Procédure de consultation Loi fédérale sur les tâches de police de la Confédération (LPol)

Mars 2010
La Section suisse d'Amnesty International a pris position sur l'avant-projet de loi fédérale sur les tâches de police de la Confédération (LPol). La version originale allemande fait foi. Ci-dessous, l'essentiel en français.

 

1. En général
a) Aspects positifs:

L’avant projet de LPol est salué sur le fond. Les tâches de police de la Confédération, précédemment réglées dans divers textes sont maintenant réunies dans une seule loi ce qui permet sans équivoque d’appliquer les mêmes normes pour tous les organes de la Confédération. Les différentes tâches et les moyens de les mettre en œuvre sont par ailleurs listés de manière exhaustive. En ce sens, l’avant projet de loi essaie de garantir la sécurité du droit ce qui doit être salué.

b) Points critiquables

Les tâches réglées par la LPol touchent au domaine sensible des droits fondamentaux. A ce titre divers aspects de la loi apparaissent quelque peu problématiques :

-          Les différents instruments dont disposait jusqu’alors la Confédération, rassemblés par le projet en une seule loi, n’ont à notre connaissance jamais été évalués correctement . AI estime qu’avant de les incorporer tels quels dans la nouvelle loi une évaluation sérieuse aurait dû être effectuée.

-          La nouvelle LPol règle des tâches de la Confédération qui peuvent parfois occasionner des atteintes sérieuses aux droits fondamentaux des citoyens. La Constitution fédérale exige, dans de tels cas, non seulement une base légale formelle donc un ancrage dans une loi, mais également une densité normative élevée, soit des normes formulées de manière précise. Les dispositions les plus importantes du projet de loi ne sont malheureusement bien souvent que des clauses vaguement formulées et qui laissent une marge d’interprétation trop grande aux autorités, notamment parce que de nombreuses exceptions sont prévues. La compétence de préciser certaines normes importantes est dévolue au Conseil fédéral sans que les notions de base n’aient clairement été définies. Ceci nous parait peu compatible avec l’exigence de base légale découlant de la Constitution.2. Protection des données

a) Utilisation d’appareils optiques de surveillance (Art. 7 al. 1[1])

Le domaine concerné par cette disposition est extrêmement large et aucune précision n’est donnée sur le type de bâtiments ou de personnes qui doivent être protégées, ni sur la base de quels indices. Par ailleurs, la disposition ne tient pas compte du fait que les cantons sont compétents pour délivrer une autorisation d’utilisation d’appareils optiques de surveillance.

 

Chaque canton doit donc créer une législation déterminant dans quelles circonstances une telle autorisation peut être octroyée à la Confédération. Ceci peut naturellement conduire à des applications différentes de la loi selon les cantons ce qui est contraire au but souhaité d’unifier les pratiques.

b) Moyens de recherche d’information (Art. 12)

L’article 12 al. 2 litt. b prévoit que, en plus des autorités, des personnes privées puissent être utilisées pour la collecte d’informations Cette disposition pose problème sous l’angle de la protection de la sphère privée. Les amis ou la famille d’une personne peuvent ainsi être appelés à fournir des informations sans que la personne concernée ne le sache. De manière à ne pas entraver outre mesure le travail de police, une délimitation à un certain cercle de personnes n’est pas prévu dans la loi. Le potentiel de violation des droits fondamentaux s’en trouve ainsi renforcé.

La disposition laisse également à l’autorité le soin de décider si une personne doit ou non être infondée du fait que des investigations sont menées à son encontre. L’art. 12 al. 4 prévoit qu’il peut être renoncé à informer la personne sur laquelle des données personnelles ont été collectées si « cela entraîne un volume de travail excessif » et si « la protection d’intérêts publics prépondérants l’exige ». Une marge d’interprétation aussi large nous parait problématique en regard de la protection des droits fondamentaux.

c) Observation (Art. 13 )

L’article 13 règle les conditions auxquelles peut être utilisé un nouvel instrument: l’observation. Dans le but de détecter et de réprimer le crime international organisé, les offices centraux peuvent, indépendamment d’une procédure pénale, observer des personnes dans des lieux publics et effectuer des enregistrements de sons et d’images lorsque d’autres moyens de recherche n’auraient aucune chance d’aboutir ou seraient excessivement difficiles.

Cette mesure extrêmement intrusive pour la personne concernée nous parait problématique en regard du respect de la présomption d’innocence. La base légale pour de telles mesures devrait être formulée de manière très précise et être soumise, par exemple à l’autorisation d’une autorité judiciaire indépendante, ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi.

