L’initiative «Oui à la suppression des redevances radio et télévision (suppression des redevances Billag)», soumise à la population suisse le 4 mars prochain, prévoit que la Confédération ne finance aucune chaîne de radio ou de télévision. L’acceptation de l’initiative pourrait avoir pour conséquence une limitation des options offertes à la population de bénéficier d’une grande variété d’informations et d’idées. Ce qui constituerait une violation du droit à la liberté d'expression et d'opinion, et en particulier une violation de l’obligation de garantir un accès à l’information sans discrimination aux minorités linguistiques et aux personnes vivant avec un handicap.
Garanties d’un libre débat d’idées
Le droit à la liberté d’expression exige des États qu’ils garantissent la libre circulation des informations et des idées de toutes sortes, à la fois pour permettre à chaque individu d’exprimer ses propres idées et opinions, et à la société dans son ensemble de chercher et de recevoir ces informations.
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies souligne que l’existence d’une presse et d’autres moyens d’information libres, sans censure et sans entraves, est essentielle pour garantir la liberté d’opinion et d’expression et l’exercice d’autres droits humains. En particulier, il précise que les États devraient faire en sorte que les services de radio et télédiffusion publics fonctionnent en toute indépendance. Ils devraient leur fournir un financement d’une manière qui ne risque pas de compromettre leur indépendance.
Or, l’interdiction du financement des médias par l’État prévue par l’initiative menacerait l’existence même de certains médias et aurait ainsi des conséquences négatives sur l’exercice de la liberté d'expression et d’un libre débat d’idées en Suisse.
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Protection de la liberté d'expression des minorités linguistiques
Comme le stipule le Comité des droits de l’homme, les États doivent assurer que toutes les personnes aient accès à des médias indépendants et diversifiés pour garantir de façon effective le droit à la liberté d’expression sans discrimination. L’État doit donc veiller tout particulièrement à encourager l’existence des médias de façon à protéger le droit des usagers, y compris des personnes appartenant à des minorités ethniques et linguistiques, de recevoir une grande variété d’informations et d’idées.
La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, à laquelle la Suisse est également partie, requiert spécifiquement des États qu’ils veillent à ce que les personnes appartenant à une minorité nationale ne soient pas discriminées dans leur accès à l’information. En particulier, la convention demande que les États veillent, dans leur législation nationale sur la radio et la télévision, à accorder aux personnes appartenant à des minorités nationales la possibilité de créer et d’utiliser leurs propres médias.
La Constitution fédérale prévoit également des obligations particulières vis-à-vis des minorités linguistiques. L’article 70 stipule que «la Confédération soutient les mesures prises par les cantons des Grisons et du Tessin pour sauvegarder et promouvoir le romanche et l'italien. » En interdisant le financement de tous les médias audiovisuels (aussi bien de la SSR que des chaînes de radio et télévision régionales), l’initiative pourrait avoir pour effet d’entraver la capacité de la Confédération de mener à bien son mandat de protection des droits des minorités ethniques et linguistiques.
Les États doivent combattre toutes les formes de discrimination, y compris lors de situations dans lesquelles une pratique ou une loi apparemment neutre provoque un désavantage disproportionné pour un groupe particulier, sans justification raisonnable. Les régions linguistiques francophones, italophones et romanches, pourraient être particulièrement touchées par la disparition du financement étatique de la SSR ainsi que des radios et télévisions régionales privées. Actuellement, la redevance radio et télévision bénéficie en effet très largement à ces régions : 70% des redevances sont collectées en Suisse alémanique, mais seuls 45% servent à financer les médias alémaniques, le reste étant reversé aux régions minoritaires.
Accès à l’information pour les personnes vivant avec un handicap
La Suisse a également des obligations spécifiques liées à la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui exige que les États garantissent l’accès des personnes handicapées, par exemple les malentendants, aux mass-médias. Sans financement étatique, il ne serait pas sûr que les médias privés puissent ainsi assurer la traduction de leurs programmes en langue des signes.
Mode de financement des médias
La Section suisse d’Amnesty International ne prend position ici que sur l’impact potentiel sur les droits humains que pourrait avoir la mise en œuvre de l’initiative «No Billag» et ne se prononce pas sur la façon dont la Suisse doit ou non régler le mode de financement des médias étatiques ou privés. Cela signifie qu’Amnesty International Suisse ne commente ni la redevance en tant que telle, ni le mode actuel de financement de la SSR et des radios et télévisions régionales, et ne se prononce en particulier pas sur la question de savoir le financement doit être régulé d’une autre façon.
Mais indépendamment de la façon dont chaque État décide de financer les médias, il a une obligation positive de fournir les moyens qui permettent à chaque personne, en toute liberté, de chercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toutes sortes. Cette obligation, selon le Comité des droits de l’homme, est contraignante pour chaque État dans son ensemble, donc y compris pour les cantons et communes.
En raison des risques que l’initiative ferait peser sur la liberté d’expression et le débat d’idées, la Section suisse d’Amnesty International recommande de voter non à l’initiative «No Billag» et appelle les autorités suisses à prendre toutes les mesures appropriées pour garantir que chaque personne en Suisse, y compris les minorités linguistiques et les personnes vivant avec un handicap, aient accès à une information diversifiée et puissent exercer leur droit à la liberté d’expression sans discrimination.
Sources
Comité des droits de l’homme des Nations unies, Observation générale n°34, juillet 2011 : ohchr.org (document word)
Conseil de l’Europe : Convention-cadre pour la protection des minorités nationales : www.admin.ch (pdf)