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Les droits humains au parlement Session de printemps 2020 (02.03 – 20.03)

Berne, février 2020
Editorial

La solidarité n’est pas un crime et pourtant, dans la Suisse d’aujourd’hui la loi ne sanctionne pas que les passeurs criminels mais également celles et ceux qui, par compassion, apportent leur aide à des personnes dans la précarité et dépourvues de statut légal en leur fournissant le gite ou le couvert.

Pendant la session d’hiver, Amnesty International et Solidarité sans frontières ont déposé une pétition munie de près de 30'000 signatures et soutenue par plus de 200 avocate.s. Elle demande une adaptation de la Loi sur les étrangers et l’intégration qui permette d’exempter de toute peine les personnes qui fournissent de l’aide à des personnes en situation illégale, lorsqu’elles le font pour des motifs honorables. C’est également ce que réclame l’initiative parlementaire déposée par la Conseillère aux États Lisa Mazzone et qui sera discutée au Conseil national lors de la prochaine session.

Après de nombreux aller et retours une décision définitive devrait enfin tomber sur un contre-projet à l’initiative sur les multinationales responsables. Cette décision déterminera si l’initiative devra être soumise au vote populaire à l’automne prochain ou si, au contraire elle sera retirée.

D’autres objets importants sont à l’ordre du jour qui comportent une composante «droits humains» comme la législation anti-terroriste.

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Initiative parlementaire 18.461 : Article 116 LEI : « En finir avec le délit de solidarité »

Loi sur les prestations de sécurité privée 19.3991 et 19.4376

Lois anti Terrorisme, 18.071 et 19.032

Loi sur la société anonyme (16.077) et Initiative populaire Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement (17.060

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CONSEIL NATIONAL

 

 Initiative parlementaire 18.461 : Article 116 LEI : « En finir avec le délit de solidarité »

En 2018, 972 personnes ont été condamnées pour violation de l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI). Pourtant, seuls 32 cas concernaient réellement des passeurs ou des personnes tirant profit de cette activité. Les condamnations ont été prononcées, dans leur immense majorité, à l’encontre de personnes agissant par solidarité ou du moins sans en tirer d’avantages financiers. L’article 116 de la LEI portant sur «l’incitation à l’entrée, à la sortie ou au séjour illégaux», ne prévoit pas d’exemption de peine – même si l’aide se fait pour des motifs honorables. Une réduction de peine à une amende est prévue seulement dans «les cas de peu de gravité».

Avec sa législation rigide, la Suisse est de plus en plus un cas particulier. De nombreux autres pays européens, dont nos quatre voisins directs, prévoient une exemption de peine en cas de motif humanitaire en ce qui concerne l’aide au séjour illégal.

La Suisse doit respecter les principes de liberté et de fraternité, au lieu de criminaliser des individus prêtant assistance et Amnesty International demande au Conseil national de soutenir l’initiative parlementaire de Lisa Mazzone. Dans ce contexte, Amnesty International organise une réunion pendant la session pour vous présenter son nouveau rapport traitant de la criminalisation de la solidarité en Europe et en Suisse.

Loi sur les prestations de sécurité privée 19.3991 et 19.4376

En juin dernier, le DFAE, en se basant sur la loi fédérale sur les prestations de sécurité privées fournies à l'étranger (LPSP), a justement frappé d’interdiction les activités menées en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis par la société Pilatus Flugzeugwerke AG. Le DFAE a estimé que les prestations de soutien fournies par Pilatus et qui comportent notamment l’assistance technique, la gestion des pièces de rechange ainsi que la résolution de problèmes rencontrés avec l’avion Pilatus PC-21 et des simulateurs constitue de fait un appui logistique aux forces armées et est soumis à la LPSP.

Au vu des graves violations du droit international humanitaire – bombardements réguliers par l’aviation saoudienne de zones d’habitation civiles –, et des droits humains, le DFAE a estimé que fournir des prestations de soutien aux forces armées saoudiennes n’était pas « compatible avec les objectifs de politique étrangère que s’est fixé la Confédération ».

