Dans un rapport, intitulé A Lesson in Discrimination: Segregation of Romani children in Primary Education in Slovakia, Amnesty International et le Centre européen pour les droits des Roms révèlent que les réformes limitées et la menace d'amendes de l'Union européenne pour non-respect de la loi communautaire n'ont guère permis de remédier à la pratique généralisée qui consiste à placer les enfants roms dans des écoles ou des classes à part. Il est courant que les enfants roms soient identifiés, à l'issue d'une évaluation, comme présentant un «handicap mental léger» et aiguillés vers des écoles spéciales où la qualité de l'enseignement laisse à désirer.
Les préjugés perdurent
«Cela fait presque deux ans que la Commission européenne a lancé une procédure d'infraction contre la Slovaquie pour discrimination et ségrégation au sein du système éducatif. Pourtant, les enfants roms demeurent pris au piège du cercle vicieux de la pauvreté, de la marginalisation et du désespoir, a déclaré Ðorđe Jovanović, président du Centre européen pour les droits des Roms (CEDR).«Le fait que la Slovaquie laisse perdurer des préjugés très présents au sein du système éducatif ruine l'avenir de générations d'enfants roms dès qu'ils franchissent la porte de l’école.»
Les enfants roms demeurent pris au piège du cercle vicieux de la pauvreté, de la marginalisation et du désespoir.
Ce rapport, qui analyse la situation dans quatre localités de l'est de la Slovaquie, révèle que les enfants roms sont placés dans des écoles ou des classes réservées aux Roms, ou dans des écoles et classes spéciales destinées aux élèves souffrant de «handicaps mentaux», où les programmes sont allégés et les possibilités de cursus limitées. Autre facteur qui alimente la ségrégation, les parents non-Roms retirent bien souvent leurs enfants des écoles lorsqu'ils ont l'impression qu'il y a «trop d'élèves roms». Les autorités slovaques n'ont pas mis en place de plan ni de politique efficace pour s'attaquer à ce phénomène, désigné sous l’expression «fuite des Blancs».
Bien souvent, la ségrégation commence avant même l'école primaire : les enfants roms sont soumis à une évaluation, qui conclut généralement qu’ils ne sont pas prêts à intégrer le cycle primaire, et ils sont placés dans des classes pré-scolaires.
Un enseignement au rabais
L'enseignement que les élèves roms reçoivent dans les écoles spéciales et dans les classes qui leur sont réservées est d'un niveau tellement bas qu'ils sont très peu nombreux à pouvoir poursuivre leur scolarité après 16 ans. Ceux qui le font n'ont guère d'autre choix que de s’orienter vers l'enseignement professionnel, ce qui restreint fortement leurs possibilités en termes d'emploi pour l'avenir.
L'enseignement que les élèves roms reçoivent dans les classes qui leur sont réservées est d'un niveau tellement bas qu'ils sont très peu nombreux à pouvoir poursuivre leur scolarité après 16 ans
Dans l'une des localités où les recherches ont été menées, les garçons roms inscrits dans un collège professionnel privé géré par une usine située à proximité ont raconté qu'ils passent la plupart de leur temps à assembler des prises électriques qui sont ensuite vendues par l'entreprise. Les filles à l'école se voient proposer des cours de «Femme pratique» (Praktická Žena), dans le cadre d'un programme national qui enseigne aux filles roms comment devenir de «bonnes ménagères», par des cours de cuisine et de tâches ménagères.
Les préjugés bien ancrés et le peu d'attentes du personnel enseignant vis-à-vis des enfants roms entravent encore leurs possibilités en termes d'éducation. Une enseignante a comparé son école à un «petit zoo». Une autre a déclaré que les Roms «se reproduisent entre eux. L'inceste est très fréquent». Elle a poursuivi en évoquant les rêves «irréalistes» de ses élèves : «Ils veulent tous devenir enseignants ou médecins... Le fossé est grand entre ce qu'ils imaginent et ce qu'ils feront vraiment. Même si les plus âgés, surtout les garçons, sont plus réalistes et finissent par devenir maçons, par exemple.»
Des diagnostics erronés
Le rapport met au jour un ensemble inquiétant de préjugés culturels parmi les personnes chargées de décider des placements dans des écoles spéciales, ce qui se traduit par des diagnostics erronés pour des dizaines d'enfants roms. Dans l'un des sites où se sont rendus les chercheurs, environ un tiers des enfants roms avaient été diagnostiqués comme présentant un «handicap mental léger». Une mère rom a raconté le choc qu'elle a ressenti lorsque son fils, jugé «très intelligent» par un psychologue, a été placé dans une école spéciale sans autre explication.
Des parents ont expliqué que, bien souvent, les enfants dans les écoles spéciales ne sont pas autorisés à ramener des manuels chez eux et n’ont pas de devoirs à faire à la maison. De nombreux enfants roms parlent le slovaque en tant que deuxième langue, ce qui est un frein à leur participation à la société slovaque dans son ensemble. Plusieurs parents ont déclaré que leurs enfants recevaient souvent pour consigne de dessiner et de peindre pendant les cours de slovaque, et le père d'un adolescent de 17 ans a déclaré que lorsque son fils a terminé l'école spéciale, il ne savait toujours pas lire, écrire ni parler slovaque.
Amnesty International et le CEDR exhortent la Commission européenne à inciter la Slovaquie à aligner ses politiques sur le droit européen en matière de discrimination raciale et lui demandent de publier un «avis motivé» contre la Slovaquie, ultime mesure avant d’intenter une action en justice.
Ségrégation illégale
«Au sein du système éducatif en Slovaquie, pour les enfants roms, les dés sont truqués dès le départ, ce qui les place sur une trajectoire étriquée qui exacerbe et perpétue les préjugés et le racisme à l'égard des Roms, a déclaré John Dalhuisen, directeur pour l'Europe et l'Asie centrale à Amnesty International. «La ségrégation des enfants roms n'est pas seulement préoccupante, elle est illégale. C'est cela, et non les lourdes amendes de l'UE qui ne manqueront pas de lui être infligées, qui devrait inciter la Slovaquie à y mettre un terme.»
En avril 2015, la Commission européenne a engagé une procédure d’infraction contre la Slovaquie pour atteinte présumée à la législation communautaire contre la discrimination. Cette procédure est en cours. Si elle ne se conforme pas à la législation européenne sur cette question, la Slovaquie pourrait être sanctionnée par de lourdes pénalités financières.