Les droits humains au parlement Session de printemps 2019 (04.3 - 22.3)

Lors de cette session, des décisions fondamentales pourraient tomber en lien avec la responsabilité des entreprises transnationales, avec le contrôle des exportations sur le matériel de guerre, le renvoi des djihadistes ou encore le retour des requérants d’asile érythréens dans leur pays.

Lors de la prochaine session, des décisions fondamentales pourraient tomber en lien avec la responsabilité des entreprises transnationales. La chambre haute décidera de valider ou pas un contre-projet indirect du Conseil national qui pourrait entraîner le retrait de l'initiative « Multinationales responsables ». Le Conseil des Etats a la possibilité de se prononcer en faveur de la voie largement soutenue par le Conseil national à savoir d’introduire rapidement des améliorations dans la loi pour que les entreprises soient tenues de respecter les normes environnementales et les droits de l'homme à l’étranger également. Il peut malheureusement aussi vider le contre-projet de son sens en validant son affaiblissement tel que proposé à une petite majorité par la CAJ-E.

Les récentes polémiques liées à la découverte de grenades offensives de fabrication suisse au cœur du conflit yéménite remettent la question des exportations d’armes au cœur des débats de la session de printemps. Au-delà du cas précis, c’est la question de la cohérence de la politique extérieure de la Suisse qui est à nouveau mise à mal. En exportant du matériel de guerre, la Suisse nourrit des conflits dans lesquels sont bafoués aussi bien le droit international humanitaire que les droits humains, tout en se faisant le chantre de l’aide humanitaire. Les sénateurs et sénatrices feront bien de s’en souvenir lorsqu’ils et elles discuteront, le 11 mars, d’une motion demandant d’élargir la base démocratique des exportations d’armes. Quoi que pense le Président de la Confédération de nos relations avec l’Arabie saoudite, Amnesty International demande un arrêt complet des exportations d’armes vers tous les pays impliqués dans le conflit yéménite ; l’acceptation de la motion 18.3394 donnerait au Parlement la compétence de prendre cette décision. La balle – c’est le cas de le dire – est dans le camp du Conseil des États.


Conseil des États

16.077. Révision du droit de la société anonyme, contreprojet à l’initiative populaire "Entreprises responsables - pour protéger l’être humain et l’environnement". (17.060)

Motions 18.3394 : Élargir la base démocratique des exportations d'armes et 18.4084 : Exportations d'armes. Renforcer les contrôles

16.3864 Soumettre à autorisation la participation d'orateurs étrangers à des manifestations de nature politique

16.3982 Expulsion des terroristes vers leur pays d'origine, qu'il soit sûr ou non

Conseil National

18.3409 Mener une politique équitable envers les demandeurs d'asile érythréens

17.486 Mettre fin à la détention administrative de mineurs, dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant

 


CONSEIL DES ÉTATS


 

16.077. Révision du droit de la société anonyme, contreprojet à l’initiative populaire "Entreprises responsables - pour protéger l’être humain et l’environnement". (17.060)

Lors de la session d'été 2018, le Conseil national a adopté, à une nette majorité, un contre-projet indirect à l'initiative populaire Entreprises responsables - pour protéger l’être humain et l’environnement. La balle est maintenant dans le camp du Conseil des Etats, qui doit décider s'il soutient ce large compromis et permet ainsi un retrait de l'initiative. Une "clause de subsidiarité" proposée à une courte majorité par la Commission des affaires juridiques et qui aurait pour effet d’annuler de facto la responsabilité des entreprises, est rejeté par les initiant·e·s.

L’initiative Entreprises responsables (Kovi) exige que les entreprises basées en Suisse respectent les droits humains et les normes environnementales à l'étranger également. Amnesty International fait partie d'une coalition de 110 organisations de la société civile qui la soutiennent. Il y a aussi un comité de soutien des milieux économiques composé de plus de 100 entrepreneurs et des cercles religieux.

Le contre-projet indirect adopté par le Conseil national reprend les exigences importantes de l'initiative, en particulier l'obligation de diligence raisonnable. D’un autre côté, le contreprojet affaiblit l'initiative dans plusieurs domaines. Selon lui, les règles contraignantes ne s'appliqueraient plus qu'aux très grandes entreprises, et les dispositions en matière de responsabilité seraient très limitées. La responsabilité des entreprises étrangères placées sous contrôle économique de multinationales basées en Suisse est explicitement exclue (une exigence centrale des associations professionnelles).

