3. Quels sont les objectifs déclarés de l’initiative?
4. L’initiative a-t-elle des objectifs «cachés»?
5. Quel est le rapport entre l’initiative et les droits humains?
6. Que se passerait-il si l’initiative était acceptée?
7. L’indépendance de la Suisse est-elle menacée par les décisions de la Cour de Strasbourg?
8. L’initiative garantit-elle, comme le prétend l’UDC, la sécurité du droit?
9. La démocratie est-elle actuellement bafouée et menacée?
10. La Suisse est-elle menacée de tomber sous la dictature de l’Union européenne?
12. Le peuple a-t-il toujours raison?
13. La Suisse peut-elle réellement protéger les droits humains de manière autonome?
15. La CEDH abuse-t-elle en déformant le droit et en attaquant la démocratie?
21. Un oui à l’initiative aurait-il des influences sur notre économie et nos relations commerciales?
1. Que demande l’initiative?
En proposant la modification de cinq articles constitutionnels, l’initiative entend imposer la primauté de notre Constitution sur le droit international. Selon les initiants, «des politiciens, des fonctionnaires et des professeurs cherchent à restreindre les droits démocratiques et adopteraient de plus en plus fréquemment le point de vue selon lequel le droit étranger, des juges et des tribunaux étrangers comptent davantage que le droit suisse approuvé par le peuple et les cantons»[1].
Le texte complet de l'initiative: [2]
La Constitution est modifiée comme suit:
Art. 5, al. 1 et 4
1Le droit est la base et la limite de l’activité de l’État. La Constitution fédérale est la source suprême du droit de la Confédération suisse.
4La Confédération et les cantons respectent le droit international. La Constitution fédérale est placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international.
Art. 56a Obligations de droit international
1La Confédération et les cantons ne contractent aucune obligation de droit international qui soit en conflit avec la Constitution fédérale.
2En cas de conflit d’obligations, ils veillent à ce que les obligations de droit international soient adaptées aux dispositions constitutionnelles, au besoin en dénonçant les traités internationaux concernés.
3Les règles impératives du droit international sont réservées.
Art. 190 Droit applicable
Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et les traités internationaux dont l’arrêté d’approbation a été sujet ou soumis au référendum.
Art. 197, ch. 12
12. Disposition transitoire
A compter de leur acceptation par le peuple et les cantons, les art. 5, al. 1 et 4, 56a et 190 s’appliquent à toutes les dispositions actuelles et futures de la Constitution fédérale et à toutes les obligations de droit international actuelles et futures de la Confédération et des cantons.
2. Qui soutient l’initiative?
L’initiative a été lancée par l’Union démocratique du centre (UDC) ; aucun autre parti politique important au niveau national ne la soutient à ce jour. Au vu de leurs programmes respectifs, il est toutefois raisonnable de penser que les Démocrates suisses, l’Association pour une Suisse Indépendante et neutre (ASIN/AUNS) et d’autres petits partis d’extrême droite soutiendront l’adoption de l’initiative.
L’initiative a été déposée le 12 août 2016 munie d’environ 117'000 signatures.
3. Quels sont les objectifs déclarés de l’initiative
Selon l’argumentaire de l’UDC présenté par l’ancien Conseiller national Oskar Freysinger lors du dépôt de l’initiative, le texte a les objectifs suivants : [3]
- «sauvegarder et renforcer la démocratie directe et faire du droit fixé par le peuple et les cantons la source suprême du droit suisse ;
- empêcher que le droit international (hormis le droit international impératif[4]) soit superposé à la Constitution fédérale, par exemple sous la forme d'un accord bilatéral ;
- empêcher l'intervention de juges étrangers en Suisse, qu'ils soient de Luxembourg (Cour de justice de l’Union européenne) ou de Strasbourg (Cour européenne des droits de l’homme) ;
- obliger le Conseil fédéral et le Parlement à respecter à nouveau la volonté du peuple et à appliquer ses décisions comme, par exemple, l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse ou de celle sur l'internement à vie;
- empêcher qu'une «élitocratie» (administration, gouvernement, juges, professeurs) prive de plus en plus le peuple de son pouvoir.»
