© Services du Parlement
© Services du Parlement

Les droits humains au parlement Session d'hiver 2019 (02.12. - 20.12)

La responsabilité des entreprises transnationales sera à nouveau à l'ordre du jour de cette dernière session de la législature. Il y sera également question de service civil, de violences sexuelles et d'interdiction de se couvrir le visage. Autant de sujets sur lesquels Amnesty se positionne.

Éditorial

À l’ouverture de la première session de cette nouvelle législature, il nous parait utile de rappeler que les droits humains ne sont pas un « produit de luxe » réservé aux périodes de beau temps et que l’on peut allégrement supprimer quand survient une crise.

Nos droits fondamentaux sont garantis par notre Constitution fédérale, qui prévoit aussi que la Confédération contribue à promouvoir le respect des droits humains dans ses relations avec l’étranger. Les droits humains sont donc l’un des piliers de notre démocratie et doivent guider toutes les décisions des parlementaires.

Les parlementaires, c’est-à-dire vous ! Vous qui avez un rôle essentiel à jouer dans la mise en œuvre effective des normes internationales en matière de droits humains à l’échelon national. Comme le dit le Conseil de l’Europe : « les parlements nationaux sont les garants des droits de l’homme sur notre continent ».

 ce titre, vous accomplissez une mission de protection des droits fondamentaux, en légiférant, en participant à la ratification de conventions internationales, en demandant des comptes à l’exécutif, en établissant des relations avec la société civile et en favorisant la création d’une culture des droits humains omniprésente.

Une nouvelle législature commence, qui doit aborder des objets importants comme les nouvelles mesures de lutte contre le terrorisme ou l’initiative populaire interdisant de se dissimuler le visage. Ce nouveau bulletin d’information les identifie pour vous et vous aide à en comprendre les enjeux en matière de droits humains.


CONSEIL DES ÉTATS

18.071 et 19.032 Législation anti-terrorisme

19.028 Cour pénale internationale, Amendement du Statut de Rome

19.3991 Loi sur les prestations de sécurité privée

16.077 Droit de la société anonyme, contreprojet à l’initiative multinationales responsables

CONSEIL NATIONAL

19.023 Initiative populaire « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage » et contreprojet indirect.

19.020 Loi sur le Service civil


 CONSEIL DES ÉTATS :

Lois anti Terrorisme, 18.071 et 19.032 (9 décembre)

Les projets de loi présentés par le Conseil fédéral pour prévenir et combattre le terrorisme prévoient des atteintes importantes aux droits fondamentaux et aux droits humains. La plate-forme des ONG suisses pour les droits humains appelle le Parlement à renoncer complètement à prendre des mesures de police préventives et à supprimer les propositions qui posent problème du point de vue du droit pénal.

La Plate-forme des ONG suisses pour les droits humains, qui regroupe plus de 80 organisations non gouvernementales, s’oppose fermement à deux projets de loi qui vont pour la première fois être discutées au Conseil des États.

Loi sur les mesures policières: des spéculations à la base des mesures de lutte

La nouvelle loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) vise à fournir à la police davantage de mesures contre les personnes potentiellement dangereuses, en dehors de la procédure pénale, c'est-à-dire dans le domaine de la prévention. Pour ordonner ces mesures, les autorités n'ont besoin que de certains indices indiquant une possible future activité terroriste. En fin de compte, de simples présomptions et des spéculations sur les intentions et les actions futures des individus pourront constituer la base des mesures policières.

La police disposera d'un large éventail de mesures préventives contre les personnes potentiellement dangereuses (terroristes présumés). L'instrument de loin le plus radical pour réduire le danger est l’assignation à une propriété, ou assignation à résidence. Cette privation de liberté à titre préventif, visant à minimiser de manière générale le danger, n'est pas compatible avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Une majorité de la Commission de politique de sécurité du Conseil des Etats veut même élargir le champ d'action de la police fédérale afin que les mesures puissent être indéfiniment prolongées.

Les limites d'âge fixées dans le projet de loi sont également particulièrement choquantes. L’assignation préventive à résidence pourrait déjà être utilisée dès l’âge de 16 ans, l’interdiction de contact et l’interdiction de périmètre pourraient être prononcées à l’encontre d’enfants de 13 ans.

