Procédure de consultation Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, loi sur la protection des témoins

mars 2010
Amnesty International (AI) a suivi dès le début les travaux d’élaboration de la Convention et milite, depuis son adoption, pour une ratification rapide par tous les États membres du Conseil de l’Europe. Elle se réjouit donc de ce que le Conseil fédéral soumette prochainement la ratification de cet important document à l’approbation du parlement en vue de sa ratification.

La Section suisse d’Amnesty International remercie le Département fédéral de justice et police de lui donner l’opportunité d’exprimer ses vues à propos de la ratification et de la mise en œuvre par la Suisse de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (ci après la Convention) et sur l’avant projet de loi sur la protection extra-procédurale des témoins (LTém).

Amnesty International (AI) a suivi dès le début les travaux d’élaboration de la Convention et milite, depuis son adoption, pour une ratification rapide par tous les États membres du Conseil de l’Europe. Elle se réjouit donc de ce que le Conseil fédéral soumette prochainement la ratification de cet important document à l’approbation du parlement en vue de sa ratification.

Une ratification n’a toutefois de sens que si la mise en œuvre de la Convention peut être assurée de manière conséquente. Nous saluons donc le principe d’une législation fédérale sur la protection extra-procédurale des témoins qui devrait permettre à la Suisse, en évitant les disparités cantonales, de se conformer aux obligations découlant de la Convention.

Nous estimons cependant que la protection des témoins n’est qu’un aspect de la mise en œuvre de la Convention qui, dans son esprit, vise d’abord et surtout la protection des victimes de la traite. Aussi nous permettrons nous également de commenter dans un premier temps divers points  relatifs à la mise en œuvre de la Convention non couverts par la LTém.

1. Mise en œuvre de la Convention du conseil de l’europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Loi sur la protection des témoins

A. Identification des victimes (art.10 Conv.) :

L’article 10 de la Convention demande aux Etats partie de ne pas éloigner une personne de son territoire lorsqu’il « existe des motifs raisonnables de croire (…) qu’elle a été victime de la traite des êtres humains ».Les autorités compétentes doivent en conséquence être formées et qualifiées pour identifier les victimes potentielles. Amnesty International estime à ce propos  que si une formation spécifique a commencé à être mise en place, encore trop peu de policiers et de juges possèdent à ce jour les outils nécessaires a apprécier en toute connaissance de cause la situation particulière des victimes de la traite.  A notre connaissance il n’existe pas non plus de formation spécifique pour les gardes frontières et le personnel des services d’immigration. Nous demandons dès lors que les efforts entrepris dans le domaine de la formation du personnel soient intensifiés au niveau national de manière à ce que la Convention puisse être mise en œuvre de manière conséquente.

De même il ne suffit pas à notre avis qu’une collaboration entre les différentes autorités concernées soit mise en place. Il est en plus nécessaire que des normes contraignantes soient mises en place au niveau fédéral pour que l’identification et la protection des victimes soit assurée de la même manière dans tous les cantons.

B. Soutien aux victimes (art. 12 Conv.) :

L’article 12 alinéa 6 de la Convention demande que « chaque partie adopte les mesures législatives ou autres nécessaires pour s’assurer que l’assistance à une victime ne soit pas subordonnée à sa volonté de témoigner ». Le rapport explicatif nous parait quelque peu optimiste lorsqu’il estime que la Suisse remplit cette condition[1]. La loi sur l’aide aux victimes (LAVI) offre certes une aide et une protection aux victimes d’infractions indépendamment du statut de la victime mais elle n’empêche pas que les victimes de la traite qui ne sont pas prêtes à témoigner soient éloignées du territoire suisse et il n’est ainsi pas garanti qu’une victime, puisse bénéficier des prestations de la LAVI une fois qu’elle a quitté notre territoire.

Nous demandons à la Suisse d’accorder une autorisation de séjour à toutes les victimes, indépendamment du fait qu’elles acceptent de témoigner ou non. La Loi sur les étrangers (LEtr) devrait être complétée en ce sens.

