser d’exercer des représailles contre ceux qui diffusent des informations de manière indépendante. En temps de crise, l’information indépendante est cruciale. Couper ainsi les communications revient à détenir toute la population au secret », a déclaré Marie Struthers.
« Amnesty International demeure vivement préoccupée par la façon dont le président Kassym-Jomart Tokaïev a accusé à la télévision nationale les journalistes et les défenseurs des droits humains d’incitation à troubler l’ordre public – un discours repris par divers détenteurs du pouvoir au Kazakhstan. »
Manifestant·e·s pacifistes sous les verrous
Le 11 janvier, le ministère de l’Intérieur du Kazakhstan a affirmé que près de 10 000 personnes ont été arrêtées depuis les émeutes et les violents affrontements entre la police et les manifestant·e·s. Plus de 400 poursuites pénales ont été engagées. Selon le procureur général, la plupart concernent des violences, dont des homicides. Cependant, dans certains cas dont Amnesty International a eu connaissance, les autorités kazakhes ont poursuivi des dissident·e·s pacifiques sous le vague chef d’inculpation d’« incitation à la discorde sociale ». C’est le cas du militant écologiste Artiom Sotchnev, inculpé de cette accusation pour avoir organisé un piquet de grève tout seul dans la rue, à Stepnogorsk, le 4 janvier.
«Nous sommes vivement préoccupés par les conditions de détention et les motifs d'arrestation de milliers de détenus. En outre, des personnes sont portées disparues depuis le 6 janvier.»
Marie Struthers
La loi kazakhe indûment restrictive régissant les rassemblements publics interdit effectivement toute manifestation de rue, sauf permission expresse des autorités locales. En vertu de ce texte de loi, des milliers de Kazakh·e·s ayant participé à des manifestations pacifiques ces derniers jours encourent une arrestation, une amende ou une peine allant jusqu'à 15 jours de détention.
« Nous sommes vivement préoccupés par les conditions de détention et les motifs d'arrestation de milliers de détenus. En outre, des personnes sont portées disparues, comme le journaliste Makhambet Abjan, dont on est sans nouvelles depuis le 6 janvier, a déclaré Marie Struthers.
« Force est de constater que les procès iniques restent répandus au Kazakhstan, tout comme la torture et les mauvais traitements, tandis que les avocat·e·s se voient souvent refuser tout contact avec leurs clients et sont régulièrement muselés par des ordonnances de non-divulgation. L’avocat Ioubzal Kouspan a été arrêté et est lui-même détenu depuis 10 jours, simplement pour avoir participé à une manifestation pacifique. »
Le cas de Vikram Rouzakhinov, un musicien de jazz du Kirghizistan voisin qui était en tournée au Kazakhstan, illustre le risque de torture et de mauvais traitements. Le 9 janvier, la télévision d'État kazakhe a diffusé son interrogatoire : Vikram Rouzakhinov est apparu couvert de contusions et a « avoué » avoir été recruté par des « étrangers » pour « participer à un rassemblement de contestation » contre de l'argent. Vikram Rouzakhinov a été libéré le 10 janvier grâce à la protestation diplomatique du Kirghizistan.
« Tous ceux qui sont détenus de manière arbitraire simplement pour avoir participé aux manifestations doivent être libérés sur-le-champ. Les manifestant·e·s accusés d'avoir commis des infractions reconnues par le droit international en raison de leur comportement violent doivent bénéficier de procès équitables, conformément au droit international relatif aux droits humains. Dans l’attente, toutes les informations faisant état de mauvais traitements imputables à des membres des forces de l’ordre doivent faire l'objet d'enquêtes efficaces, en vue d’amener les responsables à répondre de leurs actes », a déclaré Marie Struthers.