La plateforme des ONG demande au Parlement de renvoyer le projet de loi sur les mesures de police au Conseil fédéral. À défaut le Parlement devrait au moins retirer la disposition sur l’assignation à domicile et renoncer à appliquer les mesures policières aux enfants et aux adolescents. (Voir la prise de position complète pour les détails)

Droit pénal: une définition évasive et lourde de conséquences

La stratégie antiterroriste du Conseil fédéral comprend également un projet intitulé « Terrorisme et crime organisé », qui prévoit un durcissement du droit pénal et de dix autres lois.Il est particulièrement problématique que, pour la première fois, le Code pénal réprime la participation à une « organisation terroriste » sans établir une liste des groupements interdits. Alors qu'auparavant le législateur avait, dans un souci de clarté, dressé une liste des organisations terroristes interdites, il introduit désormais dans le droit pénal une définition évasive des « organisations terroristes », dont l’interprétation par les tribunaux pourra entraîner de l’arbitraire et des abus.

De fait, les tribunaux cantonaux décideront à leur discrétion si une organisation –- et le soutien qui lui est apporté – doit être qualifiée de terroriste ou non. Le PKK kurde, par exemple, pourrait être interdit dans certains cantons et pas dans d'autres. Ce projet de loi est donc source d'arbitraire et d'une grande insécurité juridique. Les modifications prévues affaiblissent la protection juridique individuelle et comportent des dispositions inutiles et disproportionnées. »

Amnesty demande au Parlement de rejeter plusieurs dispositions du projet « terrorisme et crime organisé » ou au minimum de les adapter de manière à ce qu’elles respectent les droits fondamentaux et les droits humains (voir la prise de position pour les détails).

La protection des valeurs libérales ne peut être réalisée par des moyens qui sapent les principes d'un système démocratique et constitutionnel. Une stratégie durable de lutte contre le terrorisme ne doit pas reposer sur des mesures contraires aux droits humains et sur des atteintes systématiques aux droits fondamentaux. Elle doit au contraire être basée sur le respect des droits de toutes et de tous en Suisse, sur des mesures d'intégration dans les domaines éducatif et social et sur la promotion de la participation politique.

 

19.028 Cour pénale internationale (10 décembre)

Sur demande du Conseil fédéral, le Parlement est appelé à autoriser la ratification d’un amendement important au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Selon celui-ci, la Cour pourrait sanctionner l’utilisation des armes biologiques, des armes à laser aveuglantes et des armes blessant par des éclats non localisables aux rayons X. L’utilisation de ces trois types d’armes est déjà interdite par le droit suisse et il paraitrait pour le moins incohérent que notre pays refuse de donner compétence à la CPI de juger les situations dans lesquelles l’usage de ces armes serait avéré.

En ratifiant ces amendements, la Suisse contribuerait à prévenir les crimes de guerre et à mieux protéger les civils tout comme les personnes participant aux hostilités. La Suisse enverrait en outre un signal fort pour que l'utilisation des armes susmentionnées soit punissable et sanctionnée en tant que crime de guerre au-delà de ses frontières également.

Amnesty recommande au Conseil des États de suivre le Conseil national et d’approuver cette ratification

 

19.3991 Loi sur les prestations de sécurité privée (10 décembre)

En juin dernier, le DFAE, en se basant sur la loi fédérale sur les prestations de sécurité privées fournies à l'étranger (LPSP), a justement frappé d’interdiction les activités menées en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis par la société Pilatus Flugzeugwerke AG. Le DFAE a estimé que les prestations de soutien fournies par Pilatus, qui comportent notamment l’assistance technique, la gestion des pièces de rechange ainsi que la résolution de problèmes rencontrés avec l’avion Pilatus PC-21 et des simulateurs constitue de fait un appui logistique aux forces armées, et est soumis à la LPSP.

Au vu des graves violations du droit international humanitaire, notamment des bombardements réguliers par les forces aériennes de la coalition menée par l’Arabie Saoudite sur des zones d’habitation civiles, le DFAE a estimé que fournir des prestations de soutien aux forces de la coalition n’était pas « compatible avec les objectifs de politique étrangère que s’est fixés la Confédération ».

Selon Amnesty International, la livraison de biens à double usage, tels que les avions d’entrainement et simulateurs de vol exportés quelques années auparavant en Arabie Saoudite étaient déjà contestables à cette époque. La situation sur le terrain s’est largement dégradée depuis lors et nous ne voyons aucune incompatibilité entre les autorisations d’exportation accordées à l’époque et l’interdiction de service après-vente qui prévaut depuis l’été 2019.

Au moment ou plusieurs États dont l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège et d’autres bloquent toute exportation de matériel sensible vers les pays membre de la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen, la Suisse pays garant des Conventions de Genève doit suivre leur exemple.

Cette motion, dont l’objectif avoué est de préserver les intérêts économiques de la firme Pilatus au détriment du respect des droits humains et du droit international humanitaire est donc à rejeter fermement.