4. L’initiative a-t-elle des objectifs «cachés»?
Elle en a au moins un, même s’il est difficile de dire qu’il est caché, tant il est évident à la lecture du texte de l’initiative et à l’écoute des déclarations de ses partisans : c’est la remise en question de l’adhésion de la Suisse à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Le contexte dans lequel est née l’initiative, à savoir celui de tensions à répétitions entre décisions populaires et engagements internationaux de la Suisse (initiative sur l’internement, renvoi des étrangers criminels, initiative de mise en œuvre, etc.) et les arguments et exemples avancés par les initiants, montrent clairement que le texte est dirigé contre un traité en particulier, la CEDH (et accessoirement qu’il remet en question les accords bilatéraux – libre circulation des personnes – conclus avec l’UE).
5. Quel est le rapport entre l’initiative et les droits humains?
L’initiative vise à assurer la prééminence du droit national sur le droit international. Elle constitue dès lors une attaque frontale contre les droits humains puisqu’elle remet en question la prééminence de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) et la protection qu’elle offre à toute personne victime de violation de ses droits fondamentaux dans notre pays.
L’initiative s’attaque directement à la CEDH et les initiants ne s’en cachent d’ailleurs pas. L’UDC voit régulièrement son programme contrarié par la CEDH. La Suisse n’a pas (encore) été condamnée à Strasbourg en relation avec une initiative controversée comme celle sur l’interdiction des minarets ou contre l’immigration de masse, mais la CEDH est régulièrement avancée comme ligne rouge à ne pas dépasser lors de la validation des initiatives.
Sans la protection de la CEDH, les droits fondamentaux contenus dans la Constitution fédérale pourraient être restreints drastiquement par le biais d’initiatives populaires.
Les initiants verraient donc d’un bon œil la Suisse dénoncer la CEDH, et par conséquent se retirer ainsi du Conseil de l’Europe. Cela signifierait reculer de plus de 40 ans et renoncer à la meilleure protection dont dispose tout individu contre les violations de ses droits fondamentaux en Suisse
Accessoirement la Suisse serait également confrontée à des problèmes insolubles, notamment en cas d’incompatibilité de sa législation avec les Pactes des Nations unies sur les droits économiques sociaux et culturels ou les droits civils et politiques puisque ces derniers ne prévoient pas de mécanisme pour les dénoncer.
6. Que se passerait-il si l’initiative était acceptée?
Les conséquences d’une acceptation de l’initiative sont très diverses et difficiles à évaluer avec précision. A court terme, par exemple, la mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration de masse entrerait en collision frontale avec le droit international et en particulier avec les conventions de libre circulation conclues avec l’Union européenne. La prééminence du droit suisse sur le droit international entrainerait la dénonciation de ces accords bilatéraux.
A plus long terme, l’acceptation de l’initiative conduirait à un retrait de la CEDH, de la Cour européenne de Strasbourg et finalement du Conseil de l’Europe. Lorsque des articles constitutionnels s’opposeraient à la CEDH, les tribunaux suisses seraient tenus d’appliquer le droit national, même en violation de la CEDH ce qui, si le cas devait se répéter, aurait pour conséquence une suspension du Conseil de l’Europe. D’autres traités internationaux en matière des droits humains pourraient également devenir sans valeur pour la Suisse dont les deux Pactes des Nations unies, la Convention contre la torture ou la Convention des droits de l’enfant.
Concrètement, le Tribunal fédéral ne pourrait, d’une part, plus casser de décisions sur la base de leur incompatibilité avec le droit international, et d’autre part, un recours à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg perdrait tout son sens puisque les décisions de la Cour qui seraient contraires au droit suisse ne seraient de toute manière pas appliquées. Toute personne vivant en Suisse se verrait donc priver de la protection qu’offre actuellement la CEDH contre les violations des droits humains.
