Prise de position Révision de la loi sur l'asile

Berne, Mars 2009
Résumé de la prise de position de la Section suisse d’Amnesty International . Le texte ci-dessous est un résumé partiel de la prise de position d’Amnesty International Section suisse élaborée avec l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). Le document original, rédigé en allemand est également disponible sur ce site.

 

1. Généralités :

 

Le Conseil fédéral a adopté le 19 décembre 2008 un projet de révision de la loi sur l’asile. Ce projet a été mis en consultation le 14 janvier 2009 soit à peine un an depuis l’entrée en vigueur de la dernière révision de la loi. Le Conseil fédéral justifie ce nouveau projet d’une part par l’augmentation importante du nombre de demandes émanant de certains pays (Sri Lanka, Erythrée, Nigeria, Somalie, Irak) ainsi que par des problèmes consécutifs à la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral. Les changements proposés visent officiellement à limiter les abus mais ne représentent en fait que de nouvelles restrictions du droit d’asile.

 

D’une manière général Amnesty International refuse ces modifications qu’elle considère comme injustifiées.

 

L’augmentation du nombre des demandes est certes sensible mais c’est un phénomène européen et il n’est pas particulièrement haut et reste en dessous de la moyenne des 12 dernières années.

Le taux d’acceptation des demandes d’asile en 2008 est de 23 % ce qui est très haut. Si l’on y ajoute les admissions provisoires on arrive à 67,1 %. Ceci montre que les personnes arrivées en Suisse en 2008 sont majoritairement des personnes qui ont un réel besoin de protection. La volonté de supprimer les abus est donc un argument fallacieux. Les mesures proposées sont par ailleurs dangereuses parce que la plupart d’entre elles touchent essentiellement les personnes qui méritent à juste titre protection.

Un simple coup d’œil sur les pays d’origine permet de se rendre rapidement compte qu’il s’agit de régions perturbées par les conflits ou la guerre civile, ce qui n’a rien d’étonnant. La tentative de faire chuter le nombre des demandes est donc non-seulement une politique « à courte vue » mais elle est également mesquine eu égard à la situation parfois catastrophique sur le plan humanitaire qui prévaut dans les pays d’origine. Les effets de ces drames humanitaires ne se font par ailleurs pas sentir que dans notre pays mais également dans les États voisins, le Conseil fédéral lui-même le reconnait.

 

2. Les principaux points contestés

 

a) Modification de la notion de réfugié à l’art. 3 LAsi qui exclut les déserteur∙e∙s et les objecteur∙e∙s

 

Le Conseil fédéral propose la modification suivante :

 

Art 3, al. 3

Ne sont pas des réfugiés les personnes qui sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être au seul motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté

Il s’agit là d’une formulation qui vise à ancrer dans la loi la pratique actuelle des autorités administratives et judiciaires. En cela elle n’a donc rien de révolutionnaire et n’amènera que peu de changements dans la pratique. Elle est cependant dangereuse parce qu’elle suggère une restriction à la définition du réfugié telle qu’elle figure dans la Convention de Genève de 1951. Il n’est pas contesté aujourd’hui, ni au niveau international ni au niveau européen, que la désertion ou l’objection ne sauraient à elles seules constituer un motif d’asile et qu’elles doivent être accompagnées d’autres motifs de persécution (liés à la race, la religion, etc.)

En outre, certaines exceptions existent et le UNHCR estime notamment qu’un déserteur ou un réfractaire peut être considéré comme réfugié lorsque l’exécution de ses obligations militaires le conduirait à participer à des opérations en contradiction avec ses convictions politiques ou religieuses ou s’il devait être amené à commettre des crimes contre la paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

Tous ces états de fait sont déjà réglés par la législation actuelle et la pratique de nos autorités en la matière est sévère. Il ne saurait absolument pas être question aujourd’hui d’un octroi généralisé de l’asile à tous les déserteurs.

 

b) Art 19 et 20, enregistrement de la demande d’asile à l’étranger.

 

Le Conseil fédéral veut supprimer la possibilité de déposer une demande d’asile auprès des représentations diplomatiques. Il justifie cette proposition par le fait que la Suisse est le seul pays en Europe à consacrer cette pratique ce qui entraine une surcharge du nombre des demandes d’asile dans notre pays. Nous rejetons cette proposition.

La procédure dans les ambassades offre une contribution importante à la lutte contre les « passeurs ». En 2008, près de 2700 personnes ont utilisé cette possibilité ; on peut imaginer qu’une large majorité d’entre elles auraient tenté de s’introduire clandestinement en Suisse si elles n’avaient pu s’adresser à une ambassade. Ce faisant, elles auraient non seulement dépensé des sommes souvent considérables pour payer des réseaux de passeurs mais elles se seraient parfois mises concrètement en danger.

La procédure dans les ambassades exerce également une fonction de triage efficace et bon marché. Si les 2700 personnes qui ont déposé une demande dans une représentation diplomatique en 2008 étaient venues illégalement en Suisse et y avaient déposé leur demande, il aurait fallu les loger, les nourrir et couvrir les frais de leur rapatriement en fin de procédure. Nombre d’entre elles auraient par ailleurs vu leur séjour chez nous se prolonger du fait des difficultés à les renvoyer vers des pays d’origine peu coopérants pour reprendre leurs ressortissants.

