Le cas d’Eldar S. (voir ci-dessous) est significatif d’une procédure pénale contre des agents de police entachée de vices de procédure, que ce soit de la part de la police ou du Ministère public. Dans cette affaire, le juge de première instance n’a pas respecté son de - voir de mener une instruction officielle, immédiate, efficace, approfondie et impartiale sur les reproches faits aux deux agents de police. De plus, le juge a admis que les agents de police avaient commis des voies de fait mais il ne pouvait plus les juger car il y avait prescription en raison de la durée de la procédure. Amnesty International condamne cette impunité de fait.
Les victimes de violences policières ne peuvent pas toujours compter sur une enquête efficace et indépendante. Le rapport d’Amnesty International met en évidence que de nombreuses allégations de violations des droits humains par des agent·e·s de police n’ont pas fait l’objet d’une enquête indépendante, impartiale, efficace et approfondie. Une telle enquête est indispensable pour que justice soit faite et, si l’enquête devait confirmer le bien-fondé de la plainte, pour que des dommages et intérêts et, le cas échéant, des réparations pour tort moral soient alloués aux victimes de violations des droits humains causées par des agent·e·s de police.
Certains exemples de violations de procédure contribuent à provoquer une impunité de fait dans de nombreux cas et ceci à trois étapes de la procedure:
Le dépôt de plainte pénale
Les personnes qui se prétendent victimes de violations de droits humains par des agent·e·s de police s’adressent en principe au poste de police pour déposer plainte. Une première appréciation est généralement faite par le ou la responsable de police. Plusieurs témoins déclarent avoir été empêché·e·s de porter plainte. D’autres ont fait état de menaces en cas de dépôt de plainte. Certain·e·s migrant·e·s ont fait état de menaces de renvoi. Dans un nombre important de cas, une contre-plainte pour opposition aux actes de l'autorité, violence ou menace contre des fonctionnaires est déposée par la police. Ces plaintes, qualifiées de «préventives» par les avocat·e·s des victimes, risquent d’intimider, voire d’empêcher les personnes d'obtenir justice.
L’enquête pénale
L’enquête pénale est, dans de nombreux cantons, ouverte par la police même (sauf à Bâle et au Tessin). Amnesty International est préoccupée par des allégations de personnes faisant état de violations de la procédure dans le cadre des enquêtes menées par la police: manipulation de procès-verbaux, menaces ou mesures d’intimidation à l’égard des témoins. Des allégations portent également sur des vices de procédure dans l’instruction menée par le ministère public: défaut d’impartialité de l’enquête dû à la transmission de l’ensemble de la plainte à la police, administration incomplète des preuves, sous-évaluation du risque de collusion, poids prépondérant accordé aux déclarations de l’inculpé·e sans motif objectif ou décision de ne pas donner suite à la procédure ou de l'abandonner malgré la présence d'indices objectifs.
Le jugement
Dans la phase du jugement, Amnesty International a été confrontée à des témoignages faisant état de peines très faibles pour les agent·e·s de police ayant été considéré·e·s coupables de violations de droits humains. Dans certains cas, la longueur de la procédure peut avoir pour conséquence que les violations des droits humains par la police restent impunies pour cause de prescription. Amnesty International observe qu’il n’existe toujours pas en Suisse de statistiques sur ces jugements qui permettrait de faire un examen plus détaillé de la situation.
Policiers acquittés
Eldar S. a été arrêté en avril 2002 à Zurich par deux policiers en civil dont l’intervention a été particulièrement musclée. Selon deux témoins visuels, les agents auraient continué à frapper Eldar S., notamment à la tête, alors que celui-ci était à terre et tentait de se défendre en criant au secours, et même lorsqu’il était attaché par la main à une balustrade. Le motif de cette arrestation était la présomption, qui s’est avérée fausse, qu’Eldar S. était un trafiquant de drogue. Il a ensuite été emmené au poste Urania par un nombre plus important de policiers et, selon ses déclarations, a de nouveau été frappé. Avant qu’on lui fournisse
des soins médicaux, on lui aurait conseillé de ne pas dénoncer l’affaire aux médias.
Les agents de police ont déposé plainte contre Eldar S. pour violence et menace contre les fonctionnaires et lésions corporelles. En janvier 2006, le juge unique du Tribunal du district de Zurich a acquitté Eldar S., puis en février, il a également acquitté les deux agents et leur a alloué 3000 francs pour tort moral. Eldar S. a recouru contre ce jugement auprès du Tribunal supérieur du canton de Zurich. Par
jugement du 21 novembre 2006, le Tribunal supérieur a confirmé l’acquittement des deux agents de police. Il a toutefois alloué des dommages et intérêts d’un montant de 3000 francs à Eldar S. et a critiqué le fait que Eldar S., grièvement blessé au poste Urania, n'avait été emmené aux urgences que trois heures plus tard.
Extrait du résumé du rapport Police, justice et droits humains, pratiques policières et droits humains en Suisse, préoccupations et re commandations d’Amnesty International, publié en juin 2007.