Selon Amnesty International, la livraison de biens à double usage, tels que les avions d’entrainement et simulateurs de vol exportés quelques années auparavant en Arabie Saoudite étaient déjà contestables à cette époque. La situation sur le terrain s’est largement dégradée depuis lors et nous ne voyons aucune incompatibilité entre les autorisations d’exportation accordées à l’époque et l’interdiction de service après-vente qui prévaut depuis l’été 2019.

Au moment où plusieurs Etats dont l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège et d’autres bloquent toute exportation de matériel sensible vers les pays membres de la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen, la Suisse, pays garant des Conventions de Genève, doit suivre leur exemple.

Ces motions, dont l’objectif avoué est de préserver les intérêts économiques de la Suisse au détriment du respect des droits humains et du droit international humanitaire est donc à rejeter fermement.

CONSEIL DES ÉTATS :

 

Lois anti Terrorisme, 18.071 et 19.032

Les projets de loi présentés par le Conseil fédéral pour prévenir et combattre le terrorisme prévoient des atteintes importantes aux droits fondamentaux et aux droits humains. La plate-forme des ONG suisses pour les droits humains appelle le Parlement à renoncer complètement à prendre des mesures de police préventives et à supprimer les propositions qui posent un problème du point de vue du droit pénal.

La Plate-forme des ONG suisses pour les droits humains, qui regroupe plus de 80 organisations non gouvernementales, s’oppose fermement à deux projets de loi qui vont pour la première fois être discutés au Conseil des États.

Loi sur les mesures policières: des spéculations à la base des mesures de lutte

La nouvelle loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) vise à fournir à la police davantage de mesures contre les personnes potentiellement dangereuses, en dehors de la procédure pénale, c'est-à-dire dans le domaine de la prévention. Pour ordonner ces mesures, les autorités n'ont besoin que de certains indices indiquant une possible future activité terroriste. En fin de compte, de simples présomptions et des spéculations sur les intentions et les actions futures des individus pourront constituer la base des mesures policières.

La police disposera d'un large éventail de mesures préventives contre les personnes potentiellement dangereuses (terroristes présumés). L'instrument de loin le plus radical pour réduire le danger est l’assignation à une propriété, ou assignation à résidence. Cette privation de liberté à titre préventif, visant à minimiser de manière générale le danger, n'est pas compatible avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Une majorité de la Commission de politique de sécurité du Conseil des Etats veut même élargir le champ d'action de la police fédérale afin que les mesures puissent être indéfiniment prolongées.

Les limites d'âge fixées dans le projet de loi sont également particulièrement choquantes. L’assignation préventive à résidence pourrait déjà être utilisée dès l’âge de 15 ans, l’interdiction de contact et l’interdiction de périmètre pourraient être prononcées à l’encontre d’enfants de 12 ans.

La plateforme des ONG demande au Parlement de renvoyer le projet de loi sur les mesures de police au Conseil fédéral. À défaut, le Parlement devrait au moins retirer la disposition sur l’assignation à domicile et renoncer à appliquer les mesures policières aux enfants et aux adolescents. (Voir la prise de position complète pour les détails).

Droit pénal: une définition évasive et lourde de conséquences

La stratégie antiterroriste du Conseil fédéral comprend également un projet intitulé « Terrorisme et crime organisé », qui prévoit un durcissement du droit pénal et de dix autres lois. Il est particulièrement problématique que, pour la première fois, le Code pénal réprime la participation à une « organisation terroriste » sans établir une liste des groupements interdits. Alors qu'auparavant le législateur avait, dans un souci de clarté, dressé une liste des organisations terroristes interdites, il introduit désormais dans le droit pénal une définition évasive des « organisations terroristes », dont l’interprétation par les tribunaux pourra entraîner de l’arbitraire et des abus.

De fait, les tribunaux cantonaux décideront à leur discrétion si une organisation – et le soutien qui lui est apporté – doit être qualifiée de terroriste ou non. Le PKK kurde, par exemple, pourrait être interdit dans certains cantons et pas dans d'autres. Ce projet de loi est donc source d'arbitraire et d'une grande insécurité juridique. Les modifications prévues affaiblissent la protection juridique individuelle et comportent des dispositions inutiles et disproportionnées. »

Amnesty demande au Parlement de rejeter plusieurs dispositions du projet « terrorisme et crime organisé » ou au minimum de les adapter de manière à ce qu’elles respectent les droits fondamentaux et les droits humains (voir la prise de position pour les détails).