 

c) Article 34 : Nouvelle réglementation en matière de pays tiers

Le Conseil fédéral propose la nouvelle formulation suivante

 

« En règle générale, l’Office n’entre pas en matière sur une demande d’asile lorsque le requérant

(..)

b. peut retourner dans un état tiers dans lequel il a séjourné auparavant »

 

Un autre alinéa prévoit une exception pour les États tiers pour lesquels il existe des indices qu’il ne respecterait pas, dans le cas d’espèce, le principe de non refoulement. Mais le Conseil fédéral supprime la possibilité d’entrer en matière lorsque l’intéressé a des proches membres de sa famille qui vivent en Suisse ou qui a des liens étroits avec la Suisse (parce que, par exemple, il y aurait effectué une grande partie de sa scolarité). Il supprime également la possibilité d’entrer en matière lorsque la qualité de réfugié est manifestement établie dès le dépôt de la demande.

 

Le Conseil fédéral voudrait donc se dispenser d’examiner si le ou la requérant∙e possède des liens avec la Suisse ou si il ou elle est manifestement un∙e réfugié∙e. AI s’oppose à cette proposition qui, notamment, n’est pas cohérente avec l’article 34, al.2, litt. e LAsi, selon lequel une personne peut être renvoyée vers un pays tiers lorsque des proches parents y vivent. On ne voit pas pourquoi la Suisse se permettrait de renvoyer des requérant∙e∙s d’asile dans un pays tiers mais refuserait, dans les mêmes conditions, d’en accueillir.

 

 

d) Nouvelle procédure pour les demandes multiples et les réexamens, art. 111c et 111d

 

Les demandes d’asile déposées moins de deux ans après l’entrée en force d’une première décision négative devront, pour éviter un ralentissement de la procédure, être déposées exclusivement de manière écrite. Un émolument sera perçu si la deuxième demande est rejetée ou s’il n’est pas entré en matière. Des avances de frais pourront même être exigées et les personnes en attente d’une réponse sur une deuxième demande ne seront pas autorisées à travailler et ne pourront bénéficier que de l’aide d’urgence.

 

AI rejette également ces dispositions. Nous ne voyons pas en effet pourquoi une deuxième demande d’asile devrait être traitée différemment si la personne est rentrée dans son pays d’origine ou non entre les deux demandes.

Si la personne est rentrée dans son pays, le projet de loi introduit une présomption que la situation a changé et que de nouveaux éléments peuvent être soumis à l’appui de la requête alors que si la personne n’est pas rentrée chez elle c’est le contraire qui est présumé, à savoir qu’il n’y a pas de nouveaux éléments à l’appui de la demande et que, dès lors, il n’est pas nécessaire de procéder à une nouvelle audition.

Il n’y a aucune raison à cela et de nouveaux éléments peuvent survenir à l’appui de la demande d’asile alors même que l’intéressé∙e n’est pas rentré dans son pays d’origine. L’audition personnelle est un élément clé de la procédure d’asile, notamment pour établir la vraisemblance des déclarations du ou de la requérant∙e ainsi que pour résoudre d’apparentes contradictions ou des malentendus. Y renoncer constitue dès lors une restriction inacceptable à l’équité de la procédure.

 

e) Obligation de prouver l’inexigibilité du renvoi et présomption de l’exigibilité pour certains pays, art 83, al. 5 LEtr.

 

« 5 L’étranger faisant valoir que l’exécution du renvoi ou de l’expulsion ne peut être raisonnablement exigée pour des raisons personnelles doit en apporter la preuve. Les autres arguments invoqués contre l’exécution de la mesure doivent pour le moins être rendus vraisemblables.

5bis Le Conseil fédéral peut désigner les Etats d’origine ou de provenance, ou les régions de ces Etats, dans lesquels le retour est raisonnablement exigible. Si la personne renvoyée ou expulsée provient de l’un de ces pays, l’exécution du renvoi ou de l’expulsion est supposée raisonnablement exigible. »

 

Le projet du Conseil fédéral propose un renversement du fardeau de la preuve en ce qui concerne l’exigibilité du renvoi et place maintenant la barre plus haut que dans le droit en vigueur puisque les intéressé∙e∙s non seulement doivent maintenant établir eux-mêmes que le renvoi n’est pas exigible pour des raisons personnelles mais ils et elles doivent en apporter la preuve et non seulement le rendre vraisemblable. Pour certain∙e∙s la barre sera posée encore plus haut, à savoir ceux et celles qui proviennent de pays ou de régions figurant dans une liste, établie par le Conseil fédéral et dans lesquels il est présumé que le retour est raisonnablement exigible.

 

Ce changement concerne directement près de 40% des personnes à qui la Suisse n’a pas reconnu la qualité de réfugié en 2008 mais à qui elle a accordé une protection sur la base de l’inexigibilité du renvoi (admissions provisoires). Selon le Conseil fédéral il est difficile pour l’ODM de mener des enquêtes sur place à l’étranger pour vérifier l’exigibilité d’un renvoi. Nous objecterons que la chose est encore plus difficile pour les intéressé∙e∙s qui ne peuvent pas prendre directement contact avec les autorités de leur pays d’origine, sous peine de conséquences négatives sur l’examen de la qualité de réfugié.

Il sera par ailleurs très compliqué de déterminer quels sont les motifs « personnels » d’inexigibilité. L’absence d’accès à des médicaments spécifiques, par exemple, doit elle être considérée comme un motif personnel (comme semble le faire l’ODM dans la pratique actuelle) ou bien sera-t-elle considérée comme un motif général lié aux déficiences du système de santé prévalant dans le pays ? De belles bagarres se profilent quant à l’interprétation de cette future disposition.