Politique d'asile Propositions de Madame Sommaruga: position d'Amnesty International

Berne, 19 mai 2011
Le 9 mai 2011, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a soumis à la Commission des institutions politiques du Conseil des États (CIP-E) de nouvelles propositions de solutions dans le domaine de l’asile. Ci-dessous l’analyse et la position de la Section suisse d’Amnesty International.

Le rapport, présenté par Madame Sommaruga avait été demandé par la CIP-E en novembre 2010. Il propose trois variantes:

Selon la variante 1:

Lorsque des mesures d’instruction supplémentaires ne s’imposent pas (selon l’ODM dans 80 % des cas), la procédure d’asile complète devrait être menée dans des centres fédéraux. La procédure ne devrait pas dépasser une durée de 120 jours et les requérant·e·s d’asile devraient avoir accès à une consultation juridique, à une assistance judiciaire gratuites et à un bureau d’aide au retour. L’instance de recours devrait si possible être basée au même endroit. Comme par le passé, du personnel médical devrait être présent aux centres de réception et de procédure (CEP) (cette prestation a été supprimée sous le règne de Christoph Blocher). Durant la phase préparatoire à la procédure d’asile, les mesures d’instruction nécessaires pour la prise de décision seraient prises à l’attention des décideur·e·s (enregistrement des données personnelles, examen des documents d’identité et de voyage, comparaison des empreintes digitales avec différentes banques de données, requêtes Dublin II, examen sanitaire de frontière, examens médicaux sur demande du/de la requérant·e, délégation à des tiers). Un dossier avec des données sur le pays d’origine serait constitué par l’ODM. Par la suite, il serait procédé à une audition détaillée sur la personne et les motifs d’asile. La décision devrait être prise immédiatement après l’audition.

Si des mesures d’instruction complémentaires sont nécessaires (dans 20% des cas selon l’ODM), une procédure élargie serait ouverte. Les requérant·e·s d’asile seraient attribué·e·s aux cantons. Cette procédure devrait durer au maximum 120 jours.

Les requérant·e·s débouté·e·s seraient soigneusement préparé·e·s au retour dans leur pays d'origine. S’ils/elles n’y sont pas prêt·e·s, ils/elles seraient attribué·e·s à un canton pour l’exécution de leur renvoi. Ils/elles seraient exclu·e·s de l’aide sociale mais pourraient demander l’aide d’urgence.

La Confédération et les cantons devraient disposer des capacités d’hébergement d’urgence pour des situations de crise. Ils seraient indemnisés par la Confédération (ceci était le cas jusqu’au moment de l’arrivée de l’ancien Conseiller fédéral Blocher mais  ce dernier avait supprimé ces places pour des raisons d’économies).

Selon la variante 2:

La Confédération serait responsable pour toute la procédure, y compris l’exécution du renvoi et l’hébergement. Pour le reste, la procédure se déroulerait selon les mêmes modalités qu’à la variante 1.

Selon la variante 3:

Différentes mesures à court terme sont proposées en maintenant les structures et compétences actuelles. L’accélération de la procédure doit avant tout être la conséquence de l’introduction de délais impératifs pour le traitement des demandes d’asile. Le séjour dans les CEP doit être prolongé à 120 jours. Les procédures Dublin II et les procédures de non-entrée en matière doivent être terminées dans ce délai. Cette variante ne prévoit pas encore de concept élaboré de consultation juridique et d’assistance judiciaire. Un renforcement ponctuel de l’assistance judiciaire et de la collaboration avec les bureaux d’aide juridique n’est cependant pas exclu. Au-delà de ces propositions, certaines proposition de révision de la Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf seraient maintenues. Ainsi, les mesures proposées pour les demandes de réexamen et les deuxièmes demandes d’asile devraient être introduites. Les deuxièmes demandes doivent être déposées par écrit et motivées. Les personnes qui déposent une deuxième demande d’asile, sont exclues de l’aide sociale mais peuvent demander l’aide d’urgence. Si le renvoi peut être exécuté dans les 30 jours, le/la requérant·e doit être mis·e en détention directement au CEP. Les démarches pour obtenir des documents de voyage doivent être effectuées dès la décision de première instance. Ceci est déjà prévu par la loi mais ce processus ne débute dans la réalité qu’après la décision de dernière instance.

