«Nous nous réjouissons que huit villes et cantons aient décidé d’interdire la reconnaissance faciale ou soient en train d’en discuter», déclare Erik Schönberger, directeur de Société Numérique. «La surveillance biométrique de masse dans l’espace public est incompatible avec nos droits fondamentaux. Notre appel à l’interdire trouve un écho dans la sphère politique suisse, comme en témoignent toutes ces démarches dans les villes et les cantons.»
Les législatifs de Zurich, Saint-Gall, Lausanne et Bâle-Ville ont déjà accepté des interventions réclamant l’interdiction de la reconnaissance faciale. D’autres interventions similaires sont en cours de traitement à Lucerne et à Genève ainsi que dans les cantons de Zurich et Bâle-Campagne, comme on le voit sur la liste de l’Alliance «Protégeons les droits fondamentaux – Non à la reconnaissance faciale», constituée des organisations AlgorithmWatch CH, Amnesty International et Société numérique.
Consultez l'état des lieux des interventions en faveur d'une interdiction de la reconnaissance faciale (état août 2023)
Tracer les lignes rouges de la surveillance de masse
L’utilisation de systèmes de reconnaissance biométrique est problématique lorsque les données biométriques d’une personne (notamment le visage, les yeux ou la voix) sont comparées aux images stockées dans une base de données à des fins d’identification. La seule présence de ces équipements dans l’espace public peut dissuader des personnes de se déplacer librement, par exemple pour participer à une manifestation. Il en découle une restriction disproportionnée des droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la liberté de réunion. Les systèmes de reconnaissance biométriques peuvent en outre aggraver les discriminations existantes et en créer de nouvelles. On sait qu’ils identifient moins bien les personnes non blanches et les femmes. Bien que la loi sur la protection des données considère les éléments biométriques comme des «données personnelles sensibles» et exige à ce titre une protection renforcée, aucune interdiction explicite n’a jusqu’à présent été prononcée au niveau national contre l’utilisation des systèmes de reconnaissance faciale.
«Une interdiction sur tout le territoire national est indispensable parallèlement aux interdictions dans les communes et les cantons.»
Patrick Walder, responsable des campagnes pour Amnesty International
«Ces technologies très controversées se répandent très rapidement en Europe et plusieurs corps de police en font déjà usage en Suisse. Une interdiction sur tout le territoire national est donc indispensable parallèlement aux interdictions dans les communes et les cantons», observe Patrick Walder, responsable des campagnes pour Amnesty International.
Les organisations AlgorithmWatch, Amnesty International et Société numérique ont lancé une campagne commune en novembre 2021 pour faire interdire la surveillance biométrique de masse. Plus de dix mille personnes ont signé une pétition adressée aux principales villes suisses. Les organisations se sont mobilisées avec succès au printemps 2023 contre la surveillance que les CFF prévoyaient d’introduire dans les gares pour capter et analyser les données biométriques des personnes selon l’âge, le sexe ou la taille. Les CFF ont dû modifier leur appel d’offres sous la pression de la société civile et supprimer l’option de profilage biométrique.
Une interdiction en préparation dans l’Union européenne
En juin 2023, le Parlement européen a décidé d’interdire l’utilisation des systèmes de reconnaissance biométriques à des fins d’identification. Cette interdiction figure désormais dans le règlement européen sur l’intelligence artificielle, dit «AI Act». La Commission européenne et le Conseil européen doivent encore donner leur aval, très certainement avant la fin de cette législature.
«La décision du Parlement européen d’interdire cette technologie de surveillance de masse est une étape importante et nous espérons qu’elle aura un impact sur la Suisse », remarque Estelle Pannatier, chargée des dossiers politiques et du plaidoyer chez AlgorithmWatch. La classe politique réalise qu’il est impossible de concilier l’utilisation des systèmes d’identification biométrique dans l’espace public à des fins d’identification avec le respect des droits humains. Un large consensus est en train d’apparaître en la matière, car malgré tous les correctifs techniques et autres modifications qu’on pourra lui apporter, la reconnaissance faciale automatisée est et demeure fondamentalement contraire aux droits humains. La Suisse est tenue d’agir.»