© Marco Cala/shutterstock.com
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Les droits humains au Parlement Session d'été (02.06 - 19.06.2020)

Berne, mai 2020
Editorial

Lors de cette session, le Conseil des États prendra une décision finale sur l'initiative « pour des multinationales responsables ». Il aura le choix entre une contre-proposition équilibrée (Minorité Engler/ concept Conseil national), qui rendrait possible un retrait de l'initiative, ou une contre-proposition alibi, qui conduirait à un vote populaire. 78 % des votants approuveraient l’initiative si elle était soumise au vote dimanche prochain – un pourcentage élevé qui montre un large soutien populaire à cette question. L'exigence de respect des droits humains et de l'environnement par les entreprises suisses à l'étranger est d'autant plus urgente que l'on s'attend à ce que la pandémie de coronavirus ait des conséquences dramatiques dans le mode entier et dans l'optique d'un redémarrage d'une économie durable une fois la crise passée.

La nouvelle législation fédérale antiterroriste, qui prévoit des restrictions considérables et sans précédent des droits fondamentaux en Suisse, est également un objet important en matière de droits humains. Amnesty International a également publié une déclaration détaillée sur le traçage de proximité et a exposé ses exigences vis-à-vis d'une "corona app" conforme aux droits humains.  

Comme d'habitude, vous trouverez dans ce bulletin d’information nos recommandations pour d’autres objets qui seront traités lors de cette session.

Une dernière information: Alain Bovard prendra en juin une retraite bien méritée après 30 ans passés à Amnesty International. Michael Ineichen le remplacera en tant que responsable du plaidoyer. Il a précédemment occupé un poste de direction au sein du Service international pour les droits de l'homme (SIDH) à Genève. Avec  son équipe et avec Beat Gerber,il représentera à l'avenir la politique des droits humains de la section suisse d'Amnesty International dans les couloirs du Parlement.


16.077 Droit de la Société anonyme

20.3143 Accueil de réfugiés en provenance de Grèce et réforme des accords de Dublin

18.3356 Prévenir toute discrimination lors des contrôles de personnes effectués par la police

Message concernant une modification urgente de la loi sur les épidémies face à la crise de COVID-19 (système de traçage de proximité)

20.033 Stratégie de coopération internationale 2021-2024

18.071 et 19.032, Lois antiterroristes,

19.023 Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage. Initiative populaire et contreprojet indirect


CONSEIL DES ÉTATS

16.077 Droit de la Société anonyme – Projet 2 (contre-projet indirect à l’initiative pour des multinationales responsables)

Le comité d'initiative a promis de retirer l'initiative populaire si le contre-projet de la Minorité Engler est finalement adopté (concept du Conseil national). Les initiants poursuivront bien entendu leur travail de mobilisation intensive en vue d'une votation et se réjouissent à la perspective d'une campagne électorale animée certains qu’ils recueilleront un large soutien. 

Un sondage réalisé entre entre le 5 et le 12 mai montre que l'initiative pour des multinationales responsables est  bien accueillie puisque 78 % des électeurs voteraient aujourd’hui en sa faveur . Un retour en arrière sur les deux dernières années montre que ce soutien a augmenté de façon continue au fil des différents sondages. Il se reflète notamment dans le nombre élevé de bénévoles dévoués (plus de 300 comités locaux) et par le fait que l'oînitiative parait une évidence pour  près de 180 entrepreneurs qui se sont engagés dans le comité « Economie pour des entreprises responsables ». 

L'initiative pour des multinationales responsables est soutenue par 180 politiciens du PBD, du PLR, des VL ou du PDC, tous engagés au sein du « Comité bourgeois pour des multinationales responsables ». Il est clair pour eux que liberté et responsabilité vont de pair et que  « notre système économique libéral ne peut fonctionner que si les entreprises respectent les règles élémentaires de l'État de droit ». En outre, l'Église évangélique réformée de Suisse, la Conférence épiscopale suisse, ainsi que l'Alliance évangélique suisse et l'Association des Églises libres de Suisse se sont engagées en faveur de l’initiative.