Décision de la Commission des institutions politiques

La Commission des institutions politiques du Conseil des États «souhaite créer les bases légales permettant de traiter le plus grand nombre possible de procédures d’asile dans des centres de procédure fédéraux afin d’accélérer sensiblement les décisions. »[1] Elle veut séparer le projet de révision de la Loi sur l’asile en deux projets de révision débattus de manière différée. Les éléments clés de ce renouvellement sont une procédure accélérée et une protection juridique élargie. Le Conseil fédéral était chargé d’élaborer un projet qui aurait mis la variante 1 en œuvre. Le DFJP veut en outre présenter un nouveau projet qui contiendrait les points de l’ancienne révision qui n’ont pas de lien avec la variante 1 : la suppression des procédures de non-entrée en matière, les demandes à l’Ambassade, le traitement des demandes d’asile d’objecteurs ou de réfractaires, etc. Pour le moment, on ignore quels points de la révision seront finalement repris. Le DFJP devrait aussi proposer des mesures à court terme pour favoriser la réorientation ultérieure: mise en œuvre de la phase préparatoire, possibilité d’un examen médical et mesures en matière de protection juridique.

Appréciation par Amnesty International

Amnesty International salue le changement de paradigme introduit par la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et la volonté d’introduire une procédure d’asile courte, crédible et qui réponde aux principes de l’État de droit. Depuis les années 80, les requérant·e·s d’asile doivent attendre leur décision d’asile beaucoup trop longtemps. La responsabilité ne doit pas seulement en être attribuée aux autorités fédérales mais aussi au Parlement. Les premiers retards dans le traitement de la procédure  sont apparus en 1984 lorsque le Parlement a refusé les postes supplémentaires pour le domaine de l’asile demandés par l’ancien Conseiller fédéral Friedrich. Le moment est venu non seulement de prendre des mesures pour raccourcir la procédure, mais aussi de mettre à disposition le personnel nécessaire.

Le respect de l’État de droit et la crédibilité de la procédure d’asile ne peuvent être assurés qu’en introduisant une consultation juridique et une assistance judiciaire élargies et une étroite collaboration entre les autorités fédérales et les représentant·e·s légaux. Trop souvent, des décisions d’asile sont aujourd’hui prises sur la base d’un état de fait incomplet. Ceci peut être largement évité si, pendant la phase préparatoire, les requérant·e·s d’asile ont accès à une consultation juridique et à des examens médicaux. Amnesty International part de l’idée qu’en introduisant ces possibilités, le nombre de demandes de réexamen et de deuxièmes demandes d’asile peut être sensiblement réduit. Ceci  contribuerait à une accélération sensible de la procédure si l’on tient compte du fait que 1500 demandes de réexamen sont actuellement déposées chaque année.

Amnesty International salue par ailleurs la réintroduction d’un système d’encadrement crédible et complet. La suppression de l’examen sanitaire de frontière par le Croix Rouge Suisse au Centre d’accueil (CERA) respectivement au CEP a eu des conséquences catastrophiques sur la situation dans les CEP. Le personnel de la Croix Rouge ne limitait pas son travail à l’examen sanitaire de frontière mais assumait aussi d’importantes tâches d’encadrement. Cette compétence professionnelle manque largement aujourd’hui, ce qui contribue entre autre à un mécontentement dans les CEP, plus particulièrement celui de Kreuzlingen.

Amnesty International combattrait fermement un raccourcissement immédiat du délai de recours sans renforcement du système de protection juridique pour les requérant·e·s.

Amnesty International attend du Parlement qu’il prenne ses responsabilités et réalise qu’une réelle accélération de la procédure d’asile ne passe que par un bon système de protection juridique. Toute autre solution serait vouée à l’échec. Les moyens financiers liés à l’introduction d’une assistance judiciaire seraient compensés par le raccourcissement de la durée de la procédure.

 

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[1] Communiqué de presse de la CIP-E du 09.05.2011