C. Autorisation de séjour (art. 14 Conv.)

La Convention prévoit la délivrance d’un permis de séjour renouvelable aux victimes dans deux cas de figure.  Soit le séjour « s’avère nécessaire en raison de (la) situation personnelle », soit il s’avère nécessaire « en raison de (la) coopération avec les autorités compétentes ». Les dispositions légales en vigueur de la LEtr et de l’ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA) se concentrent essentiellement sur la deuxième possibilité, à savoir le séjour en cas de collaboration avec les autorités. Les victimes identifiées qui acceptent de témoigner contre les auteurs du délit se voient accorder une autorisation de séjour à court terme de 3 à six mois ce qui ne correspond qu’au minimum prévu par la Convention. Ceci mérite d’autant plus d’être relevé que cela signifie que certaines mesures, pourtant prévues par la loi, sont quasiment impossibles à mettre en pratique (location d’un logement adéquat, accès au marché du travail).

Lorsque les victimes ont besoin d’une protection à long terme, une autorisation de séjour pour cas de rigueur peut leur être délivrée[2]. La législation ne précise cependant pas clairement si cette autorisation dépend ou non de la volonté de témoigner alors que la Convention le demande formellement.[3] Seule une directive de l’Office fédéral des migrations prévoit, sous une forme potestative uniquement, une telle autorisation. Amnesty International estime que le règlement des cas de rigueur par la voie d’une directive est insuffisant et qu’une disposition idoine devrait être introduite dans la loi.

Les critères prévalant à l’octroi d’une autorisation pour cas de rigueur posent également problème. Les victimes de la traite des êtres humains ne sont en effet que rarement en mesure de remplir les conditions liées à l’intégration, la durée du séjour, ou encore le respect de l’ordre juridique. Nombre des victimes de la traite sont en effet contraintes à exercer des activités illégales par exemple l’exercice de la prostitution dans des lieux où cela est interdit. La directive demande certes aux autorités de police des étrangers de tenir compte de la situation de la victime, mais Amnesty International estime que la protection ainsi accordée est inefficace. Une disposition potestative laisse trop de marge d’interprétation à l’autorité et le danger n’est pas négligeable que le règlement des cas de rigueur soit différencié d’un canton à l’autre. Ceci ne saurait correspondre à l’esprit de la Convention.

Amnesty International souhaite qu’un droit au séjour soit garanti pour toutes les victimes de la traite qu’elles manifestent leur intention de témoigner ou non. Elle souhaite également, de manière à éviter les disparités cantonales, qu’une instance fédérale soit désignée pour l’octroi de ce type d’autorisation.

D. Rapporteur national et mécanisme de suivi (Art. 29 al.4 Conv.)

L’article 29 al.4 de la Convention recommande la nomination d’un rapporteur national ou d’un autre mécanisme « chargé du suivi des activités de lutte contre la traite menée par les institution de l’État et de la mise en œuvre des obligations prévues par la législation nationale ». Selon le rapport explicatif c’est le Service de coordination contre la traite d'êtres humains et le trafic de migrants (SCOTT) qui devrait remplir ces fonctions. Les actions entreprises par le SCOTT sont certes utiles et ont eu une influence bénéfique sur la situation dans notre pays, mais Amnesty International estime qu’il n’est pas qualifié, en tant qu’organe étatique chargé de dynamiser la collaboration entre les diverses autorités concernées, pour exercer en plus une fonction de surveillance. Celle-ci devrait être confiée à un organe indépendant, une condition qui n’est pas remplie par le SCOTT.

 

2. Loi sur la protection des témoins (LTém)

D’une manière générale, il nous semble que le projet de loi proposé, qui ne vise que la protection des « personnes qui sont menacées en raison de leur participation à l’élucidation d’un infraction pénale grave dans le cadre d’une procédure pénale »[4] ne répond pas aux exigences de la Convention qui vise la protection des victimes qu’elle distingue[5] des personnes « qui fournissent des informations concernant des infractions pénales (…) ou qui collaborent avec les autorités chargées des investigations ou des poursuites », ainsi que des « témoins qui font une déposition concernant des infractions pénales (…) ».

L’avant projet de la LTém ignore ainsi les victimes qui refusent de collaborer avec les autorités, alors même que ces personnes peuvent être menacées, parfois jusqu’à risquer leur vie, sans même qu’une procédure pénale ne soit ouverte.

