Généralités
En tant qu’organisation engagée dans la reconnaissance et la mise en œuvre des droits humains en Suisse, Amnesty International approuve la décision du Conseil fédéral du 29 juin 2016 de créer une institution nationale des droits humains (INDH) en Suisse. L'organisation salue dans son principe l’avant-projet de loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’homme que le Conseil fédéral a présenté le 28 juin 2017, même si elle estime qu’il a besoin d’être amélioré sur certains points.
La plupart des réserves formulées ci-dessous auraient été superflues si le Conseil fédéral avait choisi l’option d’un « institut indépendant » au lieu de l’option « statu quo + » (cf. rapport explicatif, §1.3.7). Cette solution correspondait à celle pour laquelle les ONG suisses se sont engagées durant toute la procédure devant mener à la création d’une INDH.
Cette prise de position est axée sur l’objectif d’une Institution nationale des droits de l’homme avec statut A, soit une INDH qui corresponde entièrement aux Principes de Paris. C’est là notre ligne directrice.
Une INDH avec un statut B ne serait pas prise au sérieux au niveau international et ternirait l’image de notre pays.
Commentaires par articles
Article 1 Institution nationale des droits de l’homme
La voie utilisée conformément à l’art. 1, al. 1, à savoir celle d’une loi sur un soutien financier, nous parait être praticable. Le fait également que l’art. 1, al. 4 désigne explicitement une « institution nationale des droits de l’homme » au sens des « Principes de Paris »[1] en tant que bénéficiaire de l’aide financière nous parait particulièrement bienvenu.
Le rapport explicatif fait plusieurs fois référence à une somme de 1 million de francs annuel à titre de « contribution aux coûts d’exploitation »[2]. Nous estimons que cette contribution de 1 million est nettement insuffisante.
Même si l’art. 2 al. 2 prévoit une contribution des hautes écoles sous forme de mise à disposition gratuite de l’infrastructure nécessaire, la somme de 1 million visant à financer les coûts d’exploitation ne permettra pas à la future INDH de s’acquitter de manière satisfaisante de toutes les tâches mentionnées à l’art. 3 de l’avant-projet LIDH. Nous formulons cette estimation par comparaison avec les budgets d’autres INDH dans des États comparables à la Suisse (Autriche, Danemark, Liechtenstein, Norvège entre autres).
Article 2 : Rattachement à des institutions du domaine des hautes écoles
Selon l’art. 2, al. 1, l'INDH sera rattachée à « une ou plusieurs hautes écoles ou autres institutions du domaine des hautes écoles ». Il s’agit là du point central du modèle « statu quo + » retenu par le Conseil fédéral. Cette option s’oriente vers un ancrage universitaire du Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) et le confirme légalement.
Nous avons des objections de fond quant à un ancrage universitaire de l’INDH :
- Conflit entre mandat lié aux droits humains et liberté académique
Un engagement en faveur des droits humains tel qu’exigé de la part d’une INDH n’est pas entièrement compatible avec la liberté académique et l’éthique de recherche qui sous-tend la recherche universitaire. Cette dernière procède de la transparence des résultats d’une recherche empirique alors que l’engagement pour les droits humains implique un attachement à certaines valeurs clairement définies et des prises de positions objectives. L’exemple de l’Institut norvégien pour les droits humains, qui était rattaché à une université, a démontré que le conflit entre deux exigences incompatibles pour une INDH peut mener tout droit à l’échec.
- Forme d’organisation peu judicieuse
Le rattachement à un réseau d’universités a – et le CSDH l’a démontré – des désavantages dans la pratique. La charge que le travail de coordination entre six instituts dépendant de cinq universités a représentée pour le bureau du CSDH est considérable, ce qui a eu une influence certaine sur l’efficacité de l’institution et sur l’allocation de ses ressources limitées. L’alternative, à savoir le rattachement à une seule université, est également impropre puisque le problème de la dépendance institutionnelle ne pourrait qu’être renforcé.
- Subventions cachées au détriment de l’indépendance
L’une des raisons importantes motivant l’ancrage universitaire de l’institution réside apparemment dans la mise à disposition à titre gratuit de l’infrastructure nécessaire à l’institution par les hautes écoles concernées, soit indirectement par les cantons où elles sont domiciliées. Ce subventionnement caché par les cantons remet également en cause l’indépendance de l’institution, même si celle-ci est expressément garantie vis-à-vis des instances auxquelles elle est rattachée[3].
Malgré ces réserves sur le fond, nos remarques sur les autres articles ci-dessous ne gardent leur valeur que si l’article 2 est adopté sous sa forme actuelle.
Article 3 Tâches
Au premier alinéa de l’article 3, la promotion des droits humains est mentionnée comme unique objectif de la future INDH. La formule consacrée, tirée du titre même des « principes de Paris » et régulièrement mentionnée dans le texte, est : « promotion et protection des droits de l’homme ». Il n’y a aucune raison objective pour supprimer cette notion de protection dès lors qu’elle n’implique en soi et de par sa formulation non spécifique aucune activité telle qu’une fonction de bureau de médiation (Ombudsman) ou de fonction normalement dévolue aux autorités et qui nous paraissent de manière évidente exclues du cahier des charges de l’INDH.
Nous recommandons donc l’utilisation à l’art. 3 al. 1 de la formule suivante :
« Dans le but de promouvoir et de protéger les droits de l’homme en Suisse (…) »
L’énumération des diverses tâches dévolues à l’INDH[4] est incomplète : il y manque de manière évidente l’encadrement (Beratung) politique et le « monitoring ». Ces deux domaines d’activités doivent être possibles également en dehors du cadre des prestations de service mentionnées à l’art. 5 LIDH.
