Vous venez pour la première fois en Suisse. Jouer devant un public suisse, est-ce différent que de jouer devant un public congolais?Pas vraiment, le théâtre reste le même. Je note juste une petite différence. Chez nous à Kinshasa, dès que les acteurs entrent en scène, le public exprime son enthousiasme de manière très forte. Quand un spectateur est content, il explose directement. Et ceux qui se sentent entraînés le suivent. Ils crient, lancent des mots d'encouragement, il y a un courant qui passe entre le public et les acteurs. Par contre en Suisse, le public est plutôt discret pendant la pièce. Les gens sont timides, ils ne réagissent pas tous ensemble mais individuellement. Et ils n’explosent qu’à la fin du spectacle.
Vous avez été surprise par la réaction du public suisse? Nous avions été prévenus! (Rires). Par notre metteur en scène, Michel Faure, qui est suisse. Mais si le public réagit peu pendant la pièce, des spectateurs nous approchent après la représentation pour nous féliciter. Ici, les gens sont sincères et n’hésitent pas à nous adresser des critiques. En RDC, il n’y a pas de contact avec le public après le spectacle.
Quelles scènes ont eu le plus de succès? Au début de la pièce, les femmes font le serment de se refuser à leurs hommes tant qu’ils n’arrêtent pas la guerre. Démobilisette fait promettre aux deux autres protagonistes, Dora et Victoire, qu’elles ne céderont pas, même si leurs hommes les approchent et qu’elles en ont très envie. A Genève, les gens ont beaucoup ri à cette scène, comme à d’autres scènes où les femmes se confrontent aux hommes.
Et à Kinshasa? A Kinshasa, lors de la scène du serment de la grève du sexe, les femmes criaient toutes ensemble : «Oui, oui, c’est ce qu’on va faire!». Quant aux hommes, ils ont pris peur. Les spectateurs se prennent au jeu. A la fin d’un spectacle, un homme m’a dit «Ne t’approche pas de ma femme, tu vas la contaminer!» (Rires). Vous faites un théâtre engagé, qui s’attaque aux vices de la société avec humour. D'après vous, peut-on rire de tout? Oui absolument!
Avez-vous fait face à des réactions négatives? Non, au contraire. Comme nous faisons du théâtre engagé, les gens sont très réceptifs. Je me souviens d'un monsieur, chez nous, très intrigué par l'affiche. Il ne voulait rater la pièce sous aucun prétexte. Malheureusement, nous n'avons pas pu jouer ce jour-là, à cause d'une coupure de courant. Il était très déçu. La seule réaction négative qui m’a marquée était celle d’un professeur à l'institut national des arts, venu voir la pièce en famille. Au moment de la scène de l'amour, où les deux protagonistes sont cachés derrière un tissu, le professeur a fait sortir sa femme et son fils. Pour moi, c'est de l'hypocrisie. Parce que même si tu essaies de cacher cette réalité aux enfants, ils vont en entendre parler à l'extérieur.
Pour vous, quel est le message le plus fort de la pièce? D'abandonner la guerre, de faire la paix.
Le message a-t-il autant de sens en Suisse qu’en RDC, encore touchée par la guerre aujourd’hui ? C'est un message universel! L'auteur, Aristophane, a écrit la pièce vers 410 avant JC mais le message reste actuel. On pense toujours que la guerre est loin mais on est à l'abri de rien. Un jour, vous la regardez à la télé, le lendemain elle est chez vous. La guerre peut arriver partout. Congolais, Suisses, nous sommes tous concernés.
Qu’est-ce qui vous séduit dans le théâtre? J’ai commencé à jouer avec l’objectif d’éduquer les masses. A travers le théâtre, je peux faire passer beaucoup de choses, tout en divertissant le public. Ce que nous jouons est très proche de la réalité des gens.
Seriez-vous vous-même prête à faire la grève du sexe? Nous le faisons déjà! Pas de manière collective, comme dans «La Guerre ou l’Amour», mais plus discrètement. Chez nous, les hommes achètent un Wax (ndr: tissu que les femmes se nouent autour de la taille) à leurs épouses pour qu’elles le portent le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale de la femme. Si le 6 ou le 7 mars, mon mari ne m'a toujours pas offert mon Wax, je fais la grève du sexe, jusqu'à ce qu'il me le paie.