Interview «Sans éducation aux droits humains, les politiques restent théoriques»

27 mai 2013
Il y a une dizaine d’années, Patrick Young a créé Theatre for a Change. Cette organisation non gouvernementale s’appuie sur des techniques théâtrales participatives pour donner aux femmes et aux hommes les moyens d’obtenir un changement et de revendiquer leurs droits sexuels et reproductifs.
Quelle est la raison d’être de Theatre for a Change?

L’autonomisation. Et les approches participatives, appliquées notamment aux droits sexuels et reproductifs. Celles-ci reposent sur le principe selon lequel les structures de pouvoir peuvent être modifiées, les participants étant les mieux placés pour les faire évoluer.

Comment avez-vous eu l’idée de créer Theatre for a Change?

Cette idée m’est probablement venue quand j’étais professeur de théâtre dans l’East End de Londres. Je travaillais alors avec des jeunes traversant des moments difficiles et nécessitant beaucoup d’attention. J’avais besoin d’approches améliorant quelque peu le quotidien et permettant à ces jeunes de prendre part au processus d’apprentissage. Après les cours, j’animais un club de théâtre où nous inventions des histoires tirées de leur vécu. J’ai travaillé avec un groupe de réfugiés nigérians sur le dernier projet que j’ai effectué alors que j’enseignais encore. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que je voulais travailler davantage dans ce domaine, en cherchant à mettre des approches participatives au service du changement social.

Comment êtes-vous passé d’un club de théâtre à la création d’une organisation?

Je possède une maîtrise en arts du spectacle pour le développement. Dans le cadre de ce cursus universitaire, nous devions créer un programme communautaire. Un jour, alors que je cherchais à savoir où aller pour appliquer les méthodes qu’on m’avait enseignées, je suis passé à la gare de Waterloo, à Londres, où un grand nombre de sans-abri vivaient alors, et je me suis rendu compte qu’il existait de nombreux problèmes de développement dans ce pays que je voulais tenter de résoudre avant de travailler sur des pays «en développement». J’ai créé une organisation appelée Streets Alive Theatre Company, destinée à aider les jeunes sans-abri à présenter leur situation à des publics qu’ils n’auraient normalement pas rencontrés dans la vie courante.

Personne ne connaît votre vie mieux que vous. C’est donc à vous de défendre vos propres droits: il suffit d’avoir les compétences nécessaires pour agir.
Qu’avez-vous fait dans le cadre de cette organisation?

Il était vraiment important que ce travail de plaidoyer en faveur de leurs droits ne soit entrepris que par ces jeunes. Nous estimons que les participants sont spécialistes de leur vie. Personne ne connaît votre vie mieux que vous. Ainsi, c’est à vous de défendre vos propres droits. Il suffit pour cela d’avoir les compétences nécessaires et les moyens d’agir, et c’est là que nous intervenons.

Pourquoi avez-vous choisi d’axer votre action sur les droits sexuels et reproductifs?

L’association ActionAid nous a contactés, car elle souhaitait appliquer nos méthodes dans le cadre d’un projet de prévention du VIH qu’elle mettait en œuvre au Ghana. Celles-ci sont particulièrement adaptées aux droits sexuels et reproductifs, car elles concernent les questions de pouvoir et de transfert du pouvoir. Elles offrent aux participants la possibilité de modifier la dynamique du pouvoir dans les sphères sociale et personnelle.

Avez-vous organisé des ateliers pour les travailleurs du sexe?

Oui, ces ateliers s’inscrivaient naturellement dans notre action, car nous voulions mettre à la disposition des franges de la société des plateformes de plaidoyer.

Vous avez également travaillé avec des policiers. Comment s’est déroulée cette expérience?

Lorsque nous avons demandé à des travailleuses du sexe qui elles voulaient influencer, elles ont répondu: «La police». Contre toute attente, cette expérience se déroule très bien, dans un esprit de collaboration. Je pense que les policiers apprécient ce processus: il leur permet de sortir de leur routine et nous savons que, sans partage du pouvoir, les deux parties souffrent. Nous estimons que la reconnaissance des droits humains profite non seulement à l’oppressé mais aussi à l’oppresseur. La police, par exemple, constitue le second groupe présentant le taux de prévalence du VIH le plus élevé au Malawi. Cela s’explique par le fait que des policiers abusent de leur pouvoir pour exploiter des femmes. Ils subissent ainsi directement les conséquences de cet abus, et enregistrent un nombre de décès bien plus élevé que la moyenne.

Pourquoi l’éducation aux droits humains est-elle si importante?

Parce que, en l’absence d’un processus d’autonomisation sur le terrain, aucun véritable changement politique ou juridique ne peut avoir lieu. Sans éducation aux droits humains, les politiques restent théoriques: c’est la réalité que connaissent la plupart des femmes et des filles. Au Malawi par exemple, il existe des lois et des réglementations protégeant la population ainsi que de nombreux documents sur les droits sexuels et liés au genre. Tous ces éléments demeurent complètement abstraits, à moins qu’on n’assiste à une éducation aux droits humains qui soit véritablement participative.