Nous recommandons de compléter la liste des tâches de l’article 3 de la manière suivante :
- Encadrement politique, en particulier du Conseil fédéral, du Parlement, de l’administration et des cantons.
- Observation de la situation des droits de l’homme en Suisse
Dans le rapport explicatif, une différence importante avec le CSDH est mentionnée à propos de l’article 3. L’INDH peut « agir de sa propre initiative et définir elle-même ses activités et ses priorités »[5]. Ceci nous parait à tel point important qu’il devrait selon nous figurer en toutes lettres dans un alinéa supplémentaire de l’article 3.
Nous proposons la formulation suivante :
Art.3, Tâches
al. 1(nouveau) L’institution nationale des droits de l’homme a la compétence d’agir de sa propre initiative et de communiquer de manière indépendante sur les thèmes de son choix »
al.2 dans le but de promouvoir et de protéger les droits de l’homme (…)
l’activité de l’INDH dans tous les domaines des droits humains en politique intérieure et étrangère doit être ancrée dans la loi
Toujours à propos de l’article 3, le rapport explicatif affirme que « la politique étrangère de la Suisse en matière de droits de l’homme est en revanche en principe exclue du domaine d’activité de l’INDH »[1]. Cette observation nous parait hors contexte et arbitraire. Il est en effet nécessaire, pour tout ce qui concerne les questions de cohérence politique dans le domaine des droits humains, que soit incluse la politique étrangère des droits humains. De nombreux sujets thématiques, comme les exportations de matériel de guerre, comportent de facto une composante transfrontalière significative. Vouloir exclure la dimension de politique extérieure du mandat de l’INDH nous parait inadéquat et dysfonctionnel. Les « principes de Paris » par ailleurs préconisent l’octroi d’un mandat le plus large possible aux institutions nationales.
Nous sommes fermement convaincus que l’activité de l’INDH dans tous les domaines des droits humains en politique intérieure et étrangère doit être ancrée dans la loi.
Ceci pourrait être concrétisé également par l’ajout d’un alinéa 3 à l’art. 3 tel que proposé ci-dessus :
al. 3 Le champ de travail de l’INDH couvre toutes les questions relatives à la mise en œuvre de l’ensemble des droits de l’homme, en politique intérieure comme en politique étrangère.
Article 5: Représentation pluraliste des forces sociales concernées
Nous saluons l’inclusion du principe organisationnel du pluralisme dans le projet de loi. Il est de même utile que l’expression « forces sociales concernées » soit précisée dans le rapport explicatif[7].
Nous estimons cependant que cette disposition sous sa forme actuelle n’est pas suffisante pour permettre de définir un cadre à la structure organisationnelle de l’INDH. De très nombreuses questions restent ouvertes, que la Confédération devrait régler, dont la procédure d’élection aux organes décisionnels ou la nomination à la direction. D’autres questions relevant du droit de la personne comme, par exemple, la possibilité ou non d’être simultanément membre de la direction de l’INDH et employé par un institut universitaire donné, doivent être réglées en priorité, et non déléguées aux Hautes Ecoles porteuses du projet.
Nous pensons qu’une ordonnance d’application à la LDH constituerait un instrument adéquat pour régler ces questions.
Nous proposons de compléter l’article 5 par un alinéa ayant la teneur suivante :
Art. 5 al. 2 (nouveau) Le cadre organisationnel de l’INDH sera défini par voie d’ordonnance en tenant compte des exigences des principes de Paris.
Le titre de la disposition devrait être adapté en conséquence et pourrait devenir: « Art. 5 Organisation »
Article 8: Indépendance
L’article 8 garantit l’indépendance de l’INDH dans l’exécution de ses tâches, d’une part vis-à-vis de la Confédération et d’autre part vis-à-vis des hautes écoles auxquelles elle est rattachée, ce qui, au premier regard, apparait comme très positif.
À y regarder de plus près, il est un peu paradoxal que l’indépendance de l’INDH vis-à-vis des hautes écoles auxquelles elle est rattachée doive être ainsi fermement rappelée. Ceci est la conséquence directe du conflit potentiel entre le milieu universitaire et la capacité d’agir de manière autonome de l’INDH.
Le rapport explicatif [8] rend attentif au fait que l’indépendance de l’institution « peut, entre autres, être renforcée par l’attribution d’une personnalité juridique propre ». Sont à ce propos envisageables, toujours selon le rapport explicatif, «les formes juridiques de la fondation ou de l’association» [9]. Nous y voyons pour notre part non pas une possibilité, mais une nécessité.
Si l’on part de la prémisse qu’un rattachement universitaire de l’INDH est indispensable, la personnalité juridique propre à l’INDH est une condition indispensable pour que l’indépendance statutaire vis-à-vis des hautes écoles auxquelles elle est rattachée ne reste pas un vœu pieux. Nous insistons donc fermement pour que l’article 8 soit complété en conséquence et clarifie la question de l’indépendance juridique.
Nous proposons l’ajout d’un alinéa 2 à l’article 8 ayant la teneur suivante:
Art. 8 al. 2 (nouveau) L’indépendance est garantie par une personnalité juridique propre à l’institution.
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[1] Annexe de la résolution 48/134 de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies du 20 décembre 1993
[2] Art. 1, al 2 LIDH
[3] Art. 8 LIDH
[4] Art. 3, al. 1, littt. a à f
[5] Rapport explicatif, p. 20
[6] Rapport explicatif, page 20.
[7] Rapport explicatif, page 22
[8] Rapport explicatif, page 23
[9] Rapport explicatif, page 23