Plus d’informations sur l’initiative pour des multinationales responsables

 CONSEIL NATIONAL 

20.3143 Accueil de réfugiés en provenance de Grèce et réforme des accords de Dublin

La motion charge le Conseil fédéral de s'engager au niveau européen en faveur d'une amélioration importante de la situation dans les îles égéennes, ainsi qu’en faveur d'une réforme des accords de Dublin. Amnesty International soutien cette motion.

L’accueil en Suisse de 23 mineurs non accompagnés en provenance des îles grecques la semaine dernière est à saluer mais la mesure reste insuffisante. La Suisse doit se montrer plus généreuse et augmenter son soutien à la Grèce. A ce jour, près de 40'000 personnes, dont plus de 5'000 mineurs non accompagnés, sont soumis à des conditions chaotiques et à la menace d’une flambée de Covid-19 dans les camps. C’est dans ce sens qu’Amnesty soutient une pétition demandant au Conseil fédéral d’accueillir au minimum 200 mineurs non-accompagnés.

Il est également important que les États parties à la Convention de Dublin s’attellent à une réforme en profondeur de ce texte et s’engagent en faveur d’un système instaurant une répartition solidaire des réfugiés, de manière à ce que chaque État contribue à l’effort commun. Amnesty International attend de la Suisse qu’elle s’engage en ce sens.

18.3356 Prévenir toute discrimination lors des contrôles de personnes effectués par la police

Les contrôles de police, la surveillance ou les enquêtes menées sur la base de critères tels que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l'origine ethnique contribuent à renforcer la méfiance de certains groupes minoritaires vis-à-vis des autorités de poursuite. En outre, ce profilage ethnique conduit à diviser la société en donnant au public l'image que les membres de certains groupes sont associés à un comportement criminel.

Amnesty International et divers organismes de défense des droits humains, tels que le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD), le Comité des droits de l'homme des Nations unies (CDH) et la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) ont constaté que le racisme institutionnel et structurel constitue toujours un problème au sein de la police suisse. Cela se manifeste par des contrôles d'identité discriminatoires, notamment à l'égard des gens du voyage ou des personnes à la peau foncée.

La Suisse n'a guère appliqué les recommandations des organes internationaux concernant, entre autres, la révision du cadre juridique, le recrutement au sein des minorités pour les professionnels de la police, l'introduction de mécanismes de plainte indépendants ou la collecte systématique de données. Les mesures individuelles et sélectives sont fondamentalement insuffisantes pour résoudre un problème qui a des causes institutionnelles et structurelles profondes et qui devrait être évalué de manière critique dans le cadre du rapport proposé.

C'est pourquoi il est important que le Conseil fédéral reconnaisse la nécessité d'agir et traite ce problème complexe de manière plus approfondie.

Amnesty International recommande donc l’acceptation de ce postulat

20.040 Message concernant une modification urgente de la loi sur les épidémies face à la crise de COVID-19 (système de traçage de proximité)

Une application dite de traçage de proximité doit aider à contenir le Covid-19 en Suisse. Nous nous réjouissons de constater que l'application testée par le Conseil fédéral répond largement aux exigences de la communauté scientifique et de la société civile, dont celle d’Amnesty International en matière de protection des données et de la sphère privée. La Confédération s'appuie sur un concept (DP-3T) dans lequel aucune donnée critique n'est stockée de manière centralisée. D'importantes questions restent néanmoins ouvertes. Dans une déclaration commune (en allemand) avec la Société numérique et la Fondation pour la protection des consommateurs, accompagnée d’un communiqué de presse, nous soulevons les points suivants

  1. L'application doit être judicieusement liée à d'autres mesures, telles que les tests et la quarantaine, pour qu'elle soit réellement utile et respecter le principe de proportionnalité.
  2. L'utilité de l'application n'a à ce jour été prouvée en aucune manière. Elle devra donc être ré-évaluée en permanence.
  3. Les personnes qui ne veulent ou ne peuvent pas utiliser l'application ne doivent être prétéritées en aucune manière.

