La rentrée universitaire a été entachée par deux interdictions d’événements. À l’école polytechnique fédérale de Zurich (ETH), un débat avec des intervenant·e·s de renom – dont une experte d’Amnesty International et un diplômé de l’université de Harvard – a été interdit par la direction. Selon les justifications de cette dernière, les organisateur·rice·s « tendaient à avoir des préjugés politiques et formeraient un groupe anti-israélien ». À Genève, l’Université a interdit la distribution d’un agenda et mis en demeure son autrice, la Conférence universitaire des associations d’étudiant·e·x·s (CUAE). Elle menace de suspendre voire de retirer à la CUAE son statut d’association en raison de deux mentions liées au contexte israélo-palestinien figurant dans cet agenda.
«Comme l’a rappelé le Tribunal fédéral à plusieurs reprises, dans une démocratie, il est essentiel que même les opinions qui déplaisent à la majorité, ou celles qui choquent nombre de personnes, puissent être exprimées.»Anita Goh, juriste à Amnesty International Suisse
« Le droit international reconnaît que les universités, et particulièrement les établissements publics tels que l’université de Genève ou l’école polytechnique fédérale de Zurich, jouent un rôle essentiel dans la protection et la promotion des droits humains des membres de leurs communautés », relève Anita Goh, juriste à Amnesty International Suisse.
« Or comme l’a rappelé le Tribunal fédéral à plusieurs reprises, dans une démocratie, il est essentiel que même les opinions qui déplaisent à la majorité, ou celles qui choquent nombre de personnes, puissent être exprimées. En outre, les propos tenus, par exemple dans un débat politique, ne doivent pas être appréhendés de manière strictement littérale parce que les simplifications et les exagérations sont usuelles dans un tel contexte ».
En juin dernier, le Conseil fédéral avait été interpellé ou questionné à trois reprises au sujet des manifestations dans les universités et les hautes écoles suisses. À chaque fois, il a manqué l’occasion de jouer son rôle de garant des droits humains en Suisse et de rappeler les principes fondamentaux ancrés dans la Constitution fédérale en la matière.
Une hiérarchisation potentielle des droits humains
Amnesty International est particulièrement préoccupée par l’avis du Conseil fédéral datant du 28 août qui semble suggèrer une hiérarchisation entre les droits humains – une différenciation pourtant contraire au droit international. L’avis mentionne en outre la possibilité d’édicter des restrictions générales à certains d’entre eux, notamment la liberté de réunion et d’expression, ce qui serait une violation flagrante du principe de proportionnalité qui n’admet que des restrictions au cas par cas, et seulement lorsque celles-ci sont conformes au triple test (légalité, nécessité, proportionnalité) prévu dans l’art. 36 de la Constitution fédérale.
« Les réponses lacunaires du Conseil fédéral, qui ont manqué de recadrer le débat en y intégrant une perspective de droits humains, ouvrent la voie à des interdictions pures et simples, sans proportionnalité apparente, telles que celles qui ont été prononcées à Genève et Zurich », observe Anita Goh.
Or, le Conseil fédéral a un rôle crucial à jouer en matière de respect et de garantie des droits humains en Suisse. Et ce particulièrement lorsque les écoles polytechniques fédérales sont concernées, puisque ces établissements sont rattachés au Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR).
Les universités et les hautes écoles sont quant à elles appelées à défendre la liberté académique ainsi que les droits des membres de la communauté universitaire, y compris les associations étudiantes. Elles doivent respecter le droit international qui garantit les libertés d’expression et de manifester pacifiquement, à l’exclusion des discours d’incitation à la haine ou à la violence et à la discrimination, et pose le principe cardinal de proportionnalité pour toute restriction de ces libertés.
Le contexte actuel en Israël et dans le Territoire palestinien occupé ne peut pas servir à justifier des restrictions aux droits humains. Au contraire, c’est dans les moments de crise qu’il est essentiel pour chacun·e de nous d’avoir la possibilité de s’informer, de se forger une opinion mais aussi de la faire connaître ensemble. À l'heure où la polarisation des débats sur la question du conflit israélo-palestinien ne fait que s’accroître, il est d'autant plus important de se traiter mutuellement avec respect, de faire preuve de compréhension et de favoriser le dialogue », conclut Anita Goh.
Contexte
Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre et la riposte d’Israël, Amnesty International a observé de multiples restrictions à la liberté de manifester et à la liberté d’expression en Suisse. En décembre 2023, à la suite d’interdictions générales de manifester dans différentes villes, Amnesty avait soutenu l’appel en faveur la liberté de manifester lancé par une trentaine de personnalités pour alerter sur cette question.
Lors des manifestations étudiantes de mai et juin dernier, Amnesty avait rappelé les obligations des universités et hautes écoles en matière de droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique des étudiant·e·s. Amnesty International est actuellement en contact avec la direction de l’ETH afin qu’elle revienne sur sa décision et autorise la manifestation prévue par Tech Ethics sur l’intelligence artificielle et les armes autonomes.
Amnesty International publie le présent communiqué alors que Swiss Action for Human Rights remet sa pétition en faveur de la liberté d’expression des étudiant·e·s en Suisse au Conseil fédéral.