Amnesty International regrette que des mesures de protection spécifiques n’aient pas été prises en faveur des victimes de la traite et souhaite qu’il soit remédié à ce manque.

Commentaires spécifiques :

A. Critères prévalant à l’octroi d’un programme de protection.

Le critère principal, primant sur tout autre et servant à déterminer si une personne à besoin d’un programme de protection, doit être celui du danger encouru.

Il ressort de l’article 3, al. 1, litt. b, de l’art. 6 al. 2 et du rapport explicatif que, notamment pour des raisons financières, si le témoignage potentiel n’est pas suffisamment important pour la procédure pénale, la victime (ou le témoin) ne saurait bénéficier d’un programme de protection, alors même que la personne pourrait se trouver en grand danger. Dans le paragraphe relatif à l’article 8[6], le Conseil fédéral précise qu’ « il convient en particulier de renoncer à utiliser des témoignages dont l’importance n’est pas primordiale pour la procédure pénale ». A contrario cela signifie que les victimes qui refuseraient de témoigner et celles dont le témoignage ne serait pas considéré comme essentiel sont exclues du champ d’application de la loi.

Ceci nous parait être contraire à l’esprit de la Convention qui, nous le répétons, place la protection des victimes au centre de ses préoccupations. Amnesty International demande donc que l’octroi d’une protection soit accordé indépendamment de l’importance possible du témoignage, mais également et surtout indépendamment de la volonté ou non de témoigner.

B. Contenu (art. 5)

L’article 5 de l’avant projet ne prévoit la possibilité d’un changement d’identité que de manière provisoire. Amnesty International estime que cette protection, bien qu’utile, peut-être insuffisante et qu’un changement d’identité définitif doit pouvoir être possible dans certains cas particulièrement difficiles. Les victimes de la traite ont en effet parfois à faire face au danger de subir la vengeance non pas d’une ou deux personnes précises mais de clans entiers qui se sentent bafoués dans leur honneur par l’arrestation et/ou la condamnation de l’un·e des leurs. Dans de tels cas de figure, un changement d’identité définitif est souhaitable.

C. Demande de la direction de la procédure (Art.6)

Entre le moment où une victime prend contact avec un centre de consultation spécialisé et celui où est pris la décision de lui accorder un programme de protection est prise, un temps relativement long peut s’écouler. Pendant toute cette période les victimes vivent dans la peur et ne peuvent bénéficier que de mesures de protection restreintes. La demande de pouvoir bénéficier d’un programme de protection devrait par conséquent pouvoir être introduite très rapidement et pas uniquement par la direction de la procédure pénale, puisqu’elle ne peut entrer en matière qu’une fois la procédure ouverte et qu’après avoir vérifié si la victime correspond à tous les critères définis à l’art. 8.

Amnesty International souhaite que la possibilité soit donnée à la victime elle-même ou à son représentant légal (par exemple un centre de consultation auquel elle se serait adressé), de demander à pouvoir bénéficier d’un programme de protection. C’est, une fois de plus, le critère du danger qui doit prévaloir, danger qui la plupart du temps existe indépendamment de l’existence d’une procédure pénale.

D. Prestations financières (Art. 15)

L’art. 15 al.2 dans sa formulation actuelle prête pour le moins à confusion. « Une somme raisonnable tenant compte du revenu licite que la personne à protéger percevait jusqu’alors (…) est versée à la personne à protéger » nous parait être un critère à abandonner dès lors que nombre de victimes de la traite, totalement exploitées, n’ont pas de revenu propre. Nous proposons de biffer purement et simplement cette phrase et de s’en tenir à la référence faite aux prescriptions en matière d’aide sociale en vigueur dans le lieu de séjour, telle qu’elle figure dans l’actuelle formulation de l’art 15, al. 2 in fine.



[1] Rapport explicatif, page 23

[2] Art. 31 et 36 al. 6 OASA

[3] Art 12, al. 6

[4] Avant-projet LTém, art. 1 litt. a

[5] Convention, art. 28 al. 1

[6] Rapport explicatif, page 69