Des activistes d'Amnesty Suisse demandent une réforme pénale du viol devant le Palais fédéral à Berne, le 21 mai 2019. © AI Suisse
Des activistes d'Amnesty Suisse demandent une réforme pénale du viol devant le Palais fédéral à Berne, le 21 mai 2019. © AI Suisse

Redéfinition pénale du viol Pour protéger l'autodétermination sexuelle

Communiqué de presse publié le 10 mai 2021, Berne. Contact du service de presse
Amnesty International appelle le Parlement et les autorités à moderniser le droit pénal en matière sexuelle qui est dépassé, et à soutenir sans réserve la protection des victimes de violences sexuelles. Dans sa réponse à la consultation sur la réforme du droit pénal en matière sexuelle, l'organisation de défense des droits humains recommande de saisir l'occasion qui se présente et de définir tout rapport sexuel non consenti comme un viol.

Lundi 10 mai se termine la procédure de consultation sur l'avant-projet de Loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle. Amnesty International salue la volonté du Parlement de réformer le code pénal suisse dans le but de sanctionner de manière adéquate les actes sexuels non consentis et de mieux protéger les personnes contre les violences sexuelles. Dans sa prise de position, l'organisation de défense des droits humains soutient expressément le nouvel intitulé «atteintes à la liberté sexuelle», ainsi que l'extension de l'infraction de viol à d'autres formes de pénétration et aux victimes de genre autre que féminin (variante 2, alinéa 1).

Cependant, Amnesty International considère que les deux variantes de définitions du viol (article 190) et de la contrainte sexuelle (article 189) ne sont toujours pas conformes aux normes internationales relatives aux droits humains telles que la Convention d'Istanbul. Celles-ci exigent que la définition du viol soit fondée sur l'absence de consentement, et non sur la coercition ou la contrainte. «La Convention d'Istanbul célèbre déjà ces jours-ci son dixième anniversaire. Il est grand temps que la Suisse mette en œuvre ses dispositions et initie une révision contemporaine du droit pénal sexuel», déclare Cyrielle Huguenot, responsable droits des femmes à Amnesty International Suisse.

Risques liés à une infraction distincte d'«atteintes sexuelles»

Alors que douze pays européens reconnaissent déjà un rapport sexuel non consenti comme un viol, l’avant-projet de loi propose de créer une nouvelle infraction pénale d' «atteinte sexuelle» pour couvrir les actes sexuels commis contre la volonté d'une personne ou par surprise (nouvel article 187a du Code pénal).

En qualifiant les pénétrations vaginales, anales et orales non consenties d' «atteintes sexuelles», cet avant-projet crée une sorte de «faux viol», passible d'une peine nettement plus légère. L'article 187a donne l'impression que les actes sexuels non consentis sans moyen de contrainte sont en soi beaucoup moins graves.

Trop d'importance accordée au comportement de résistance de la victime

Un problème de fond demeure : un agresseur n'est pas obligé d'utiliser la force si la victime ne se défend pas. Indirectement, il dépend donc du comportement de défense de la victime s'il s'agit d'un viol (art. 190) ou d'une atteinte sexuelle (nouvel art. 187a). De plus, le fait que l’infraction d’atteinte sexuelle soit considérée comme un délit et non pas comme un crime comme le viol, et que celui-ci soit puni d’une peine beaucoup plus élevée, suggère de manière erronée que l’injustice fondamentale d’une agression sexuelle réside dans la contrainte.

«Dans de nombreux cas où la victime a subi une pénétration anale, vaginale ou orale contre sa volonté, l'auteur·e n'a pas eu besoin de recourir à la force physique. Une «atteinte sexuelle», punie comme un délit, ne reconnaît pas suffisamment la gravité de l’acte et ses conséquences à long terme pour les victimes, souvent lourdes et parfois tout aussi graves que lorsqu’il y a eu contrainte», explique Cyrielle Huguenot.

Les expériences d'autres pays vont à l’encontre d’un «modèle à deux infractions»

Avec une nouvelle infraction, les cas où le moyen de contrainte n'est pas si manifeste risquent d’être sanctionnés en vertu de l'art. 187a au lieu des art. 190 et 189. Ce risque n’est pas à sous-estimer. Le «modèle à deux infractions» que certains pays européens ont déjà introduit a été critiqué à plusieurs reprises par des organes internationaux de défense des droits humains. Ce «modèle à deux infractions» a déjà été jugé de manière critique dans plusieurs pays européens. En Croatie, par exemple, bon nombre de viols conjugaux ont été traités dans le cadre de l'infraction la moins grave. Dans le nouveau code pénal croate en vigueur depuis janvier 2020, l'infraction de base (rapport sexuel non consenti) est désormais intégrée au viol. Des réformes similaires sont également en cours en Espagne et aux Pays-Bas.

«Non veut dire non» ne protège pas suffisamment l’autodétermination sexuelle

L’utilisation des termes «contre la volonté d’une personne» dans l’avant-projet de loi correspond à une approche «non veut dire non». Avec une telle approche, la loi indiquerait que le «non» exprimé par l’autre personne ne peut être ignoré pendant un acte sexuel. Cela représenterait une occasion manquée pour le législatif d’indiquer clairement qu’il est socialement souhaitable de toujours obtenir le consentement de l’autre personne lors de rapports sexuels.

La formulation «contre la volonté d’une personne», choisie dans l’article 187a, est également problématique du fait qu’elle implique que la victime a un devoir d’au moins opposer une résistance verbale. L’approche «non veut dire non» suggère que les personnes consentent toujours à un rapport sexuel, à moins qu'elles ne fassent une déclaration contraire. Cette approche ne tient pas compte des situations dans lesquelles une victime n’est pas en mesure de résister. C’est notamment le cas lorsqu’une victime se fige (effet de sidération) et n’est ainsi même pas capable d’exprimer verbalement son non-consentement.

Un rapport sexuel non consenti est un viol

«Une approche de type 'oui veut dire oui', en revanche, soulignerait que la sexualité n'est pas un bien qui peut être exploité tant que personne ne s'y oppose, mais que le consentement préalable de l'autre personne est nécessaire», déclare Cyrielle Huguenot : «Le législateur a maintenant l'occasion de concevoir un droit pénal sexuel moderne qui indique sans équivoque que l’injustice fondamentale ne réside pas dans la contrainte ou la violence, mais dans le mépris de l'autodétermination sexuelle.»

Afin de rendre véritablement justice aux victimes de violences sexuelles, Amnesty International appelle le Parlement suisse à corriger le projet de loi et à considérer toutes les formes de rapports sexuels non consentis comme des viols. Les infractions pénales des article 189 (contrainte sexuelle) et.190 (viol) devraient être modifiées en conséquence.