20.033 Stratégie de coopération internationale 2021-2024

La section suisse d'Amnesty International est particulièrement critique à l'égard du retrait prévu des programmes bilatéraux en Amérique latine. Cette démarche pourrait avoir de graves conséquences pour cette région déchirée par des crises des droits humains. Elle compromet la durabilité des programmes visant à renforcer l’État de droit en Amérique centrale.

Les développements en Amérique centrale sont alarmants en termes de concentration du pouvoir dans les mains des Exécutifs, du manque de séparation des pouvoirs et de transparence. Un retrait de la coopération suisse affaiblirait gravement les efforts de lutte pour l'État de droit et les droits de l'homme. La Suisse est considérée comme un partenaire respecté et bien connecté dans la lutte contre la corruption et l'impunité, et pour le renforcement des droits de l'homme. Au vu des développements actuels dans la région, ce retrait parait incompréhensible.  La Suisse doit, au contraire, renforcer le soutien qui a été mis en place avec succès, y compris par une présence adéquate de personnel sur le terrain. L’objectif d’allouer 0,7 % du RNB à la coopération au développement doit être également maintenu. 0,5 % reste le minimum absolu.

Un retrait de l'Amérique latine ou centrale de part de la DDC constituerait non seulement une grave perte d'expertise et d’un soutien absolument nécessaire, mais aussi un signal politique désastreux de la part de la Suisse. Actuellement, de nombreux pays donnent une priorité absolue à leurs intérêts nationaux et se retirent des organismes et accords internationaux. Le retrait de la DDC de tout un continent, justifié uniquement par les intérêts de la Suisse en matière de politique économique et migratoire, s'inscrit dans cette tendance inquiétante qui se joue à un niveau mondial

Prise de position de la Section suisse d’Amnesty International relative à la coopération internationale de la Suisse pour la période 2021-2024

18.071 et 19.032, Lois antiterroristes,

Les projets de loi présentés par le Conseil fédéral pour prévenir et combattre le terrorisme prévoient des atteintes importantes aux droits fondamentaux et aux droits humains. La plate-forme des ONG suisses pour les droits humains appelle le Parlement à renoncer complètement à prendre des mesures de police préventives et à supprimer les propositions qui posent un problème du point de vue du droit pénal.

La Plate-forme des ONG suisses pour les droits humains, qui regroupe plus de 80 organisations non gouvernementales, s’oppose fermement à deux projets de loi qui vont pour la première fois être discutés au Conseil des États.

Loi sur les mesures policières: des spéculations à la base des mesures de lutte

La nouvelle loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) vise à fournir à la police davantage de mesures contre les personnes potentiellement dangereuses, en dehors de la procédure pénale, c'est-à-dire dans le domaine de la prévention. Pour ordonner ces mesures, les autorités n'ont besoin que de certains indices indiquant une possible future activité terroriste. En fin de compte, de simples présomptions et des spéculations sur les intentions et les actions futures des individus pourront constituer la base des mesures policières.

La police disposera d'un large éventail de mesures préventives contre les personnes potentiellement dangereuses (terroristes présumés). L'instrument de loin le plus radical pour réduire le danger est l’assignation à une propriété, ou assignation à résidence. Cette privation de liberté à titre préventif, visant à minimiser de manière générale le danger, n'est pas compatible avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Une majorité de la Commission de politique de sécurité du Conseil des États souhaite  même élargir le champ d'action de la police fédérale afin que les mesures puissent être indéfiniment prolongées.

La CPS-N renforce encore le propos en prévoyant (par une décision serrée - 11 voix pour, 10 voix contre et 4 abstentions) - que les mesures de police soient complétées par un « hébergement sécurisé des personnes potentiellement dangereuses ». Cette proposition doit être rejetée parce qu’elle est incompatible avec notre Constitution et avec la CEDH.