La même remarque est valable pour l’art. 13 al.2 qui autorise le directeur de la fedpol à prolonger la poursuite de l’observation. AI estime que cette autorisation devrait elle aussi relever d’une autorité judiciaire indépendante.

d) Signalement de personnes et d’objets au fin de surveillance discrète (Art. 29)

Il s’agit là, si l’on en croit le rapport explicatif, d’un cas particulier d’observation. Le règlement des conditions autorisant un signalement discret ne sont pas déterminées de manière exhaustive. C’est ainsi qu’un signalement est possible lorsque l’évaluation générale d’une personne, basée notamment sur ses condamnations passées, laisse penser qu’elle pourrait commettre, à l’avenir, des infractions d’une gravité extraordinaire.

L’expression vague « laisse supposer » constitue une condition nécessaire pour l’utilisation d’un instrument qui peut constituer une atteinte grave à la sphère privée de la personne concernée. Il faut se poser la question de la constitutionnalité d’une telle mesure en dehors de toute procédure judiciaire. La présomption d’innocence de toute personne doit primer sur le vague soupçon qu’elle puisse commettre un crime, même si elle en a déjà commis par le passé.

e) Principes du système d’information policière de la Confédération. (Art. 69).

L’art 69 al. 3 précise que « les informations relatives à l’engagement politique, ou à l’exercice des droits découlant de la liberté d’opinion, d’association et de réunion ne peuvent être traités » que s’il existe une présomption sérieuse qui permettre de soupçonner une organisation ou ses membres de se servir de l’exercice de ces droits pour cacher la préparation ou l’exécution d’actes punissables.

La « présomption sérieuse » permet déjà la surveillance des activités politiques ou syndicales d’une personne. L‘engagement de l’État dans une telle procédure ne devrait être justifié que lorsqu’il est nécessaire de vérifier si les éléments constitutifs d’un comportement délictuel existent ou non. Le danger est grand que toutes les activités syndicales ou politiques ne soient saisies dans le système d’information policier.

Il serait nécessaire, pour préserver les droits fondamentaux, que la disposition légale sur l’observation prévoie l’existence d’un acte délictuel . La disposition devrait également prévoir un catalogue exhaustif des infractions et déterminer de manière claire ce qui peut ou doit être considéré comme une « présomption sérieuse »

f) Système d’information relatif aux actes de violence commis lors de manifestations sportive (Art. 77)

Le système d’information sur les actes de violences commis lors de manifestations sportives (HOOGAN) est à ce jour ancré dans las loi sur la sureté intérieure. HOOGAN représente une base donnée problématique dès lors qu’elle peut contenir des informations collectées auprès de privés, ce qui ne fournit aucune garantie sur leur authenticité. HOOGAN permet également que des données personnelles soient transmises à des privés. HOOGAN est basée sur des dispositions peu claires, qui ne concernent pas obligatoirement le domaine central des tâches de police mais concernent plutôt le domaine de la prévention. Le traitement des données contenues dans HOOGAN met en danger les droits fondamentaux de manière significative.

3. Delegation du monopole etatique de la force
a) Engagement de personnes privées (art. 14 ss)

Selon cet article, les offices centraux peuvent avoir recours à l’appui de personnes privées comme informateurs ou comme personnes de confiance. Les informateurs transmettent des informations à leur propre initiative et les personnes de confiance sont actives dans la recherche ciblée d’information à la demande des offices centraux.

Les contributions ne sont toutefois possibles que dans le but de détecter ou de réprimer le crime international organisé. De plus l’engagement d’autres mesures est prioritaire à celui de personnes de confiance (art. 16 al.2). Amnesty International salue positivement ces restrictions.

D’autres prescriptions nous paraissent par contre critiquables. Peuvent être engagées, selon le rapport explicatif, des personnes qui, en raison de leurs origines, ou de leur activité professionnelle ont accès à un « environnement social spécifique » susceptible d’intéresser les offices centraux. Les autres critères auxquels doivent répondre ces personnes ne sont pas déterminés. La manière dont ils sont en mesure de garantir leur crédibilité ou d’établir qu’ils sont dignes de confiance n’est pas non plus mentionnée.

Les pouvoirs dont disposent les personnes privées ne sont pas non plus définis de manière claire. Selon AI, le poids donné aux informations en provenance d’informateurs et de personne de confiance est trop important par rapport à celui des informations récoltées par d’autres moyens. Les informateurs fournissent des informations de leur propre initiative et de manière aléatoire (régulièrement ou occasionnellement). Ce point parait d’autant plus critiquable que l’engagement de personne privées en tant qu’informateurs signifie une mise en danger des droits fondamentaux des personnes concernées tout aussi importante que celle créée par des enquêteurs professionnels.

Seules des personnes de confiance peuvent être engagées pour fournir des informations ciblées. Il est problématique, dans ce cadre, que des primes puissent être versées pour des informations particulièrement importantes (art. 17 al. 2). Ceci augmente bien sûr le danger de récolter de fausses informations.

