À la suite de la dispersion violente d’une manifestation dans le quartier des Pâquis à Genève, le 9 février dernier, Amnesty International et la Coordination genevoise pour le droit de manifester (CGDM) ont saisi le procureur général pour demander que tout membre du corps de police soupçonné d’avoir eu un comportement pénalement répréhensible fasse l’objet de poursuites pénales. Les deux organisations saluent par ailleurs l’ouverture d’une enquête administrative interne.
Selon les informations qui figurent dans la presse, le rassemblement du 9 février était pacifique. La police est néanmoins intervenue pour le disperser en faisant usage de la force. Plusieurs manifestant·e·s ont affirmé avoir reçu des coups de matraque. Selon l’un d’entre eux, interrogé par Amnesty, les participant·e·s étaient en train de reculer au moment où la police a dispersé le rassemblement à coup de matraque. Deux autres personnes présentes sur les lieux ont également reçu des coups : un député venu tenter de dialoguer avec les agent·e·s de police, a déclaré dans les médias avoir été frappé et blessé à la tête. Un photographe qui couvrait la manifestation pour la Tribune de Genève, aurait quant à lui reçu des coups dans le dos, et sa carte de presse aurait été confisquée.
Proportionnalité indispensable
Les droits à la liberté d'expression et de réunion sont protégés par le droit international ainsi que par les constitutions fédérale et cantonale. La police a l’obligation de faciliter l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique. Selon les normes internationales en matière de droits humains, tout recours à la force dans une opération de maintien de l’ordre doit se conformer aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Les responsables d’éventuelles violations des droits humains sont en outre tenus de rendre des comptes.
Or, ne pas notifier une manifestation aux autorités ne la rend pas illicite. L’absence d’autorisation ne doit en aucun cas servir de motif pour disperser la réunion ou procéder à des arrestations, encore moins par une force disproportionnée. En principe, les matraques ne peuvent être utilisées qu’en réaction à des violences ou à une menace de violences imminentes si aucun autre moyen moins dangereux n’est disponible. Selon les normes internationales, elles ne doivent jamais être utilisées pour disperser des rassemblements pacifiques ou contre des personnes qui sont maitrisées. Les « charges à la matraque », lors desquelles les forces de sécurité courent après des manifestant·e·s en train de se disperser ou tentent de frapper toute personne qui se trouve à leur portée, constituent un recours inutile et illégal à la force. En outre, la police ne doit pas cibler des parties du corps « à risque élevé » qui entraînent un risque inhérent de grave blessure, notamment la tête, le cou, la colonne vertébrale, la gorge et l’aine, sauf dans une situation où il existe une menace imminente de blessure grave ou de mort qui ne peut être contrée autrement.
Garantir le rôle de la presse
Pour Amnesty, le traitement qui aurait été réservé au photographe de la Tribune de Genève est également préoccupant. Car comme le souligne le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, les journalistes qui surveillent et rendent compte du déroulement des réunions jouent un rôle particulièrement important. Selon l’Observation générale 37 du Comité, « il ne peut pas leur être interdit d’exercer ces fonctions ni leur être imposé de limites à l’exercice de ces fonctions, y compris en ce qui concerne la surveillance des actions des forces de l’ordre. Ils ne doivent pas risquer de faire l’objet de représailles ou d’autres formes de harcèlement, et leur matériel ne doit pas être confisqué ou endommagé. Même si une réunion est déclarée illégale et est dispersée, il n’est pas mis fin au droit de la surveiller. »
Instance de plainte indépendante complémentaire
Pour Amnesty International, l’ouverture d’une enquête administrative interne par l’inspection générale des services est un pas dans la bonne direction. Toutefois, l’organisation des droits humains demande depuis des années la création d’une instance de plainte indépendante et efficace, dotée d’un mandat clair, de ressources adéquates et des pleins pouvoir d'enquête. Un tel mécanisme – qui viendrait en complément des procédures judiciaires en place –, garantirait que les actes répréhensibles d’agent·e·s de police fassent l'objet d'une enquête indépendante et impartiale et que les personnes plaignantes et les témoins puissent déposer plainte sans crainte de représailles. Il permettrait en outre de renforcer la crédibilité de la police et la confiance du public dans l’institution, à prévenir les violations des droits humains et les infractions commises par la police ainsi qu’à lutter contre l'impunité.
Position d'Amnesty International: Matraques et autres armes de frappe à main de type cinétique