La Section suisse d’Amnesty International exprime sa satisfaction de voir l’initiative parlementaire de Madame Roth-Bernasconi aboutir et salue la volonté du Parlement de lui donner une suite concrète en introduisant un nouvel article 122a au Code pénal suisse (CP). Par cette démarche, c’est une importante lacune dans la protection des droits des femmes qui est comblée. Comme le soulève la Commission des affaires juridiques du Conseil national dans son rapport, la problématique des mutilations génitales féminines (MGF) n’est pas confinée aux pays africains ou asiatiques mais est également bien présente en Suisse comme conséquence des mouvements migratoires. Les MGF constituent une forme très grave de violation des droits fondamentaux des femmes et ne sauraient donc rester impunies ; il est donc devenu impératif pour notre pays de légiférer de manière spécifique en la matière.
Le CP permet certes aujourd’hui déjà de sanctionner les lésions corporelles mais, même dans le cas de lésions graves (art 122 CP), ce crime ne reflète que partiellement l’atteinte permanente, psychique et physique, que représente pour une femme le fait d’être mutilée et donc gravement atteinte dans son intimité. L’art 122 CP ne développe par ailleurs qu’un effet dissuasif minimal puisqu’il n’identifie pas précisément les MGF à une lésion corporelle grave et, par conséquent n’éveille pas chez leurs auteurs une prise de conscience de la gravité de l’infraction.
Amnesty International salue particulièrement l’application du principe d’universalité. L’alinéa 3 du futur art. 122a en élargit notablement la portée puisqu’il autorisera la poursuite pénale des actes commis à l’étranger par des étrangers et envers une étrangère. Amnesty International estime par contre, d’une part par souci de cohérence et de clarté, d’autre part pour protéger des femmes, même adultes et « consentantes » contre une grave violation de leurs droits fondamentaux, que l’interdiction des MGF devrait être totale. Les pratiques telles que les « piercings », les tatouages ou les opérations de chirurgie esthétique pratiquée sur les organes génitaux relèvent d’un autre domaine et d’un arrière-plan culturel complètement différent de celui des MFG. Ces pratiques ne tombent à notre avis pas sous le coup de l’article 122a CP et l’exception de l’alinéa 2 du projet de loi devrait être supprimée.
Il faut en effet prendre en compte le fait que dans la majorité des communautés concernées qui vivent en Suisse, la pression sociale et celle de la tradition sont généralement très fortes et la marge de manoeuvre des femmes est extrêmement restreinte. C’est dès la petite enfance que les filles sont préparées à leur mutilation, à leur passage dans le monde des femmes. Le conditionnement préalable est conséquent et la question du « libre consentement » se pose de manière d’autant plus forte que la possibilité pour nombre de ces femmes de se constituer une opinion personnelle libre de pressions sociales vis-à-vis des MGF et de leurs conséquences médicales à long terme est difficile à établir. La question n’est que très rarement abordée dans la sphère publique, lors des cours d’éducation sexuelle et, de par la nature du sujet, la parole est très peu libérée. Il est donc souvent difficile dans un tel contexte de se forger une opinion éclairée ce d’autant plus que les personnes auxquelles ces jeunes filles et ces femmes peuvent se référer en premier lieu (mères, tantes, etc.) ont souvent elles-mêmes été mutilées et estiment généralement que les MGF sont un mal nécessaire permettant l’insertion de leur fille dans leur communauté. Une interdiction totale protégerait les jeunes filles majeures encore hésitantes face à ce choix et leur donnerait des arguments forts et clairs afin de résister à la pression de leur famille, en Suisse et au pays.
En maintenant cette exception, la Suisse serait par ailleurs le seul pays d’Europe occidentale à autoriser, certes de manière limitée, les MGF. Il serait ainsi incohérent de prôner leur interdiction ailleurs tout en les autorisant chez nous.
Enfin, Amnesty International aimerait profiter de l’occasion pour regretter que, en relation avec le thème traité, celui des mutilations sexuelles des intersexuels (plus communément appelés hermaphrodites) n’ait pas été abordé. Il est pourtant indéniable que les interventions chirurgicales, pratiquées de manière quasi systématique et la plupart du temps sur des enfants, constituent – la plupart du temps par l’ablation des organes externes masculins – des atteintes à l’identité sexuelle de ces personnes et donc une claire violation des droits humains. Amnesty International aurait donc souhaité que cet état de fait soit également traité dans le cadre de cette adaptation de notre ordre juridique.
Amnesty International salue tout de même le projet soumis à consultation et, sous réserve de l’alinéa 2 de l’article 122a, le soutient sur la forme comme sur le fond.