Enfin, le nouvel art. 190 de la Constitution rendrait extrêmement difficile le travail du Tribunal fédéral puisqu’il serait tenu par la Constitution d’appliquer le droit national et le droit international même si les deux devaient s’avérer incompatibles
7. L’indépendance de la Suisse est-elle menacée par les décisions de la Cour de Strasbourg?
Un des arguments souvent avancés par les initiants est la menace qui, selon eux, pèse sur l’indépendance de la Suisse. Chaque décision de Strasbourg nous rapproche, selon l’UDC, de Bruxelles. Ce n’est pas vrai et ce pour les raisons suivantes :
- Les partisans de l’initiative entretiennent fréquemment la confusion entre CEDH et Union européenne alors que les deux institutions n’ont rien à voir l’une avec l’autre. La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) est une émanation du Conseil de l’Europe qui regroupe 47 États en Europe et en Asie centrale. L’Union européenne qui n’est pas encore membre du Conseil de l’Europe n’a donc rien à dire dans le cadre de la CEDH.
- Le droit de l’Union européenne qui est repris en Suisse est systématiquement validé par le Parlement. Libre à ce dernier, s’il estime que notre indépendance est menacée, de refuser cette validation.
- Le fait d’adopter des règles de droit valables chez nos voisins ne fait que reconnaitre des règles de bons voisinages. Ces règles peuvent par ailleurs aussi être profitables à la Suisse, par exemple lorsqu’elles soumettent les entreprises européennes aux mêmes normes que les entreprises suisses, favorisant ainsi une concurrence loyale.
- Se soumettre volontairement au cadre légal fixé par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe laisse une large marge de manœuvre à la Suisse, un peu comme le fait de suivre le règlement de l’immeuble dans lequel nous habitons n’entrave en rien le droit que nous avons de décorer notre appartement selon nos goûts.
8. L’initiative garantit-elle, comme le prétend l’UDC, la sécurité du droit?
L’UDC prétend que son initiative précise les relations entre le droit international et le droit suisse, résout les conflits de normes et donc garantit une meilleure sécurité du droit.
C’est en fait le contraire. L’initiative d’un côté érige la Constitution fédérale comme «source suprême du droit de la Confédération suisse»[5], et la place donc «au-dessus du droit international»[6], et exige la dénonciation «au besoin» des traités internationaux qui lui sont contraires »[7]. D’un autre côté, le texte ancre le principe de la primauté des traités internationaux ayant été soumis au référendum[8] et conserve, de manière générale, le principe selon lequel la Confédération et les cantons «respectent le droit international»[9]. L’initiative est ainsi pleine de contradictions et apporte plus d’insécurité juridique qu’elle ne résout de problèmes.
9. La démocratie est-elle actuellement bafouée et menacée?
L’un des arguments fréquemment avancés par l’UDC à l’appui de son initiative consiste à dire qu'en n’appliquant pas à la lettre la voix du peuple, exprimée en votation, le Parlement ou les juges se substituent à la plus haute instance de notre démocratie pour la court-circuiter. Ils bafoueraient ainsi les principes de notre État de droit.
Selon les partisans de l’initiative, non seulement «le Conseil fédéral, la majorité du Parlement, le Tribunal fédéral», mais également «les professeurs de droit international et de droit public» sont coupables de s’appuyer sur le droit international pour s’opposer à l’application et la mise en œuvre des droits populaires.»[10]
En fait la démocratie directe ne ressortirait pas renforcée d’une acceptation de l’initiative ; au contraire : en cas de conflit irréductible entre la Constitution fédérale et le droit international c’est le Conseil fédéral, compétent en vertu de l’art. 184 Cst., qui devrait dénoncer l’accord international concerné. En d’autres termes, le Conseil fédéral serait ainsi habilité à dénoncer également des traités que le peuple aurait acceptés, et ce, sans le consulter.
Les conséquences d’une acceptation de l’initiative en lien avec celle contre l’immigration de masse sont exemplaires en termes de perte de souveraineté populaire, donc de menace sur la démocratie directe.
Le Conseil fédéral se verrait contraint de résilier l'accord sur la libre circulation des personnes (Accords bilatéraux I et II), si les négociations avec l’UE concernant l’initiative venaient à échouer. Il n’aurait pas à solliciter préalablement l’avis du peuple, en dépit du fait que ce dernier ait accepté à une large majorité les Accords bilatéraux I et II en mai 2000, ait voté en 2004 en faveur des accords de Dublin/Schengen et n’ait lancé de référendum contre aucun nouvel accord dans le cadre des bilatérales II. En clair, ceci impliquerait de manière évidente que le peuple perdrait de son pouvoir.