Les informateurs et les personnes de confiance doivent pouvoir obtenir la garantie que leur identité ne sera pas révélée (art. 14) Il est possible que cela apparaisse nécessaire pour garantir la sécurité des personnes concernées mais ne devrait, selon AI être appliqué qu’avec réserve. En dissimulant l’identité de personnes privées on rend plus difficile le dépistage des fausses informations et donc le danger d’abus.

b) Engagement d’entreprises privées
L’engagement d’entreprises de sécurité privées ne va pas forcément de soi. Parmi les arguments en leur faveur, nous mentionnerons leur flexibilité en terme d’engagement : ces entreprises sont généralement en mesure de mobiliser très rapidement du personnel. Elles disposent de plus et selon les domaines de travail, d’un meilleur « know-how » technique et enfin elles peuvent permettre par leur engagement, à la police de se concentrer sur ses tâches essentielles.

A côté de ces aspects positifs, AI note surtout des conséquence négatives à l’engagement d’entreprises privées. La souveraineté et l’autorité de l’État sont affaiblies, une privatisation des tâches de sécurité touche aux principes même de l’État ou tout au moins à sa légitimation. Les entreprises privées ne sont soumises à aucun contrôle démocratique. Enfin la sécurité tâche fondamentale de l’État est à notre avis remise à tort entre les mains de cercles toujours plus larges de la population.

Les domaines d’activité et les procédures internes aux entreprises privées sont souvent difficilement identifiables de l’extérieur. Ceci conduit à un manque de transparence, à une distribution mal définie des responsabilités et à un devoir de rendre des comptes peu clair. Les firmes privées ne peuvent que très difficilement être tenues pour responsables des infractions au droit pénal commises par leurs employés. Les entreprises de sécurité privées poursuivent enfin des buts lucratifs. Ceci implique que la poursuite le plus longtemps possible des tâches qui leur sont confiées est bien évidemment dans leur intérêt.

Le danger de violation des droits fondamentaux nous parait s’accroître avec l’engagement d’entreprises de sécurité privées. AI reste donc très critique vis-à-vis de cette mesure et souhaite qu’elle soit la plus limitée possible. Des critères très clairs doivent être fixés en ce qui concerne leurs tâches et leurs domaines de compétence et leur activité doit être déterminé de manière très précise.

c) Exigences vis à vis des entreprises de sécurité (Art. 95 ss)

AI salue le fait que des conditions soient fixées à l’engagement d’entreprises de sécurité privées. Elle estime cependant que les conditions sont formulées de manière trop vagues et donnent une marge d’interprétation trop grande aux autorités. Il en va ainsi par exemple de la notion de « garanties suffisantes » concernant le recrutement la formation et la surveillance du personnel, utilisée à l’art. 95 al. 1 litt. a. . Manque ici à notre avis une définition plus précise des standards de qualité requis.

Le contrôle du respect des conditions par les autorités fédérales doit également être considéré comme insuffisant. Si l’on en croit le rapport explicatif, « l’autorité ne doit pas garantir le respect des conditions de l’art 95 mais uniquement examiner si l’entreprise remplit ces exigences. Si la tâche de protection n’implique pas l’usage de la contrainte (contrôle lors de l’accueil à une manifestation p.ex.) « l’autorité peut se contenter d’examiner les documents fournis par l’entreprise ». Le danger est grand dans ce type de situation, que des abus ne soient commis et que entreprises n’outrepassent leurs compétences.

En fin l’exception prévue à l’art 96 concernant les engagements à l’étranger nous parait devoir être critiquée. Les engagements d’entreprises de sécurité privées à l’étranger sont particulièrement sensibles et doivent répondre aux mêmes exigences que les engagements en Suisse. Amnesty s’oppose donc à l’engagement d’entreprises à l’étranger qui ne rempliraient pas les conditions de l’art. 95.

d) Compétences (Art 97)

L’art 97 déclare à juste titre que l’usage de la contraint par des entreprises de sécurité privées nécessite une base légale adéquate. La formulation de l’alinéa 2 parait dès lors prêter à confusion. Les entreprises peuvent faire usage de la contrainte sur la base de la loi sur les mesures de contrainte et sur la base du droit de domicile. La loi sur l’usage de la contrainte à son article 7 ne fait qu’exiger une base légale formelle et le « droit du domicile » n’est défini nulle part. On ne sait ainsi pas pour quel type d’engagement une base légale est nécessaire et pur quel autre type un règlement par voir d’ordonnance serait suffisant.

e) Contrôle (art. 101)

L’article 10a mentionne «un instrument approprié» pour le contrôle des exigences de l’art. 95. Il s’agit là encore une fois d’une notion floue qu’AI souhaiterait voir remplacée par une définition claire et détaillée d’une procédure de contrôle

Les sanctions prévues pour non respect de ces exigences, à savoir selon le rapport explicatif le versement d’une clause pénale nous parait léger et AI souhaiterait un retrait de l’autorisation d’exercer, en particulier lorsque des atteintes auraient été portées aux droits fondamentaux de personnes.



[1] tous les articles mentionnés font référence à l’avant-projet de loi mis en consultation