 

16.077 Loi sur la société anonyme (Contre-projet à l’initiative « Multinationales responsables » (18 décembre)

Le 22 novembre la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a décidé de s’en tenir au contre-projet indirect à l’Initiative « Multinationales responsables » validé par le Conseil national en septembre dernier. La coalition qui soutient l’Initiative – dont fait partie Amnesty International – recommande au Conseil des États de suivre les recommandations de sa commission. Malgré de nombreux assouplissements, le contre-projet amènerait les multinationales à respecter les droits humains et les normes environnementales, et à rendre des comptes en cas de graves violations.

Étant donné que cette solution juridique entrerait en vigueur plus tôt que la mise en œuvre de l'initiative pour les multinationales responsables et déploierait donc ses effets en faveur des personnes concernées plus rapidement, le Comité d'initiative est prêt à accepter cette contre-proposition. Concrètement, l'initiative serait retirée si le contre-projet était finalement adopté soit dans la version validée le 3 septembre 2019 (et confirmée le 21 novembre) par la Commission des affaires juridiques du Conseil des États soit dans celle votée au Conseil national le 14 juin 2018.

Après presque deux ans et 20 réunions de commission, une solution semble être sur la table, qui pourrait constituer un compromis acceptable pour les deux chambres du Parlement, une partie de l’économie et les partisans de l’initiative.

Les initiant·e·s poursuivront bien entendu la mobilisation intensive en vue d'une éventuelle campagne tant que l'Assemblée fédérale n'aura pas pris de décision finale. La coalition soutenant l'initiative attend avec impatience la campagne de votation avec la certitude qu'elle continuera à bénéficier d'un large soutien populaire (75 % d'approbation en août 2019) et étant donné qu'elle a, à plusieurs reprises, tendu la main en vue d’un compromis au Parlement.

Plus d’informations sur l’initiative

 

CONSEIL NATIONAL :

19.023 Interdiction de se voiler le visage (Initiative populaire) (12 décembre)

Dans sa prise de position de septembre 2018 relative au contre-projet indirect à l’initiative dite « anti Burqa, Amnesty International saluait la décision du Conseil fédéral de rejeter l’initiative mais estimait simultanément que le contre-projet indirect n’était pas nécessaire. Cette position n’a pas changé.

L’interdiction de se dissimuler le visage vise en effet essentiellement les femmes musulmanes vêtues d’un voile intégral (désigné comme burqa/burka ou niqab). Or le port du voile intégral ne concerne qu’un petit nombre de femmes en Suisse et, comme cela avait déjà été le cas avec l’initiative contre les minarets, les auteurs de l’initiative créent un problème là où il n’y en a pas. Il s’agit au contraire, comme AI le soulignait déjà en 2016 lors du dépôt de l’initiative, d’une tentative de s’attaquer à des symboles pour continuer à répandre une rhétorique discriminatoire.

Amnesty recommande le rejet de l’initiative et du contre-projet.

La prise de position complète de septembre 2018.

 

 19.020 Loi sur le service civil (18 décembre)

Amnesty International, au nom du respect de la liberté de conscience et de l’égalité de traitement, recommande par défaut un libre choix entre le service militaire et le service civil, la durée de ce dernier ne devant pas dépasser 1,5 fois celle du service dans l’armée.

Sur la base de cette position de principe Amnesty voit d’un mauvais œil les réformes proposées qui toutes visent à avoir un effet dissuasif sur toutes les personnes désireuses d’effectuer un service civil. Le Conseil fédéral lui-même le confirme en mentionnant dans son rapport: « Dans la loi sur le service civil, il s'agit de mesures pour réduire substantiellement le nombre d'admissions au service civil ». En essayant de dissuader, par le biais de différentes mesures, ceux qui aimeraient effectuer un service civil, l'Etat porte atteinte à leur liberté de conscience et à leur liberté de culte.

Amnesty International rejette en particulier la modification de l’art 8 al. 1 selon lequel plus les personnes astreintes à servir présentent tard leur demande d’admission au service civil, plus cette mesure les met en difficulté.

Cette disposition pénalise tous ceux qui veulent donner une chance à l’armée et sont prêts à essayer le service militaire. Si un conflit de conscience survient par la suite, ils seront pénalisés de manière disproportionnée. Le minimum de 150 jours de service rend absurde le système de la preuve par l’acte. Une personne qui présente une demande d’admission au service civil au lieu de faire son dernier cours de répétition devra multiplier par plus de sept son nombre de jours de service à réaliser. Ceci revêt un caractère clairement punitif auquel Amnesty International ne saurait souscrire.

Amnesty International, au vu de ce qui précède, invite le Conseil national à se prononcer contre le projet de loi et pour le moins à rejeter son art. 8 al. 1