La protection des valeurs libérales ne peut être réalisée par des moyens qui sapent les principes d'un système démocratique et constitutionnel. Une stratégie durable de lutte contre le terrorisme ne doit pas reposer sur des mesures contraires aux droits humains et sur des atteintes systématiques aux droits fondamentaux. Elle doit au contraire être basée sur le respect des droits de toutes et de tous en Suisse, sur des mesures d'intégration dans les domaines éducatif et social et sur la promotion de la participation politique.

DANS LES DEUX CHAMBRES

 

 Loi sur la société anonyme (16.077) et Initiative populaire Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement (17.060).

Amnesty International et le Comité d’initiative recommandent de soutenir l’initiative ainsi que le contre-projet élaboré par la CAJ-N. Si celui-ci devait être retenu par les chambres, le Comité d’initiative s’est engagé à retirer cette dernière. Nous rejetons par contre fermement le contre-projet élaboré par le Conseil des États en novembre 2019.

En ce qui concerne l’initiative :

  • Amnesty International soutient l’initiative et recommande donc de l’accepter. Elle recommande d’accepter la proposition de la minorité 1 (Arslan) et d’inviter ainsi le peuple et les cantons à accepter l’initiative.
  • Nous rejetons la proposition de la minorité II (Flach) « Arrêté fédéral concernant une «autorégulation assortie de la menace de mesures étatiques en cas de respect insuffisant des règles auto-décidées» (contre-projet à l'initiative populaire «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement»).

En ce qui concerne le contre-projet inclus dans la loi sur les sociétés anonymes

Nous recommandons d’accepter le contre-projet dans la version adoptée par la majorité de la CAJ-N et le rejet de la proposition de la minorité I (Bregy)

  • Si la majorité de la CAJ-N l’emporte, nous recommandons le rejet de la minorité II (Schwander)
  • Si la minorité I (Bregy) l’emporte nous recommandons l’acceptation de la minorité II (Schwander).

 En ce qui concerne toutes les variantes proposées dans les deux chambres :

  • Pour le contre-projet selon la version du Conseil National
  • Contre le contre-projet du 18 décembre 2019 du Conseil des États
  • Soutien à l’initiative populaire

Argumentation:

Une nette majorité de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) propose par 14 voix contre 5 de s'en tenir au concept basé sur le projet initial du Conseil national et d'adopter les propositions élaborées par la CAJ-E le 21 novembre 2019 . Ainsi, chaque plainte devrait obligatoirement être précédée d'une procédure d'arbitrage spéciale, qui servirait de filtre contre les plaintes non fondées et permettrait de résoudre les conflits par le dialogue chaque fois que cela est possible.

En décembre, le Conseil des États a suivi une minorité de sa Commission des affaires juridiques en adoptant un concept alternatif principalement basé sur une obligation de rapporter. Ce type d’obligation s’est avéré inefficaces dans l'UE, et la Commission européenne examine actuellement des mesures juridiques supplémentaires. Le devoir de diligence se limite uniquement aux domaines liés aux « minéraux de conflit » et au travail des enfants. Cette proposition ne contient aucune réglementation explicite de la responsabilité des sociétés effectivement contrôlées à l'étranger. La proposition du Conseil des États est totalement inadaptée et insuffisante pour répondre aux défis couverts par l'initiative.

Une règlementation telle que proposée par la majorité de la CAJ-N ne recouvre les préoccupations de l'initiative que sous une forme très affaiblie, mais présente l'avantage de pouvoir entrer en vigueur beaucoup plus rapidement. C'est la raison pour laquelle le Comité d'initiative a décidé – comme cela a déjà été le cas lors de la présentation de la proposition du Conseil national en 2018 et de celle de la Commission juridique du Conseil des États en novembre 2019 – de proposer un compromis et de promettre le retrait de l’initiative si le contre-projet, devait être adopté sous la forme proposée par la CAJ-N.

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