Une contre-projet à la loi peut être mis en œuvre plus rapidement qu'une initiative populaire et apporter des améliorations concrètes sur le terrain. Le comité d'initiative a donc annoncé qu'il retirera son initiative si la contre-proposition adoptée par le Conseil national n’est pas affaiblie par le Conseil des Etats.

Cependant, à une courte majorité, la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats propose maintenant une dilution claire en introduisant une clause de subsidiarité. Cela aurait pour effet de rendre la responsabilité quasiment nulle, puisque ce n’est qu’après avoir démontré qu’il est juridiquement impossible d'intenter une action contre une filiale étrangère qu’il serait possible aux parties lésées de tenir le groupe responsable en Suisse. Il en résulterait des procédures longues et hasardeuses augmentant de manière importante le risque de prescription.

Il ne sert à rien d’édicter des règles sanctionnant les violations des droits humains par les entreprises si leur non-respect reste sans effets. La proposition de la Commission du Conseil des Etats débouche sur un tigre de papier et si le plénum ne corrige pas le tir, le peuple sera appelé à voter sur l’initiative.

Une minorité de la Commission demande également de limiter la diligence raisonnable aux fournisseurs et de ne plus l’appliquer aux relations commerciales avec des tiers, comme l'exigent pourtant toutes les normes internationales en vigueur comme les principes directeurs de l'OCDE ou des Nations unies. Une autre minorité veut abolir complètement la notion de responsabilité. Cela aurait pour effet de vider le projet de loi de son sens, et ne permettrait pas d’atteindre l'objectif d'un meilleur respect des droits humains et des normes environnementales dans le cadre des activités des entreprises à l'étranger.

Le Conseil des Etats peut préserver les chances de retrait de l'initiative en s'opposant à un affaiblissement de la proposition du Conseil national (pas d'introduction d'une clause de subsidiarité, maintien de la diligence raisonnable pour toute la chaîne de production et d'approvisionnement et maintien de la responsabilité) et en acceptant la contre-proposition.

Amnesty International recommande d’accepter, dans le projet 2 de l’objet 16.077 :

  • La proposition de la minorité de renoncer à une règle de subsidiarité ;
  • La proposition de la majorité de maintenir une obligation de diligence raisonnable pour les relations commerciales avec des tiers,
  • La proposition de la majorité de maintenir le principe de la responsabilité ;
  • La contre-proposition dans le vote global.

Enfin Amnesty International recommande naturellement d’accepter l’initiative populaire pour des multinationales responsables

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Motions 18.3394 : Élargir la base démocratique des exportations d'armes et 18.4084 : Exportations d'armes. Renforcer les contrôles

Amnesty International soutient ces deux motions qui, en cas d’acceptation, devraient permettre un meilleur contrôle à long terme sur les exportations de matériel de guerre. La nécessité d’un élargissement de la base démocratique sur le contrôle des exportations a été largement démontrée aussi bien dans les faits – armes offensives suisses découvertes en Libye, en Syrie et encore récemment au Yémen –, que par l’étude publiée l’été dernier part le Contrôle fédéral des finances. La Suisse, berceau du droit international humanitaire ne peut se permettre de voir sa tradition humanitaire et sa neutralité ternies par des scandales à répétition.

Amnesty international soutient par ailleurs l’initiative populaire dite « de rectification » qui poursuit les mêmes buts que ces deux motions. Le Conseil des Etats en acceptant la motion du PBD (18.3394) rendrait cette initiative sans objet. Nous l’invitons donc à accepter ces deux motions.

 

16.3864 Soumettre à autorisation la participation d'orateurs étrangers à des manifestations de nature politique

La motion propose de soumettre à autorisation la prise de parole publique de personnes non –résidentes en Suisse, comme cela à été le cas entre 1948 et 1998. Amnesty International estime que cette mesure restreindrait de manière disproportionnée la liberté d’expression et serait, à l’heure d’internet, totalement inutile. Elle a d’ailleurs été considérée, lors de sa suppression en 1998, comme contraire à la Constitution.

L’acceptation de la motion prétériterait par ailleurs le nombre d’organisations de la société civile qui font fréquemment appel à des orateurs étrangers dans leurs manifestations. A titre d’exemple, Amnesty International aurait dû demander une autorisation pour que la directrice de sa Section turque puisse s’exprimer publiquement lors de sa dernière Conférence annuelle.

