«Le règlement de Dublin doit être appliqué conformément aux obligations de la Suisse en matière de droits humains. C'est ce qu'indique clairement cette décision du Comité contre la torture de l'ONU», a déclaré Muriel Trummer, experte en droit d'asile de la Section suisse d'Amnesty International. «Si, par exemple, une personne demandant l'asile est en mauvaise santé, a subi un grave traumatisme ou est très âgée, son expulsion en vertu du règlement de Dublin peut constituer un traitement inhumain et est donc interdite en droit international.»
«À ce jour, les autorités suisses en matière d'asile n'ont pas pris les mesures nécessaires pour que le règlement de Dublin soit appliqué dans le respect des droits humains. Amnesty International connait de nombreux cas dramatiques, dans lesquels des expulsions ont été ordonnées, qui ont causé d'immenses souffrances» a déclaré Muriel Trummer.
Expulsé malgré un grave traumatisme
Le Comité contre la torture a rendu une décision de principe dans l'affaire d'un Érythréen qui avait demandé l'asile en Suisse (A.N. c. Suisse, communication no 742/2016). L'homme a été emprisonné chez lui pendant cinq ans - dont plusieurs années à l’isolement - pour des raisons politiques. Il a été torturé et maltraité de manière répétée. Après sa libération, il a été recruté de force dans le corps des gardes-frontières jusqu'à ce qu'il réussisse à fuir le pays.
Lorsqu'il a demandé l'asile en Suisse en septembre 2015, il était gravement traumatisé et avait besoin d'un traitement médical urgent. Plusieurs rapports médicaux ont décrit en détail les lourdes conséquences physiques et psychiques des tortures subies et l'ont identifié sans doute possible comme victime de la torture. Les autorités suisses compétentes en matière d'asile ont malgré tout ordonné à plusieurs reprises son expulsion vers l'Italie sur la base du règlement de Dublin.
La Suisse doit appliquer le Règlement Dublin dans le respect de ses autres obligations en matière de droits humains.Muriel Trummer, experte en droit d'asile chez Amnesty Suisse
La décision du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) a été confirmée à deux reprises par le Tribunal administratif fédéral. En avril 2016, l'organisation non gouvernementale CSDM (Centre Suisse pour la Défense des Droits des Migrants) a déposé une plainte auprès du CAT. L’un des motifs invoqués était qu'il se verrait refuser l'accès à un traitement médical adéquat en Italie, ce qui constituerait une violation du droit à la réhabilitation prévu à l'article 14 de la Convention.
Dans sa décision, le CAT a noté que la Suisse n'avait pas suffisamment investigué la situation individuelle du demandeur d’asile en tant que victime de torture et n'avait pas clarifié les conséquences possibles d'un transfert forcé en Italie. De l'avis du CAT, il aurait dû être clair que le risque était important que le requérant d’asile n'ait pas accès au traitement médical nécessaire et soit contraint à vivre dans la rue, ce qui constitue une violation de l'article 14 de la Convention. L'expulsion signifierait, en plus, la séparation d'avec son frère vivant en Suisse et donc la perte d’un environnement stabilisateur.
L'expulsion de cette personne gravement traumatisée vers l'Italie constitue un traitement inhumain et violerait les articles 3 et 16 de la Convention (violation du principe de non-refoulement), a déclaré le CAT. La demande d'asile de l'homme doit maintenant être examinée en Suisse.
Amnesty International demande au SEM de changer sa manière de penser
«À la lumière de cette nouvelle jurisprudence, Amnesty International demande au Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) d'élaborer de nouvelles directives pour l'évaluation des demandeurs d'asile particulièrement vulnérables et, dans l'attente de leur mise en œuvre, de demander aux cantons de ne pas éliminer les cas définitifs». «En outre, Amnesty International demande au SEM et au Tribunal administratif fédéral de statuer sur toutes les affaires pendantes et à venir concernant des demandeurs d'asile particulièrement vulnérables, en prenant en compte les considérations du CAT», a déclaré Muriel Trummer.
En novembre 2017, Amnesty International, avec 200 autres organisations et 33 000 personnes, a soumis au Conseil fédéral un appel national muni de 33'000 signatures contre l'application trop stricte du règlement de Dublin. Elle appelle à une application plus humaine de ce règlement pour les personnes particulièrement vulnérables.