« Il y a les manifestations qui sont protégées par le droit international et les libertés d’expression et de réunion pacifique, et les événements qui ne le sont pas. On ne peut pas appliquer les mêmes règles pour un marathon ou une fête de quartier, et pour la grève féministe ou une manifestation pour le climat », explique Anita Goh, responsable de campagne à Amnesty Suisse. « Dès lors que des personnes se réunissent de manière pacifique pour exprimer une opinion, elles exercent leur droit de manifester. Il s’agit d’un droit fondamental, et – tant qu’il n’y a pas de violence généralisée ou d’appel à la violence, à la discrimination ou à la haine –, il doit être protégé, respecté et garanti par toutes les autorités étatiques ».
Ainsi, lorsqu’un rassemblement pacifique relève du droit de manifester, les autorités ont l’obligation d’en faciliter la tenue, et de mettre en place un cadre juridique et institutionnel dans lequel ce droit puisse être exercé effectivement.
Or le droit fribourgeois ne fait à l’heure actuelle aucune distinction entre les manifestations protégées et d’autres événements organisés dans l’espace public, et applique les mêmes règles à tout type de rassemblement (cortèges, courses, manifestations commerciales, sportives ou culturelles, fêtes, assemblées, etc.). En cause notamment, les émoluments pour l’autorisation ou les frais de police ou de circulation à la charge des organisateur·rice·s, le processus d’autorisation, l’obligation d’assurer un service d’ordre ou le nettoyage des lieux. Des conditions contraignantes qui ont un effet dissuasif et/ou un coût prohibitif qui peut empêcher certaines personnes d’exercer un droit humain, et vont à l’encontre des obligations de l’État en matière de facilitation des manifestations pacifiques.
« Nous demandons aux autorités d’interpréter le droit fribourgeois à la lumière des obligations internationales auxquelles la Suisse a souscrit de manière à garantir le droit de manifester à Fribourg et, si cela n’est pas possible, de réviser le droit applicable afin de le mettre en conformité », déclare Anita Goh.
Un arsenal de mesures dissuasives
Le processus d’autorisation actuel pose des conditions et des obligations qui vont au-delà du nécessaire pour l’exercice d’un droit humain fondamental. Ainsi, les « émoluments administratifs » facturés pour le traitement des autorisations de manifester peuvent dissuader voire exclure certaines personnes d’exercer leur droit. Il en va de même pour les informations demandées aux organisateur·rice·s de manifestations pacifiques. Elles doivent se limiter au minimum nécessaire pour que les autorités puissent assurer la protection et la facilitation de la manifestation.
Par ailleurs, contraindre – comme c’est actuellement le cas – les organisateur·rice·s d’une manifestation pacifique à mettre en place, à leur frais et sous leur responsabilité, un service d’ordre pendant la manifestation, à assurer le nettoyage du site après la manifestation ou encore à souscrire à une assurance de responsabilité civile crée un effet dissuasif du fait du coût prohibitif de ces mesures.
De plus, facturer des « frais de police » relatifs au maintien de l’ordre ou à la facilitation de manifestations pacifiques aux organisateur·rice·s, y compris lorsque cela implique de gérer la circulation, c’est méconnaitre le fait qu’il s’agit là de tâches inhérentes au rôle de la police, et qui doivent donc être prises en charge par l’État, conformément à son obligation de contribuer à la réalisation du droit de manifester.
Enfin, les dispositions qui prévoient de pouvoir facturer des interventions de la police aux organisateur·rice·s de manifestations pacifiques s’iels ont « gravement contrevenu à leurs obligations dans le domaine de la sécurité » revêt un caractère punitif et a un effet dissuasif considérable.
« Manifester pacifiquement est un pilier central d'une société démocratique », conclut Anita Goh. « C’est le seul outil à portée de tout un chacun qui permette de se faire entendre, de demander des changements ou de contester des abus. C’est pourquoi il a été élevé au rang de droit humain et qu’il est de la mission de l’État de le protéger. »