Image d'icône (droits expirés de l'image originale de cet article) © pixabay (vjkombajn)
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Nouvelles mesures policières : déclarations en Suisse et à l'étranger Les critiques des experts n’ont pas été entendues

17 février 2021
Les mesures policières de lutte contre le terrorisme ont été critiquées en des termes inhabituellement sévères, notamment par des expert·e·s de l'ONU, du Conseil de l'Europe, des droits de l'enfant et même par des professeur·e·s de droit suisses. Mais ces critiques n'ont malheureusement pas été entendues par le législateur. Voici un petit aperçu des prises de positions les plus importantes.

Prises de positions:

Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe

Trois rapporteurs spéciaux et deux rapporteuses spéciales des Nations unies

Deuxième déclaration des rapporteurs spéciaux et rapporteuses spéciales des Nations unies

Comité des droits de l'enfant des Nations unies

Soixante professeur·e·s de droit de toutes les universités de Suisse

Critiques d'autres organisations

Une définition floue et de grands risques

La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, a écrit aux législateurs et législatrices suisses pour leur demander instamment de revoir le projet de loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) afin de le rendre compatible avec les obligations en matière de droits humains. Elle s'est montrée particulièrement préoccupée par la définition vague de « terroriste potentiel » et par l'absence de garanties juridiques suffisantes quant au champ d’application des mesures que l’Office fédéral de police (fedpol) peut prononcer : « L’absence de définition claire et précise ouvre la voie à une interprétation large faisant courir le risque d’ingérences excessives et arbitraires dans les droits de l’homme », a-t-elle écrit, ajoutant que la notion même de « terroriste potentiel » risque d’être stigmatisante.

La Commissaire a souligné la gravité des mesures envisagées, notamment l'assignation à résidence prévue par la loi. Une mesure aussi sévère, pouvant durer jusqu'à neuf mois, ne peut guère être considérée comme « proportionnée et nécessaire » du point de vue des droits humains. Le fait que ces mesures puissent être imposées par une décision en dehors du système de justice pénale est particulièrement problématique, selon elle.

La Commissaire a exprimé une préoccupation particulière concernant l'application de mesures policières aux enfants « en dehors du système de justice pour mineurs et sans garanties juridiques appropriées ». Ce type de mesure ne donne pas l’assurance d’un cadre suffisamment adapté aux enfants, y compris pour ceux dont on considère qu’ils pourraient être un jour impliqués dans des activités terroristes.

Elle a rappelé que le respect des droits humains doit être au premier plan de la lutte contre le terrorisme : « Les politiques qui respectent les droits de l’homme préservent les valeurs que les terroristes essaient de détruire, elles affaiblissent le soutien à l’extrémisme violent parmi ceux qui pourraient être tentés d’y adhérer, et elles renforcent la confiance des populations envers l’État de droit ».

Position de la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, mai 2020

De graves conséquences pour les droits humains

Trois rapporteurs spéciaux et deux rapporteuses spéciales des Nations unies ont demandé aux législateurs et législatrices suisses  de réviser le projet de loi. Ils ont noté que les mesures pourraient affecter un certain nombre de droits humains, notamment la liberté de circulation, d'association et de réunion ainsi que le droit à la vie privée et familiale. Dans certaines circonstances, le droit au travail, le droit à l'éducation ou le droit de participer à la vie religieuse et culturelle pourraient également être restreints.

Les expert·e·s se sont inquiété·e·s du fait que le projet de loi manquait de la clarté nécessaire pour garantir que les mesures prises soient nécessaires et proportionnées. La définition de « terroriste potentiel » n'est pas suffisamment élaborée et l'extension de la définition du terrorisme pour inclure toute activité non violente qui pourrait entraîner la propagation de la crainte va bien au-delà du droit national suisse et viole les normes internationales. En outre, les rapporteur·euse·s ont déclaré que « les actes visant à influencer ou à modifier l'ordre étatique peuvent inclure une série de comportements qui ne sont pas de nature terroriste ». Les expert·e·s ont également critiqué le pouvoir discrétionnaire conféré à l'Office fédéral de la police (fedpol) ainsi que le manque de garanties en matière de contrôle judiciaire.

Les expert·e·s sont préoccupé·e·s par le fait que l'assignation à résidence prévue par la loi est soumise à des garanties moins strictes que la privation de liberté en vertu du droit pénal. Cette loi contourne ainsi les garanties procédurales et autres conditions consacrées par la CEDH.