10. La Suisse est-elle menacée de tomber sous la dictature de l’Union européenne?
L’UDC non seulement s’attaque à La CEDH mais également aux accords conclus (et à venir) avec l’Union Européenne (UE).
A lire le texte, de l’initiative et l’argumentaire qui l’accompagne, il est évident que l’UDC souhaite empêcher la reprise automatique («dynamique») du droit international, notamment de l’Union européenne, en droit suisse. Ce qu’elle considère comme une dictature de Bruxelles sur la Suisse.
Il ne faut pas oublier que de nombreux actes législatifs adoptés chaque année par la Confédération ne concernent plus strictement pas le droit national, mais le droit contractuel international. Le nombre de textes de droit interne qui reposent sur le droit international est également de plus en plus grand. Il n’y a plus de délimitation claire et nette entre la politique nationale et la politique internationale. Les citoyens peuvent ainsi se prononcer par référendum sur des textes de politique étrangère pratiquement comme ils peuvent le faire sur la Constitution et les lois nationales.
En d’autres termes, le risque pour la Suisse de se faire juridiquement «phagocyter» par l’Union européenne, pour autant qu’il existe, reste minime puisque le contrôle démocratique, si cher à l’UDC, existe déjà sur la conclusion de nombreux textes internationaux.
11. Le droit suisse est-il formulé comme le prétendent les partisans de l’initiative par des professeurs de droit et des fonctionnaires?
Les sources du droit suisse sont unanimement reconnues dans le droit écrit (la Constitution et les lois), complété par la jurisprudence (l’interprétation des lois par les tribunaux) et par la doctrine (l’analyse des lois et de la jurisprudence effectuée par les milieux académiques) et finalement par le droit coutumier (les règles non écrites, développées tout au long d’une jurisprudence constante du Tribunal fédéral et des autorités politiques et administratives).Les juges, tout comme les professeurs ont donc un rôle important à jouer mais la source principale du droit est fixée dans la Constitution dont toute modification doit systématiquement être soumise au double verdict du peuple et des cantons et par les lois, qui sont rédigées par le Parlement et qui sont éventuellement validées par un vote populaire en cas de référendum.
La séparation des pouvoirs veut que le Parlement élabore les lois, que le gouvernement les applique, et que la justice vérifie qu’elles soient appliquées correctement. Ce n’est donc ni au peuple ni au Parlement de vérifier que les lois soient correctement mises en œuvre mais bien aux juges et en cela, ils ne font que remplir leur devoir. Quant aux fonctionnaires et aux professeurs auxquels l’UDC fait allusion, ils ne peuvent donner que des avis consultatifs, informer voire prévenir que tel ou tel projet de loi posera problème, s’il devait entrer en vigueur mais ni les juges ni le parlement ne sont tenus de les suivre.
12. Le peuple a-t-il toujours raison?
Non, le peuple n’est pas au-dessus des lois et il se doit de les respecter. Aurait-il raison par exemple d’accepter une initiative populaire demandant l'exclusion des femmes du droit de vote ou une autre interdisant de parler français en Suisse ? Bien sûr que non. Bien qu’il soit vrai que notre système démocratique permette au peuple de décider, la majorité populaire n’a pour autant toujours raison dans ses choix. Même le peuple a besoin d’un cadre de référence. L’UDC ne devrait pas oublier que notre système politique s’est construit sur ce garde-fou qu’est la protection des minorités, garantie par le bicaméralisme parlementaire, par le fédéralisme ou encore par la double majorité requise lors de certaines votations populaires.
Sans ce garde-fou et d’autres comme le droit international impératif –le ius cogens[11] – on pourrait très bien imaginer, par exemple, une initiative populaire qui interdirait d’enseigner le français dans toute la Suisse et qui ferait de l’allemand la seule langue officielle du pays. Si le peuple votait en faveur de cette initiative (dans l’hypothèse où tous les votants suisses alémaniques, majoritaires par rapport aux francophones, l’approuveraient), la minorité francophone n’aurait plus de Cour européenne des droits de l’homme vers laquelle se tourner pour faire valoir ses droits.
