Interview de Denise Graf Bremgarten est partout

14 août 2013
L’«interdiction de baignade»  à la piscine de Bremgarten AG a provoqué un tollé général. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’est déjà publiquement opposée à une telle mesure. Mais les «zones sensibles» et les «règlements intérieurs»  restent un sujet d’actualité. Denise Graf, experte asile pour Amnesty International Suisse, s’exprime sur la discrimination illégale, les rapprochements hasardeux et l’importance de l’engagement de la société civile. Propos reccueillis par Carole Scheidegger.

Denise Graf Denise Graf, experte sur l'asile © AI

Amnesty: Les interdictions de périmètre sont-elles légales?

Denise Graf : Ces interdictions dirigées contre tout un groupe de personnes, du fait de leur statut, sont une forme claire de discrimination. Elles constituent une atteinte sans base légale et disproportionnée au droit à la liberté de mouvement, inscrit dans la Constitution. Amnesty International s’oppose depuis toujours à ce genre de mesures. Notre Constitution interdit la discrimination. Il n’est pas possible que l’Office fédéral des migrations (ODM), de concert avec les autorités locales, prenne des mesures discriminatoires. Nous avons déjà dû dénoncer, dans le passé, de telles mesures. Il est temps que toute interdiction collective soit levée, et qu’une personne ne soit interdite de périmètre que lorsqu’il existe des raisons objectivables et individuelles pour cela.

Des interdictions de circuler ne peuvent donc être prononcées que contre des individus?

Oui. Une catégorie entière de personnes, par exemple les résident·e·s d’un centre d’asile, ne peut pas être cataloguée a priori comme dangereuse ou criminelle.

Est-ce que cette règle s’applique aussi aux règlements intérieurs, qui ne sont pas une disposition légale à proprement parler, mais qui concernent systématiquement les requérant·e·s d’asile?

Les autorités ont l’obligation de lutter contre la discrimination, et n’ont absolument pas le droit de prendre des mesures qui favorisent la discrimination. Lors du débat sur l’interdiction de baignade, il a été argumenté que de  nombreuses règles encadrent la vie quotidienne. Par exemple, il est interdit de tondre sa pelouse le weekend, ou de laisser son chien en liberté. Mais cette comparaison ne tient pas: les règles qui s’appliquent à tout le monde ne sont pas discriminatoires. En revanche, les interdictions de périmètres  ou les interdictions de «zones sensibles» ne s’appliquent qu’à certains groupes de personnes, en l’occurrence les requérants·e·s d’asile.

Concrètement, que fait Amnesty contre cette discrimination?

Nous nous sommes exprimé∙e∙s à plusieurs reprises contre la discrimination et avons toujours condamné ce genre de mesures. Nous observons maintenant comment cela continue à Bremgarten, quel contenu aura le nouveau règlement du centre et comment ce règlement sera mis en œuvre par l’AOZ (Organisation zurichoise pour la migration, en charge du centre de Bremgarten, ndlr). Nous avons eu des expériences positives avec l’AOZ dans le passé, et nous espérons trouver une solution satisfaisante.

Si nous voulons une politique d’asile crédible, comme l’a à nouveau affirmé Mme la Conseillère fédérale Sommaruga, il est très important que les requérant·e·s d’asile ne soient pas mis·e∙s au ban en tant que groupe. Les autorités doivent faire bien plus d’efforts pour que les requérant·e·s d’asile soient accepté∙e∙s par la population. Il est extrêmement important de cibler les individus qui se comportent mal, mais cela ne doit pas  porter préjudice à un groupe entier.

Vous avez déjà dénoncé des interdictions de périmètres dans d’autres centres d’asile. Pourriez-vous citer des exemples?

Il y avait une interdiction de périmètre près de Nottwill. Les requérant·e·s d’asile n’avaient pas le droit de prendre le chemin qui longeait le lac, le chemin le plus court jusqu’à la gare. A Birmensdorf (ZH), les requérant·e·s d’asile ont été empêché∙e∙s d’emprunter une rue d’un quartier: un chemin a été construit à travers  un bois pour qu’ils contournent le quartier. A Eigenthal, dans le canton de Lucerne, les enfants de requérant·e·s d’asile n’avaient pas le droit d’aller à l’école. Nous sommes donc intervenu∙e∙s auprès des autorités: d’après la Constitution, ces enfants avaient exactement le même droit d’aller à l’école que les enfants suisses.

Comment ces interdictions de périmètre sont-elles perçues par les requérant·e·s d’asile?

A Eigenthal, la mesure énoncée ci-dessus a été considérée comme très discriminatoire. Le comportement des requérant·e·s d’asile dépend très largement de la manière dont ils et elles sont traité·e·s, je l’ai toujours constaté dans mon travail. Lorsqu’ils et elles se sentent intégré·e·s à la communauté, ils et elles s’identifient à celle-ci, et n’ont donc pas d’intérêt à lui causer du tort. C’est pour cela que l’engagement de la société civile est important. Nous avons appelé les groupes Amnesty en Suisse à organiser des activités sportives ou culturelles avec les requérant·e·s d’asile, pour qu’ils et elles ne restent pas exclu·e·s de la communauté. Les programmes d’occupation  favorisent aussi l’acceptation, car ils permettent d’établir un contact entre les requérant·e·s d’asile et la population. De tels programmes peuvent considérablement apaiser la situation, car les requérant·e·s d’asile ne sont plus désœuvré·e·s, et sentent que la valeur de leur travail est reconnue, par exemple lorsqu’ils travaillent dans le cadre de programmes d’occupation d’utilité publique qui profitent à l’ensemble de la commune.

Comment les communes peuvent-elles réduire l’opposition provoquée par les centres d’asile fédéraux?

L’ODM devrait montrer aux autorités locales des exemples de projets réussis. Lorsque j’ai visité le centre d’asile de Sufers, des représentant·e·s d’une autre commune étaient présent·e·s pour faire un état des lieux. De cette manière, les communes constatent que tout peut très bien se passer et que les requérant·e·s d’asile inscrit∙e∙s à des programmes d’occupation font du bon travail. l’ODM doit dire clairement aux communes que la loi interdit toute mesure discriminatoire.