Turquie Un hôpital dans les locaux d’Amnesty

19 juin 2013
Murat Çekiç, directeur d'Amnesty Turquie, relate les dernières semaines à Istanbul. Le bureau a été transformé en dispensaire et a servi de refuge à des civils victimes de violences policières.

Lors que les violences ont commencé, vendredi 31 mai, tout le monde était à la fois inquiet et effrayé. Dans le centre d’Istanbul, tous les transports publics étaient arrêtés et il était très difficile de trouver un taxi. Les gaz lacrymogènes nous brûlaient la peau et les yeux.

Les autorités ont interdit les rassemblements sur la place Taksim, mais où les gens pouvaient-ils donc aller, sans moyens de transports? Istanbul chevauche littéralement deux continents séparés par le détroit du Bosphore, de sorte qu'il est difficile de rentrer chez soi quand on habite de l'autre côté. C’est pourquoi les gens dans les rues avaient besoin d'un abri.

"Les gens n'avaient nulle part où aller, c'est pourquoi nous leur avons ouvert le bureau d'Amnesty."

Le personnel d'Amnesty s'est porté volontaire pour rester dans les locaux. Des amis et des proches sont aussi venus. Notre bureau occupe les deux premiers étages d'un grand bâtiment situé sur la rue la plus commerçante d'Istanbul, avec un jardin entouré de hauts murs. Nous avons utilisé nos tables pour allonger les blessés, il y avait des sacs de couchage sur le sol, des médicaments et des aliments un peu partout. Mobilisés grâce aux réseaux sociaux, beaucoup de gens ont commencé à nous envoyer des aliments emballés, du lait et des médicaments de base.

Vendredi et samedi ont été les pires journées dans la zone de Taksim, où nos locaux sont situés. Nous n'avons pas dormi. Il y avait des centaines de policiers dehors et nous avions peur qu'ils découvrent que nous avions mis en place un hôpital de fortune. Bien sûr, nous aurions également accueilli les policiers blessés.

Une famille avec un enfant de 5 ans est venue à nous, choquée et terrifiée. Ils n'avaient rien à voir avec les manifestations. Le père était un nettoyeur dans un bureau près de la place Taksim. La famille est donc restée dans la rue sans masque à gaz. Les gaz lacrymogènes, c'est comme si vous étiez en feu. Nos bénévoles ont administré à la petite fille des premiers soins, puis lui ont donné des biscuits et du jus d'orange. Elle a pleuré longtemps. Quand la situation s'est apaisée, la famille a pu repartir.

Au total, environ 100 personnes ont été traitées dans notre bureau, surtout pour les effets de gaz lacrymogènes et de petites coupures. Nous avons redirigé vers de vrais hôpitaux les personnes souffrant de fractures aux bras ou aux jambes. Elles étaient tombées sous l'effet des gaz lacrymogènes et les policiers les avaient matraquées.

Nous continuons de recevoir des demandes d'aide juridique. Prendre la responsabilité de la santé et de la sécurité de tout le monde dans le bureau était une décision difficile. Mais je suis un militant des droits humains, et les gens avaient besoin d'un endroit sûr pour s'y réfugier.