Les limites d'âge fixées dans le projet de loi sont également particulièrement choquantes. L’assignation préventive à résidence pourrait être utilisée dès l’âge de 15 ans, l’interdiction de contact et l’interdiction de périmètre pourraient être prononcées à l’encontre d’enfants de 12 ans.

La plateforme des ONG demande au Parlement de renvoyer le projet de loi sur les mesures de police au Conseil fédéral. À défaut, le Parlement devrait au moins retirer la disposition sur l’assignation à domicile et renoncer à appliquer les mesures policières aux enfants et aux adolescents. (Voir la prise de position complète pour les détails).

Droit pénal: une définition évasive et lourde de conséquences

La stratégie antiterroriste du Conseil fédéral comprend également un projet intitulé « Terrorisme et crime organisé », qui prévoit un durcissement du droit pénal et de dix autres lois. Il est particulièrement problématique que, pour la première fois, le Code pénal réprime la participation à une « organisation terroriste » sans établir une liste des groupements interdits. Alors qu'auparavant le législateur avait, dans un souci de clarté, dressé une liste des organisations terroristes interdites, il introduit désormais dans le droit pénal une définition évasive des « organisations terroristes », dont l’interprétation par les tribunaux pourra entraîner de l’arbitraire et des abus.

De fait, les tribunaux cantonaux décideront à leur discrétion si une organisation – et le soutien qui lui est apporté – doit être qualifiée de terroriste ou non. Le PKK kurde, par exemple, pourrait être interdit dans certains cantons et pas dans d'autres. Ce projet de loi est donc source d'arbitraire et d'une grande insécurité juridique. Les modifications prévues affaiblissent la protection juridique individuelle et comportent des dispositions inutiles et disproportionnées. »

Amnesty demande au Parlement de rejeter plusieurs dispositions du projet « terrorisme et crime organisé » ou au minimum de les adapter de manière à ce qu’elles respectent les droits fondamentaux et les droits humains (voir la prise de position pour les détails).

La protection des valeurs libérales ne peut être réalisée par des moyens qui sapent les principes d'un système démocratique et constitutionnel. Une stratégie durable de lutte contre le terrorisme ne doit pas reposer sur des mesures contraires aux droits humains et sur des atteintes systématiques aux droits fondamentaux. Elle doit au contraire être basée sur le respect des droits de toutes et de tous en Suisse, sur des mesures d'intégration dans les domaines éducatif et social et sur la promotion de la participation

Le Conseil de l’Europe, par une lettre de sa Commissaire aux droits de l’homme, Madame Dunja Mijatović, a invité le Parlement à revoir le projet de Loi fédérale sur les Mesures policières de lutte contre le terrorisme afin de garantir que toutes les normes relatives aux droits de l’homme soient respectées. 

19.023 Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage. Initiative populaire et contreprojet indirect

Dans sa prise de position de septembre 2018 relative au contre-projet indirect à l’initiative dite « anti Burqa », Amnesty International saluait la décision du Conseil fédéral de rejeter l’initiative mais estimait simultanément que le contre-projet indirect n’était pas nécessaire. Cette position n’a pas changé.

L’interdiction de se dissimuler le visage vise en effet essentiellement les femmes musulmanes vêtues d’un voile intégral (désigné comme burqa/burka ou niqab). Or le port du voile intégral ne concerne qu’un petit nombre de femmes en Suisse et, comme cela avait déjà été le cas avec l’initiative contre les minarets, les auteurs de l’initiative créent un problème là où il n’y en a pas. Il s’agit au contraire, comme AI le soulignait déjà en 2016 lors du dépôt de l’initiative, d’une tentative de s’attaquer à des symboles pour continuer à répandre une rhétorique discriminatoire.

Amnesty recommande le rejet de l’initiative et du contre-projet.

Notre prise de position complète de septembre 2018.