 

Amnesty International recommande le rejet de cette motion

16.3982 Expulsion des terroristes vers leur pays d'origine, qu'il soit sûr ou non

Cette motion remet purement et simplement en question le principe de non-refoulement, inclus dans plusieurs conventions internationales contraignantes ratifiées par la Suisse.

Pour rappel, le principe de non-refoulement fait partie du droit international impératif, de ce que l’on appelle « ius cogens » il s’agit donc – comme le précise l’art. 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 – d’une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise.

Même le pire des terroristes est ainsi protégé contre la torture, et le droit suisse ne saurait déroger à ce principe.

Amnesty recommande donc de rejeter clairement cette motion.

 


CONSEIL NATIONAL


18.3409 Mener une politique équitable envers les demandeurs d'asile érythréens

L’objectif de cette motion, malgré son titre plutôt rassembleur, reste peu clair. Elle demande la mise en place d’une politique équitable, mais préconises des mesures (lever autant d'admissions provisoires que possible, renforcer immédiatement la présence diplomatique de la Suisse en Erythrée pour assurer l'exécution des renvois) qui vont uniquement dans le sens d’un durcissement de la politique d’asile envers les Erytréen·ne·s.

Amnesty International recommande le rejet de cette motion et ce pour les motifs suivants :

  • Malgré le rapprochement entre l’Ethiopie et l’Erythrée, la situation des droits humains dans ce pays ne montre toujours pas de signes concrets d'amélioration. Au contraire, les manifestations ont de nouveau été réprimées ces derniers mois et des arrestations massives ont eu lieu.
  • Lors des délibérations du Conseil des droits de l'homme à Genève en mars 2018, la délégation suisse s'est déclarée préoccupée par la situation des droits humains en Erythrée. Elle a notamment critiqué l’impossibilité d’accéder librement dans ce pays, ce qui constitue une barrière importante à l’obtention d’informations fiables sur la situation en matière de droits humains.
  • Le dernier rapport du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur l'Erythrée, publié en juin 2018, continue à dénoncer de graves violations des droits humains dans le cadre du service national illimité et l’usage largement répandu de la torture dans les prisons.
  • Dans une décision de décembre 2018, le Comité des Nations Unies contre la torture a critiqué le Tribunal administratif fédéral, qui avait rejeté le recours d'un demandeur d'asile érythréen comme manifestement infondé et l'avait réglé en procédure sommaire, en violation de la Convention contre la torture.
  • Même le Tribunal administratif fédéral a reconnu dans ses récentes décisions que les droits humains sont toujours violés en Erythrée, et qu'il n'est pas possible d'examiner la situation sur le terrain. En outre, il a expressément qualifié le « service national » de travail forcé, interdit au sens de l'article 4 de la CEDH. Ceci ne l’a pas empêché de rendre des jugements selon lesquels un retour est licite et raisonnable - même s’il était vraisemblable de croire que la personne concernée serait appelée au « service national » à son retour.

Amnesty International demande toujours à ce que chaque dossier bénéficie d’une évaluation individuelle attentive qui garantisse si nécessaire l’octroi d’une protection adéquate.

En outre, aussi longtemps que la situation des droits humains ne se sera pas significativement et durablement améliorée, la levée des admissions provisoires ne nous paraît pas exigible.

Enfin, tant qu’un accord n’aura pas été conclu avec les autorités érythréennes concernant le renvoi forcé de ses ressortissant·e·s, la levée de l’admission provisoire ne signifierait que pousser des centaines de personnes dans la précarité de l'aide d'urgence et les exclure du marché du travail, ce qui ne pourrait que renforcer la réputation des Erythréens « de ne s'intégrer qu'avec peine et de solliciter davantage l'aide sociale », dénoncée par la motion.

17.486 Mettre fin à la détention administrative de mineurs, dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant

La détention administrative de mineurs est contraire à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant à laquelle la Suisse est partie. Plusieurs instances onusiennes – Comité des droits de l’enfant, Comité des droits de l’homme, Haut-Commissariat pour les réfugiés – ont déjà demandé à ce qu’e cette pratique soit totalement abolie.

En Suisse neuf cantons y ont renoncé et ont trouvé des solutions alternatives telles que le placement familial. Il est temps que la pratique soit harmonisée au niveau fédéral et que la Suisse se mette en conformité avec ses obligations internationales.

Amnesty International soutient donc la proposition de modifier en ce sens la loi sur les étrangers.