13. La Suisse peut-elle réellement protéger les droits humains de manière autonome?
Selon les partisans de l’initiative, les droits contenus dans la CEDH sont tous contenus dans notre Constitution (ce qui est vrai) et nous n’avons donc pas besoin de la CEDH et encore moins des juges de Strasbourg pour les respecter et les mettre en œuvre (ce qui est faux). L’acceptation de l’initiative aboutirait, à long terme, à la résiliation de la CEDH. Or, sans cette Convention, la Suisse serait privée du principal instrument international garantissant le respect des droits humains, et se retrouverait sans protection judiciaire en cas de violation de ces droits par les lois fédérales. En effet, la Suisse ne dispose pas de juridiction constitutionnelle pour les lois fédérales et le Tribunal fédéral ne pourra donc plus protéger nos droits fondamentaux, dans le cas où ils seraient menacés par une loi fédérale, et ce malgré le fait qu’ils sont inscrits dans la Constitution. La protection des droits fondamentaux contenus dans la Constitution fédérale et qui coïncident dans une large mesure avec ceux contenus dans la CEDH, n’est possible, selon l’art. 190 Cst. en vigueur, que grâce à la primauté du droit international et donc de la CEDH.
14. La Suisse devrait-elle dénoncer la CEDH et sortir du Conseil de l’Europe en cas d’acceptation de l’initiative?
Sur le long terme oui. Les partisans de l’initiative acceptent ouvertement cette éventualité.[12] L’idée est qu’un jour ou l’autre, la Suisse sera condamnée à Strasbourg pour une violation de la CEDH. Dès lors que le droit suisse primera sur cette dernière, la Suisse n’aura pas à se conformer à la décision de Strasbourg. Si le phénomène se répète, la Suisse sera, à moyen terme, soit suspendue du Conseil de l’Europe, soit tenue de dénoncer la CEDH, ce qui aura également pour effet la suspension voire l’expulsion de la Suisse du Conseil de l’Europe.
Son isolement politique au sein de l’Europe serait ainsi total et elle perdrait le peu de poids dont elle bénéficie actuellement dans les négociations internationales ainsi que sa crédibilité. Il ne faut pas oublier que le Conseil de l’Europe ce n’est pas uniquement la CEDH. C’est 221 conventions que la Suisse a pour la plupart ratifiées dans des domaines aussi divers que la lutte contre la traite des êtres humains, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre le dopage, la protection de l’environnement ou celle des minorités nationales. Le statut de toutes ces conventions deviendrait totalement incertain.
Hors du Conseil de l’Europe, la Suisse se placerait au niveau de la Biélorussie, seul pays d’Europe non membre du CdE (parce qu’il applique toujours la peine de mort), de la Grèce seul état à avoir dénoncé la CEDH pendant les pires années de la dictature des colonels, de la Turquie actuelle qui a déclaré suspendre l’application de la CEDH, suite à l’état d’urgence instauré après la tentative de coup d’État de juillet dernier ou encore de la Russie, qui a décidé en 2015 de ne plus appliquer les décisions de la Cour de Strasbourg lorsqu’elles ne seraient pas compatibles avec sa Constitution[13].
15. La CEDH abuse-t-elle en déformant le droit et en attaquant la démocratie?
Certains pensent que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) «sert aujourd’hui à priver les citoyens de leurs droits démocratiques. Voire à bloquer la démocratie là où elle est la plus ancienne et la plus directe.»[14] Selon lui, on espérait au moment de la création de la CEDH en faire «un outil de conversion du continent aux valeurs démocratiques»[15]. La CrEDH aurait malheureusement été victime de son succès et se serait arrogé des compétences que personne ne lui a données. Le Conseiller national prend ainsi l’exemple du droit à la famille (art. 8 CEDH), qui devrait servir à protéger les relations familiales contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics et qui selon lui est utilisé par la CrEDH comme obstacle à l’expulsion des étrangers criminels.
Ce n’est évidemment pas le cas et il faut voir que la définition du droit à la famille est beaucoup plus large que le sens qui lui est donnée par le député genevois. En examinant de plus près ces décisions, il devient évident que la Cour de Strasbourg, dans le cas de jugements en lien avec le droit de la famille, respecte de manière général la marge de manœuvre des États et ne prononce de condamnations que dans des cas exceptionnels.
