L'assignation à résidence préventive serait possible uniquement sur la base de ce qu'une personne pourrait faire dans le futur. © LFO62 / shutterstock.com
L'assignation à résidence préventive serait possible uniquement sur la base de ce qu'une personne pourrait faire dans le futur. © LFO62 / shutterstock.com

Suisse Des lois draconiennes pour lutter contre le terrorisme

Communiqué de presse publié le 14 janvier 2020, Berne/Genève. Contact du service de presse
Les lois draconiennes pour lutter contre le terrorisme, qui donnent des pouvoirs énormes à la police pour cibler des «terroristes potentiels», y compris des enfants à partir de l’âge de 12 ans, doivent être rejetées, a déclaré Amnesty International à la veille d’une importante séance de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États ce jeudi.

La législation anti-terroriste proposée permettrait de délivrer des mandats limitant les libertés de mouvement, d’expression et d’association ainsi que le droit à la vie privée et familiale, et le droit au travail en se basant sur de vagues soupçons que les intéressés pourraient, dans le futur, poser une menace à la sécurité nationale. La législation donnerait également à la police des pouvoirs énormes, y compris celui de placer des personnes en résidence surveillée, de leur interdire de voyager et de les soumettre à une surveillance électronique sans fournir quasiment de protection contre les abus.

«Si la police estime qu’une personne représente une menace, elle doit procéder à une enquête puis, si nécessaire, inculper le suspect et le juger dans le cadre d’une procédure judiciaire équitable. C’est ainsi que fonctionne le droit pénal!», a déclaré Julia Hall, experte sur les questions de droits humains et de contre-terrorisme en Europe pour Amnesty International.

Les pouvoirs donnés aux autorités de restreindre fortement les libertés individuelles en se basant non pas sur les actes d’une personne, mais sur ceux qu’elle pourrait éventuellement commettre dans le futur, ouvrent la porte à tous les abus.

Les pouvoirs donnés aux autorités de restreindre fortement les libertés individuelles en se basant non pas sur les actes d’une personne, mais sur ceux qu’elle pourrait éventuellement commettre dans le futur, ouvrent la porte à tous les abus. Ces mesures, dont certaines pourraient être appliquées à des enfants dès l’âge de 12 ans, ne sont par ailleurs pas assorties de garanties suffisantes, ce qui pourrait conduire à leur mise en œuvre de manière arbitraire et discriminatoire.

Large pouvoir discrétionnaire de Fedpol

La proposition de loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) prévoit notamment une possibilité d’assignation à résidence qui, en l’état actuel du projet, pourrait être renouvelée indéfiniment. Ces arrêts domiciliaires pourraient être ordonnés contre des mineurs dès l’âge de 15 ans; toutes les autres mesures seraient applicables dès l’âge de 12 ans.

Selon le projet de loi, l’Office fédéral de la police (Fedpol) possèderait un large pouvoir discrétionnaire pour délivrer des mandats administratifs. Dans la plupart des cas, il n’aurait pas besoin d’une décision judiciaire préalable, mais pourrait baser sa décision sur des simples soupçons pouvant indiquer qu’une personne serait un jour ou l’autre susceptible de poser une menace à la sécurité nationale. Ce seuil est trop bas pour garantir la sécurité du droit et risque d’entraîner nombre de mesures arbitraires.

Ce pouvoir discrétionnaire, couplé à une absence quasi-totale de garanties procédurales, dont le droit à une audition contradictoire devant un tribunal qui permette de contester le caractère raisonnable des soupçons et garantisse l’accès aux documents nécessaires pour remettre en cause la légalité de la mesure ordonnée, désavantagerait clairement le suspect faisant l’objet d’un mandat. Le projet de loi bafoue ainsi le principe selon lequel tout suspect doit pouvoir lutter «à armes égales» contre les accusations portées à son encontre.

«Les mesures anti-terroristes doivent toujours respecter l’État de droit et les droits humains.» Alain Bovard, juriste à la Section suisse d’Amnesty International.

«Selon les normes internationales en matière de droits humains, les États sont tenus de prendre les mesures adéquates pour protéger leurs citoyens contre les attaques terroristes visant la population civile de manière à pouvoir garantir la sûreté et la sécurité des personnes vivant sur leur territoire. Les mesures anti-terroristes doivent cependant toujours respecter l’État de droit et les droits humains. Même si la menace posée par les attaques terroristes contre les citoyens est bien réelle et doit être combattue de manière résolue, le rôle des gouvernements doit être de de garantir à tout un chacun la sécurité nécessaire pour jouir de ses droits et non de restreindre ces derniers au nom de la sécurité», a déclaré Alain Bovard, juriste à la Section suisse d’Amnesty International.

«Priver des personnes de leurs libertés en les plaçant aux arrêts domiciliaires, sans possibilité de remettre cette décision en question par le biais d’une procédure équitable, viole de manière flagrante les obligations de la Suisse en matière de respect des droits humains. Les enfants ne devraient par ailleurs jamais être placés en détention dans de telles circonstances. Le Parlement suisse doit faire marche arrière et renoncer à donner des pouvoirs aussi étendus à la police.»

Contexte:

Le 16 janvier représente un moment crucial dans la procédure parlementaire d’élaboration de la nouvelle législation anti-terroriste. La Commission des affaires juridiques du Conseil des États va en effet examiner le projet pour la première fois et est appelée à formuler ses recommandations.

Avec la Plateforme des ONG suisses pour les droits humains – une coalition de plus de 80 organisations non gouvernementales – la Section suisse d’Amnesty International s’est exprimée fermement contre la nouvelle législation anti-terroriste proposé par le gouvernement.

Déclaration détaillée sur les lois fédérales en matière de lutte contre le terrorisme.