Selon une enquête mise en place par les États-Unis, la surveillance téléphonique ne permet pas de lutter efficacement contre le terrorisme. ©  Droits réservés
Selon une enquête mise en place par les États-Unis, la surveillance téléphonique ne permet pas de lutter efficacement contre le terrorisme. © Droits réservés

Stockage des métadonnées en Suisse Plus de surveillance pour plus de sécurité ?

10 décembre 2015 - Opinion de Patrick Walder, responsable de campagne sécurité et droits humains à la Section suisse d’Amnesty International
Depuis les tragiques attentats de Paris, toute l’Europe, Suisse comprise, réclame un renforcement des mesures de surveillance. Personne par contre ne se demande si elles sont réellement efficaces pour lutter contre le terrorisme. Des études sur la collecte des métadonnées prouvent que c’est loin d’être le cas.

Rajouter du foin sur la meule ne sera d’aucune aide à celui qui y cherche une aiguille! Cette comparaison, fréquemment citée avec la recherche de terroristes potentiels est explicite. Et le fait même que de nombreux terroristes impliqués dans des attentats aient été depuis longtemps dans le viseur des autorités en Europe, aux USA, en Australie ou au Canada, ne constitue pas un argument en faveur de plus de surveillance.

La tendance actuelle va pourtant clairement dans ce sens, y compris au sein de notre Parlement. Le Conseil des Etats doit traiter ces prochains jours de la Loi sur la surveillance des postes et des télécommunications (LSPTC), qui va permettre une extension de la conservation des métadonnées. A l’avenir, ces données conservées pour chacun d’entre nous ne seront plus seulement à disposition des autorités de poursuite pénale, mais également des services de renseignements de la Confédération.

Ceux qui proposent des mesures de surveillance qui, par définition, portent atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution, devraient être en mesure d’en prouver l’efficacité, ne serait-ce que pour garantir le respect du principe de proportionnalité. On pourra toujours tenter de justifier l’introduction de nouvelles mesures de surveillance par le danger de nouveaux attentats. Mais en Suisse, ni le monde politique, ni la justice, ni les services de renseignements n’ont été en mesure de fournir des arguments concrets, prouvant l’efficacité de mesures comme la conservation des métadonnées.

Ceci n’est d’ailleurs aucunement surprenant puisque à ce jour il n’existe aucune preuve que la conservation des données renforce la sécurité. D’ailleurs, les études disponibles sur le sujet démontrent le contraire.

C’est ainsi qu’une commission d’enquête, mise en place par le Président Obama et le Congrès des États-Unis, a conclu, en janvier 2014, à l’inutilité complète, de surveiller pendant des années des données téléphoniques pour lutter contre le terrorisme. « Nous n’avons pas été en mesure de trouver un seul cas qui ait contribué à faire découvrir des projets d’attentats encore inconnus et à empêcher une attaque terroriste », conclut le rapport de la commission (PCOLB). Par ailleurs, aucun terroriste impliqué dans la planification d’un attentat n’a pu être identifié par le programme de surveillance.

Ces conclusions convaincantes, et qui ont été confirmées par les services secrets des États-Unis, ont conduit, pour la première fois depuis le 11 septembre, à introduire des restrictions dans les mesures de surveillance de ce pays. Depuis fin novembre, la NSA ne peut plus avoir accès direct aux données téléphoniques par le biais de son programme « Section 215 ».

Si le stockage de métadonnées n’est pas utile pour prévenir des attaques terroristes, il devrait au moins aider à résoudre des crimes déjà commis. Les procureurs suisses ont pour habitude d’affirmer qu’un accès aux métadonnées est nécessaire pour dénouer des affaires de meurtre, de viols ou de lésions corporelles qui sont fréquemment commis sous le coup de l’émotion. Cela semble plausible mais ne correspond qu’à une partie de la réalité.

Une étude menée en Allemagne démontre que la saisie des métadonnées n’est pas plus efficace que d’autres méthodes utilisées dans la poursuite pénale. Dans le rapport que lui a commandé l’Office fédéral de la justice, l’Institut Max Planck conclut que : « en comparant le taux de crimes élucidés atteint en Allemagne et en Suisse depuis 2009, on voit qu’il n’existe aucun indice qui démontrerait que la saisie et la conservation des métadonnées, telles qu’elles sont pratiquées en Suisse depuis environ 10 ans, contribuent à une meilleure sécurité ».

Inefficaces, ces mesures de surveillance nous régalent en prime d’effets collatéraux revêtant la forme de dommages à notre sphère privée. Aucune personne sensée ne prendrait un médicament qui développe des effets secondaires sans que son efficacité ne soit prouvée. Il est donc temps que les défenseurs des mesures de surveillance intrusives nous fournissent des arguments concrets en leur faveur. Ou alors ils doivent nous garantir une protection sérieuse contre les atteintes non souhaitées à notre sphère privée.