Remise d'une pétition demandant la fin de la guerre en Ukraine devant l'ambassade de Russie à Berne, en mars 2022. Cette action a valu une amende à une collaboratrice d'Amnesty. ©Amnesty International
Remise d'une pétition demandant la fin de la guerre en Ukraine devant l'ambassade de Russie à Berne, en mars 2022. Cette action a valu une amende à une collaboratrice d'Amnesty. ©Amnesty International

Interdiction de manifester devant l'ambassade russe à Berne Une limitation contraire au droit international

Communiqué de presse du 13 août 2024, Berne. Contact du service de presse
Une collaboratrice d'Amnesty Suisse devra se défendre contre l'accusation « d'infraction au règlement sur les manifestations » dans une affaire judiciaire examinée le 15 août prochain à Berne. Le 24 mars 2024, elle avait voulu remettre à l'ambassade de Russie une pétition demandant l'arrêt de la guerre d'agression contre l'Ukraine.

Lors de cette petite action pacifique dans le quartier d'Elfenau à Berne, l'accusée avait été identifiée comme représentante d'Amnesty. Elle portait un drapeau symbolisant la paix et était accompagnée de cinq collègues de travail. Le groupe n’a toutefois pas pu remettre la pétition, car le service de sûreté de l'ambassade avait interdit l’accès à l'entrée du bâtiment. À défaut d’autorisation de manifester, la collaboratrice d’Amnesty a reçu une amende. Pour sa défense, elle invoque la liberté d'expression et conteste l’argument des autorités selon lequel la remise de la pétition – dont elle avait informé l'ambassade par écrit au préalable – était une manifestation soumise à autorisation.

Autoriser les remises de pétitions « à portée de vue et de son »

La remise de pétitions en faveur des droits humains est un instrument central pour Amnesty International. Ce type d’action permet de rendre visibles les violations des droits humains et de porter des revendications auprès d'un État. Comme les représentations diplomatiques ignorent souvent les demandes écrites contenues dans les pétitions, la remise d'une pétition sur place est souvent la seule possibilité d'attirer l'attention des autorités étrangères. Cette pratique est protégée par le droit international en vertu du principe de « vue et de son ». Un principe inscrit dans les lignes directrices de l'OSCE, qui reconnaît qu'il n'existe souvent qu'un nombre limité de possibilités de transmettre efficacement un message donné et que, par conséquent, l'étendue des restrictions doit être définie avec précision. Si des restrictions sont imposées, elles devraient être strictement conformes au principe de proportionnalité et toujours permettre le rassemblement « à portée de vue et de son » des destinataires du message ou du public cible. 

L’obligation d’autorisation contraire au droit international

Même si la remise d'une pétition est considérée par la ville de Berne comme une manifestation, Amnesty International estime que ce type d'action ne doit pas être soumis à autorisation. Les autorités peuvent certes exiger une déclaration obligatoire pour certains rassemblements, mais elles sont tenues de garantir la liberté d'expression et de réunion. Dans le cas présent, il n'y a pas de justification valable pour une restriction de ces droits fondamentaux, car compte tenu du très petit nombre de participant·e·x·s, de leur comportement pacifique et du fait que la responsable n'avait pas appelé publiquement à participer à la remise de la pétition, l’obtention d'une autorisation n’aurait pas eu d’effet sur le bon déroulement de l’évènement.

Ce n'est pas le premier procès pour infraction présumée au règlement sur les manifestations dans la capitale fédérale. Plusieurs rapporteurs spéciaux de l'ONU ont pris position sur la pratique restrictive de la ville et soulignent que le fait de ne pas informer préalablement les autorités d'un rassemblement existant ne rend pas illégale la participation au rassemblement en question et ne doit pas être invoqué en soi comme motif de dissolution du rassemblement ou de sanctions injustifiées.

L'effet dissuasif d'une amende limite le droit de manifester

Selon les lignes directrices de l'OSCE sur la liberté de réunion, des sanctions inutiles ou d’une sévérité disproportionnée pour un comportement ayant eu lieu au cours d’un rassemblement pourraient empêcher la tenue de tels événements et avoir un effet dissuasif sur les participant·e·x·s. De plus, de telles sanctions peuvent constituer une violation indirecte de la liberté de réunion pacifique. Des obstacles élevés et des procédures non transparentes ainsi que des conditions peu claires – comme c'est le cas à Berne en ce qui concerne les manifestations devant les ambassades – ont un effet dissuasif (chilling effect) sur les activistes et sur l'exercice du droit de manifester, estime Amnesty International.