La Grande Chambre de la Cour a jugé que les tribunaux civils suisses n'avaient pas violé les droits d'Abdennacer Naït-Liman, torturé par les forces de sécurité tunisiennes en 1992, en refusant d'enquêter sur son action en dommages et intérêts. L'arrêt confirme une décision antérieure de la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH) de 2016.
«Le verdict de la Grande Chambre est une occasion manquée.»
- Tawanda Mutasah, directeur général du programme Droit et politique d'Amnesty International
«Le verdict de la Grande Chambre est une occasion manquée de rendre justice aux victimes de la torture qui se sont vu refuser l'accès à la justice dans leur pays d'origine», a déclaré Tawanda Mutasah, directeur général du programme Droit et politique d'Amnesty International.
Cette affaire historique aurait pu jouer un rôle décisif pour faire en sorte que certains États soient juridiquement tenus de donner aux victimes de torture la possibilité d'obtenir justice en dehors du pays où elles ont été maltraitées.
Impunité
Les crimes de torture demeurent largement impunis en Tunisie. Dans la grande majorité des cas, les plaintes crédibles concernant des actes de torture et d'autres abus commis par les forces de sécurité ne font pas l'objet de poursuites. Dans les rares cas où des condamnations sont prononcées, les peines sont rarement adaptées à la gravité des crimes commis.
Le Tunisien Abdennacer Naït-Liman a été arbitrairement arrêté et torturé par les forces de sécurité tunisiennes pendant six semaines en 1992. À cette époque, le régime de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali régnait encore. Naït-Liman a obtenu l'asile en Suisse en 1995, et la nationalité suisse en 2007.
Plainte contre l’ancien ministre de l’Intérieur tunisien
En 2001, l'un des tortionnaires présumés – l’ancien ministre tunisien de l'Intérieur – s'était rendu en Suisse pour y recevoir des soins médicaux, et Naït-Liman avait déposé une plainte contre lui assortie d’une demande de dommages et intérêts. Cependant, le ministre de l'Intérieur avait quitté la Suisse avant que les autorités ne puissent l'arrêter.
Droit à un procès équitable
Le 8 juillet 2004, Naït-Liman avait intenté une action en dommages et intérêts contre l'État tunisien et le ministre de l'Intérieur de l'époque. En raison de l'absence de compétence territoriale, ni le Tribunal de première instance de Genève, ni le Tribunal cantonal, ni le Tribunal fédéral n'étaient entrés en matière. Naït-Liman s'était alors tourné vers la Cour européenne des droits de l'homme.
«L'impunité pour les crimes de torture ressort malheureusement renforcée avec ce jugement.»
- Tawanda Mutasah
Se référant à l'interdiction absolue de la torture, il avait affirmé que son droit à un procès équitable avait été violé. Selon lui, les tribunaux suisses ont à tort nié leur compétence et refusé d’examiner sa demande de dommages et intérêts pour avoir prétendument subi des tortures en Tunisie. Amnesty International et la Commission internationale des avocats s’étaient exprimées en tant que tierces parties dans cette affaire.
«L'impunité pour les crimes de torture ressort malheureusement renforcée avec ce jugement. De nombreuses victimes de torture qui ont trouvé refuge en Europe continueront à ne pas obtenir justice et réparation, même si elles y ont droit conformément aux normes internationales des droits humains», a déclaré Tawanda Mutasah.