Les rapporteur·euse·s ont souligné l'impact profond de ces mesures sur les droits des enfants, en particulier le droit à l'éducation. Ils ont exprimé leur inquiétude quant aux conséquences possibles de la stigmatisation des mineur·e·s en raison de leur éventuelle classification en tant que « terroristes potentiels »  et de la marginalisation et du traitement discriminatoire qui en résultent dans différents contextes sociaux.

Déclaration des rapporteurs spéciaux et rapporteuses spéciales de l'ONU, mai 2020

Un modèle pour les gouvernements autoritaires

Dans une autre déclaration, les rapporteur·euse·s spéciaux·ales ont noté que la Suisse ne leur avait pas fourni de « réponse satisfaisante » quant à leurs préoccupations concernant l'incompatibilité du projet de loi avec les droits humains. Ils ont déclaré que « la définition excessivement large de l'activité terroriste » pourrait même englober des actes légitimes visant à influencer ou à modifier l'ordre étatique, telles que les activités légitimes des journalistes, de la société civile et des militants politiques ». Par conséquent, cette loi pourrait « créer un dangereux précédent et risque de servir de modèle aux gouvernements autoritaires qui cherchent à réprimer la dissidence politique, notamment par la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Les expert·e·s ont donc une nouvelle fois appelé les parlementaires à rejeter une loi qui « est appelée à devenir une tache sérieuse dans l’héritage par ailleurs fort de la Suisse en matière de droits de l’homme ».

Deuxième déclaration des rapporteurs spéciaux et rapporteuses spéciales des Nations unies, septembre 2020 (anglais)

L'expert de l'ONU en matière de torture, Nils Melzer, a déclaré à la SRF : « La nouvelle définition du terrorisme en Suisse va au-delà de ce qui est acceptable dans un État de droit ». « Comme le terrorisme est défini sans violence, en principe, toute activité politique qui déplaît au gouvernement peut être interprétée comme une activité terroriste », a déclaré M. Melzer.

Violation de la Convention relative aux droits de l'enfant

Un membre et l'ancien président du Comité des droits de l'enfant des Nations unies ont exprimé leur inquiétude face au projet de loi : « La Suisse est déjà critiquée par le Comité des droits de l’enfant pour son seuil d’intervention pénale en dessous des standards internationaux (10 ans au lieu de 14 ans). Permettre à la police d’intervenir sans infraction dès 12 ans est une nouvelle violation des obligations helvétiques à l’égard de ses enfants», découlant de la Convention relative aux droits de l'enfant, que la Suisse a ratifiée.

Selon les expert·e·s des droits de l'enfant, « une stratégie efficace de lutte contre le terrorisme ne doit pas faire fi des droits humains, encore moins des droits de l’enfant ». Au contraire, elle doit « respecter ces droits et prendre en compte les besoins particuliers des adolescents, leur intégration, et leur éducation ». Les expert·e·s appellent donc les politicien·ne·s à revoir leur copie.

Opinion des membres suisses du Comité des droits de l'enfant des Nations unies, mai 2020

Porte ouverte à l'arbitraire

Peu avant le vote final au Parlement, plus de soixante professeur·e·s de droit de toutes les universités de Suisse ont mis en garde contre les décisions arbitraires que cette loi pourrait entrainer. Au centre de leurs critiques se trouve le concept extrêmement imprécis et subjectif de « terroriste potentiel », qui « ouvre la porte à l'arbitraire ». Les professeur·e·s ont critiqué l'absence de contrôle judiciaire, le manque de garanties pénales, l'introduction d'une présomption de dangerosité, l'incompatibilité de l'assignation à résidence avec la CEDH et l'affaiblissement de la protection des mineur·e·s. Ils ont également exprimé leur inquiétude quant aux possibles « violations des droits fondamentaux des individus concernés par les MPT » et qu'il pourrait y avoir un nombre élevé de « faux positifs », c’est-à-dire des personnes injustement accusées de mener des « activités terroristes ».

Enfin,  les expert·e·s ont demandé aux législateurs et législatrices de reconsidérer leur position : « C’est en effet d’un État de droit fort dont la Suisse a besoin pour pouvoir répondre aux menaces terroristes. Or, le projet de loi devant l’Assemblée fédérale pose de sérieuses difficultés à la lumière de la Constitution fédérale et des instruments internationaux des droits humains. Son adoption porterait ainsi atteinte à notre État de droit. »

Lettre ouverte des expert∙e∙s universitaires en droit

Critiques d'autres organisations

Plate-forme des ONG pour les droits humains en Suisse, octobre 2019

Réseau suisse des droits de l'enfant, février 2020

Commission Internationale de Juristes, ICJ, juin 2020