La Cour, il devrait être inutile de le dire, n’est pas un organe politique, elle n’a aucun objectif caché et surtout pas celui de limiter la démocratie et d’aider les gouvernements à refuser de mettre en œuvre leur propre droit lorsque celui-ci leur déplait. La Cour de Strasbourg se contente d’appliquer le droit en tenant en compte non seulement les législations nationales mais aussi et surtout les normes qui ont été établies et reconnues par la communauté internationale.
16. Quelles seraient les conséquences pour les autres membres du Conseil de l’Europe d’une dénonciation par la Suisse de la CEDH, notamment sur ceux qui n’appliquent pas les décisions de la Cour?
Il est clair qu’en se retirant de la CEDH et donc du Conseil de l’Europe, la Suisse donnerait un signal catastrophique aux autres États européens dont certains ont déjà menacé de faire de même, dont le Royaume-Uni. Le signe serait d’autant plus fort que la Suisse est l’un des pays les moins condamnés à Strasbourg et surfe sur sa réputation de pays très respectueux des droits humains.
Les États qui peinent, pour des raisons très diverses, à mettre en œuvre les décisions de la Cour ne seraient certainement pas encouragés à régulariser leur situation. Dès lors que les bons élèves décident de ne plus respecter la CEDH, il n’y aurait pour eux aucune raison valable de faire mieux. Nous entrerions certainement dans une spirale descendante et il est à craindre que, dans le long terme, la CEDH ne perde toute autorité, laissant ainsi la porte grande ouverte au grand retour des violations des droits humains en Europe.
Enfin, en cas de retrait, la Suisse perdrait sa légitimation à siéger au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ou à mener des dialogues sur les droits humains avec des États comme l’Iran, le Vietnam ou la Chine, alors qu’elle-même viendrait de déclarer explicitement ne vouloir respecter les droits humains que lorsqu’ils sont en harmonie avec son droit national.
17. Les droits humains les plus importants sont contenus dans notre Constitution, pourquoi a-t-on besoin en plus de la CEDH?
L’article 190 de la Constitution fédérale stipule que : «Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international». Puisqu’il n’existe pas, en Suisse de contrôle de la constitutionnalité des lois, il n’est pas possible d’attaquer une loi fédérale parce qu’elle violerait un des droits fondamentaux figurant dans notre Constitution. On peut par contre – et grâce à l’article 190 – vérifier que cette loi soit compatible avec le même droit contenu dans la CEDH.
Pour cette raison, l’argument des partisans de l’initiative, selon lequel la liste des droits fondamentaux contenus dans la Constitution fédérale protège suffisamment les personnes vivant en Suisse, est erroné.
18. Une pesée des intérêts s’avère toujours nécessaire pour restreindre un droit fondamental. Nos juges ne sont-ils pas mieux à même d’effectuer cette évaluation que des juges étrangers? Ne manquons-nous pas de confiance en notre propre système juridique?
Il ne faut pas oublier qu’un juge suisse – voire deux juges suisses car c’est parfois un Suisse ou une Suissesse qui représente le Liechtenstein - siège dans le collège des juges pour toute décision rendue par la CrEDH contre ou en faveur de la Suisse. Les décisions de Strasbourg ne sont donc pas des décisions prises par des juges étrangers. Par ailleurs, les juges de Strasbourg, s’ils ne sont pas à même de percevoir toutes les subtilités d’un système juridique particulier, prennent le temps nécessaire de comprendre les enjeux de tel ou tel jugement avant de rendre leur décision. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la Cour prend parfois beaucoup de temps à rendre ses décisions.
Par ailleurs si des juges «étrangers» portent un regard parfois critique sur notre législation, le contraire est également vrai et des juges suisses prennent des décisions concernant les 46 autres États membres du Conseil de l’Europe. C'est le cas depuis des décennies et la Suisse a ainsi largement contribué au développement de la jurisprudence de Strasbourg.
19. En cas d’acceptation de l’initiative, est-il imaginable que la peine de mort, dont l’interdiction ne fait pas partie du droit international impératif, soit réintroduite par voie de votation dans notre pays?
On peut effectivement l’imaginer en théorie, même si cela est peu probable en pratique. La Suisse a en effet, outre la CEDH, ratifié le protocole additionnel n°2 au Pacte des nations unies relatif aux droits civils et politiques qui interdit la peine de mort. Ce protocole ne comporte pas de clause permettant de le dénoncer ; la Suisse ne pourrait donc pas se dégager de son obligation prise d’abolir la peine capitale. Par ailleurs la réintroduction de la peine capitale signifierait à coup sûr et immédiatement une suspension de la qualité de membre du Conseil de l’Europe et à plus long terme une exclusion.
20. La CEDH traite de plus en plus de cas. La Suisse n’est que rarement condamnée mais nos juges prennent en compte les décisions de la CEDH relatives à d’autres pays dans leurs jugements. Ceci ne signifie-il pas que l’influence de Strasbourg s’accroit au fil du temps?
Il est normal que les juges nationaux s’inspirent ou prennent compte les décisions de Strasbourg concernant d’autres pays. La CrEDH rend une justice qui se veut la même pour tous les pays membres du Conseil de l’Europe et il est évident que si elle condamne la France ou la Bulgarie pour une situation similaire, elle fera de même avec la Suisse si d’aventure celle-ci statuait également comme les pays précités. C’est donc pour éviter d’être condamnée par la Cour européenne et dans un esprit d’harmonisation de la manière dont sont mis en œuvre les droits humains en Europe que nos juges appliquent les décisions de Strasbourg.
On peut effectivement voir ce phénomène comme un accroissement de l’influence de Strasbourg mais on peut le voir positivement comme une application de la même justice à tous les Européens et toutes les Européennes. Une justice au développement de laquelle la Suisse a largement contribué.
21. Un oui à l’initiative aurait-il des influences sur notre économie et nos relations commerciales?
Economie Suisse s’oppose avec vigueur à l’initiative. Elle considère que cette dernière attaque de manière frontale les intérêts de l’économie, car elle menace la forte interconnexion de la Suisse avec l’économie mondiale et la participation de notre pays au marché intérieur européen.
Selon elle, l’acceptation de l’initiative aurait une incidence sur des centaines d’accords économiques et créerait une incertitude juridique persistante. Elle compliquerait, voire empêcherait, la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux avec des partenaires commerciaux dans le monde entier.
La Suisse a besoin de relations réglées selon le droit international avec ses partenaires commerciaux du monde entier. Sans la possibilité d’utiliser des procédures judiciaires internationales fondées sur des traités internationaux, que ce soit en tant que demandeur ou défenseur, nos entreprises seraient privées d’une protection minimale décisive, en Suisse et à l’étranger, face à la concurrence internationale et seraient discriminées durablement. Toujours selon Economie Suisse, une telle situation serait catastrophique pour les entreprises suisses tournées vers l’exportation.
[1] http://www.udc.ch/campagnes/apercu/initiative-pour-le28099autodetermination/de-quoi-se28099agit-il/
[2] https://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis460t.html
[3] Argumentaire : Initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l'autodétermination)» du 10 mars 2015 sur http://www.initiative-autodetermination.ch, pages 4 et 5
[4] Il n’existe pas de consensus à propos du droit international impératif. L’UDC le limite à l’interdiction de la torture, du génocide, du crime d’agression, de l’esclavage, et du principe de non refoulement.
[5] article 5 al. 1 Cst. féd
[6] article 5 al. 4, deuxième phrase Cst. féd
[7] article. 56a Cst. féd
[8] article 190 Cst. féd
[9] article 5 al. 4, première phrase Cst. féd.
[10] Initiative populaire pour faire appliquer les décisions du peuple – le droit suisse prime le droit étranger, document de fond de l’Union démocratique du centre (UDC), p. 2 http://bit.ly/2e3zj9W
[11] L’ensemble des normes impératives de droit international. Selon l’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités il s’agir des « norme acceptées et reconnues par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que normes auxquelles aucune dérogation n'est permise (…) ».
[12] Argumentaire de l’UDC, chap. 5.2.4
[13] cf. http://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/nouvelles/organes-du-conseil-de-leurope/russie-credh
[14] http://lesobservateurs.ch/2015/07/16/juges-etrangers-ou-democratie-il-faut-choisir/
[15] id.